Le monde arabe aux premières loges du «code rouge» reflétant le changement climatique

Un Canadair déverse de l'eau sur un feu de forêt en Sicile, en Italie, le 10 août 2021. Selon les scientifiques, le changement climatique lié à la consommation de combustibles fossiles entraîne incontestablement des canicules, des sécheresses, des incendies de forêt, des inondations et des tempêtes. (Photo, AP)
Un Canadair déverse de l'eau sur un feu de forêt en Sicile, en Italie, le 10 août 2021. Selon les scientifiques, le changement climatique lié à la consommation de combustibles fossiles entraîne incontestablement des canicules, des sécheresses, des incendies de forêt, des inondations et des tempêtes. (Photo, AP)
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Publié le Dimanche 22 août 2021

Le monde arabe aux premières loges du «code rouge» reflétant le changement climatique

Le monde arabe aux premières loges du «code rouge» reflétant le changement climatique
  • Les brasiers, qui ont ravagé la Tunisie, l'Algérie et le Maroc cette semaine, mettent en exergue les véritables répercussions du changement climatique et attirent l'attention sur les mesures que devra entreprendre le monde arabe
  • Dans l'une des régions les plus chaudes de la planète, les gouvernements continueront à se heurter aux défis liés au changement climatique, des défis qui affecteront la vie de millions de personnes

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui relève des Nations unies, a publié la semaine dernière un rapport qui fait état d'un « code rouge » en termes de changement climatique. En effet, les activités humaines bouleversent le climat de manière inédite et quelquefois irréversible. La mise en garde dans ce rapport est sans équivoque : le seuil de température mondiale a été franchi et l’humanité doit s'attendre à une recrudescence des inondations, des sécheresses et des vagues de chaleur.

La mauvaise nouvelle est survenue dans un contexte marqué par une série d'incendies de forêt dans le bassin méditerranéen, attisés par des vents violents et des températures extrêmes. Les brasiers, qui ont ravagé la Tunisie, l'Algérie et le Maroc cette semaine, mettent en exergue les véritables répercussions du changement climatique et attirent l'attention sur les mesures que devra entreprendre le monde arabe, la région la plus pauvre en eau au monde, pour limiter l'impact de ce phénomène.

L'évaluation lucide dressée par les Nations unies fait office d'appel à l'action et de mise en garde dans le même temps. Au centre des conclusions du rapport figure une certitude : la réduction significative des émissions de gaz à effet de serre permettra de limiter dans une certaine mesure la hausse des températures mondiales. En effet, depuis les années 1970, la température à la surface du globe a augmenté à un rythme plus effréné que durant toutes les autres périodes de 50 ans au cours des 2 000 dernières années ; le monde arabe a enregistré des résultats encore plus alarmants sur ce point. Selon le rapport spécial du GIEC, les températures moyennes dans les pays arabes augmenteront de 1 à 2 degrés Celsius d'ici à 2030-2050.

Dans l'une des régions les plus chaudes de la planète, les gouvernements continueront à se heurter aux défis liés au changement climatique, des défis qui affecteront la vie de millions de personnes. Ainsi, les hausses de température entraîneront des périodes de sécheresse plus prolongées, et affecteront les cultures et la végétation dans des régions qui sont déjà arides ou, dans les meilleurs des cas, semi-arides. Cette hausse des températures compromettant la sécurité alimentaire présente en outre des dangers de nature politique, puisque les migrations et les conflits accompagnent souvent la limitation de l'accès à la nourriture et à l'eau.

L'urbanisation grandissante dans le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord accentue et continuera d'accentuer les répercussions négatives du changement climatique sur l'agriculture. Dans cette région, dont la population compte parmi les plus jeunes du monde, la vie rurale ne suffira plus à nourrir les populations dont l'âge médian est de 22 ans, et la migration vers les villes qui en découlera ne fera qu'exacerber le problème. Les « îlots de chaleur » qui s'étendent dans les villes du monde arabe découlent directement de la croissance démographique et du changement climatique. Les structures telles que les bâtiments, les routes et autres infrastructures absorbent et réémettent la chaleur du soleil plus que ne le font les paysages naturels.

Cette hausse des températures qui compromet la sécurité alimentaire présente des dangers de nature politique, puisque les migrations et les conflits accompagnent souvent la limitation de l'accès à la nourriture et à l'eau.

Zaid M. Belbagi

Du Maroc au Bahreïn, ce phénomène entraîne une consommation accrue d'eau et d'énergie dans les villes pour pallier la hausse des températures. Ce problème est d’autant plus préoccupant dans les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), puisque la péninsule arabique compte parmi les régions les plus inhospitalières du monde. Néanmoins, la prospérité a entraîné de vastes mouvements migratoires et encouragé la croissance démographique locale. La semaine dernière, les températures à la ville de Koweït ont atteint 63 °C en plein soleil.

Certaines études montrent par ailleurs que la croissance urbaine dans la région du Golfe a entraîné la formation d'îlots de chaleur urbains, notamment à Doha et à Dubaï. En raison de ce qu'on appelle le « piège de la climatisation », l'énorme quantité d'énergie consommée pour maintenir les bâtiments au frais fait en réalité ressortir de la chaleur. Dans les EAU, où un petit appareil de climatisation pour une seule pièce consomme en moyenne plus d'énergie que quatre réfrigérateurs, 70 % de l'électricité domestique est consommée par les systèmes de climatisation.

Le rapport sur le changement climatique est arrivé à point nommé pour le monde arabe. Du fait de la hausse des températures, les grandes villes enregistreront, de plus en plus, des températures inhospitalières et ce, pour plus d'un quart de l'année. Comme on prévoit que ce problème  prendra des proportions encore plus alarmantes, les maigres ressources en eau et les terres arables, en constante régression, subiront des pressions de plus en plus accablantes.

Cependant, la région peut tirer parti de ce phénomène. En effet, les pays arabes présentent un potentiel en termes d'énergie éolienne et solaire parmi les plus élevés au monde. Exploiter ce potentiel les aidera à mieux immuniser leur système énergétique actuel et à renoncer aux subventions dans toute la région, tout en continuant à exporter des produits énergétiques aux quatre coins du monde. Dans la mesure où le recours à la climatisation et la réfrigération sont appelées à augmenter, le recours aux énergies renouvelables apparaît plus judicieux que la consommation de combustibles fossiles.

Le changement climatique se pose avec acuité dans le monde arabe. Le désert du Sahara, à lui seul, s'est étendu sur une superficie deux fois plus grande que la France au cours des 50 dernières années. Il va sans dire que la région n'est pas insensible aux profondes incidences du changement climatique. Avant que le changement climatique ne la convertisse en l'une des régions les plus inhospitalières du monde, la péninsule arabique était autrefois une savane où brillaient 47 lacs. Ce changement semble avoir encouragé le peuple arabe à s'étendre vers le nord pour la première fois, au moment où il s'est tourné vers le Levant, l'Euphrate et le Nil à la recherche d'eau.

Voilà qui devrait nous rappeler que les changements de température extrêmes sont bien plus dangereux pour la vie de millions de personnes que les querelles politiques qui agitent actuellement la région.

 

Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et un conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Twitter: @Moulay_Zaid

 

NDRL : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com