La hausse d'impôt sur les sociétés concédée par Dublin ébranle le secteur de la «tech»

Le ministre irlandais des Finances, Paschal Donohoe, s'exprime lors d'une conférence de presse à Dublin, le 7 octobre 2021. Le gouvernement irlandais a accepté jeudi de signer un taux d'imposition minimum mondial de 15 % sur les entreprises multinationales après s'être opposé à la réforme pendant des mois. (Photo, AFP)
Le ministre irlandais des Finances, Paschal Donohoe, s'exprime lors d'une conférence de presse à Dublin, le 7 octobre 2021. Le gouvernement irlandais a accepté jeudi de signer un taux d'imposition minimum mondial de 15 % sur les entreprises multinationales après s'être opposé à la réforme pendant des mois. (Photo, AFP)
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Publié le Dimanche 10 octobre 2021

La hausse d'impôt sur les sociétés concédée par Dublin ébranle le secteur de la «tech»

  • Depuis 2003, l'Irlande maintenait son taux d'imposition sur les sociétés à 12,5% ce qui en faisait l'un des plus bas du monde et l'assimilait pour ses détracteurs à un paradis fiscal
  • L'accord historique annoncé en juillet, concernant alors 134 pays, s'imposerait aux multinationales réalisant au moins 750 millions d'euros de chiffre d'affaires

DUBLIN : Après l'adhésion de Dublin à la réforme de la fiscalité mondiale avec un taux d'impôt sur les sociétés minimum de 15%, les entreprises technologiques qui avaient choisi l'Irlande pour leur siège européen à cause de sa faible taxation se heurtent à un changement radical de leur situation.

"L'Irlande a fait de la stabilité de son régime l'un de ses attraits pour les investissements étrangers", remarque Seamus Coffey conférencier en économie à l'University College Cork (UCC).

"Je ne pense pas que cette stabilité et ces certitudes puissent être considérés comme des acquis à présent", ajoute-t-il, interrogé par l'AFP.

Depuis 2003, l'Irlande maintenait son taux d'imposition sur les sociétés à 12,5% ce qui en faisait l'un des plus bas du monde et l'assimilait pour ses détracteurs à un paradis fiscal. Le pays s'était opposé fermement à la réforme en cours de la fiscalité mondiale, négociée sous l'égide de l'OCDE.

A l'heure où les Etats cherchent des fonds pour redresser leurs finances publiques mises à mal par la pandémie, cette réforme entend lutter contre l'évitement fiscal de la part des multinationales, en grande partie américaines, qui s'enregistrent dans les pays aux plus faibles taux de taxation.

L'accord historique annoncé en juillet, concernant alors 134 pays, s'imposerait aux multinationales réalisant au moins 750 millions d'euros de chiffre d'affaires, dont beaucoup de grands groupes technologiques qui ont élu domicile en Irlande pour leur siège européen.

En signant ce compromis, Dublin secoue son modèle économique. Selon un sondage commandé par The Irish Times, une large partie des Irlandais était favorable à un maintien du taux à 12,5%, qui a permis au pays de connaître une croissance économique rapide sur les vingt dernières années.

Pour l'heure, Facebook, Google et Apple maintiennent tous de vastes bureaux en Irlande, et leur poids dans l'économie du pays ne saurait être sous-estimé: le secteur numérique représente 13% du PIB du pays et emploie 210 000 personnes, d'après le groupe sectoriel Technology Ireland.

Le boom de la tech est particulièrement visible à Dublin aux alentours des "Silicon Docks", où les bâtiments de métal et verre de Google et Facebook tranchent dans le paysage.

 

Taxation des multinationales: "avancée majeure pour la justice fiscale", salue Macron

Emmanuel Macron s'est félicité samedi de l'accord "historique" des 136 pays pour imposer une taxation minimale à 15% sur les multinationales, "une avancée majeure pour la justice fiscale".

"Depuis 4 ans, nous œuvrons pour une juste taxation des multinationales et des géants du numérique. L’accord fiscal trouvé à l’OCDE est historique. Toute entreprise multinationale devra payer au minimum 15% d’impôt. C’est une avancée majeure pour la justice fiscale", a tweeté le président français, au lendemain de l'annonce de cet accord par l'OCDE, après les ralliements de l'Irlande, l'Estonie et de la Hongrie.

Ces 136 pays, qui représentent 90% du PIB mondial, vont pouvoir dégager environ 150 milliards d'euros de recettes supplémentaires grâce à cet impôt minimum à partir de 2023.

Le ministre français de l'Economie Bruno Le Maire a déjà indiqué vouloir traduire cet accord en acte juridique lors de la présidence française de l'Union européenne, au premier semestre 2022.

Des ONG et certains économistes l'ont cependant jugé insuffisamment ambitieux, et porteur d'inégalités entre pays riches et en développement. D'après Oxfam, les pays les plus pauvres récupèreront moins de 3% des recettes fiscales supplémentaires.

«Presque une marque»

M. Coffey estime qu'une hausse de 2,5 points du taux de l'impôt sur les sociétés ne devrait pas déclencher un exode d'employeurs à court ou moyen terme.

Toutefois, il remarque que la manière dont les pressions internationales de l'OCDE ou des puissances du G7 ont amené Dublin à changer son taux pourrait amener des entreprises à y réfléchir à deux fois avant de s'installer ou d'investir en Irlande.

Il n'y a qu'à voir le titre d'un article du quotidien britannique conservateur The Telegraph jeudi: "L'Irlande plie et change son modèle à faible imposition".

Pour Frank Barry, professeur au Trinity College de Dublin, "l'importance des 12,5% c'est que c'est vraiment connu dans le monde pour quiconque s'intéresse un peu à la question" fiscale.

"C'est presque devenu une marque, c'est le problème principal en le changeant", ajoute-t-il, interrogé par l'AFP.

Certains craignent aussi qu'en perdant son avantage fiscal, l'Irlande cède du terrain à des pays plus peuplés.

Mais le fait que l'Irlande rejoigne un accord signé par une majorité de pays dans le monde apporte une autre forme de certitude.

D'autant que le ministre des Finances Paschal Donohoe a insisté sur le fait que Dublin avait obtenu une concession clé en faisant enlever du compromis la mention "15% au moins" pour seulement "15%", ce qui enlève pour Dublin la menace d'augmentations futures de ce seuil minimum.

L'accord en train d'être finalisé sous l'égide de l'OCDE comporte aussi certaines propositions pour prélever des impôts sur les sociétés là où elles génèrent leurs revenus et non plus seulement là où elles sont enregistrées.

Ce qui pourrait avoir des conséquences plus vastes pour les entreprises numériques.

"Les grands pays" notamment du G7 "veulent mettre la main sur les recettes fiscales", mais "même si elle collecte un vaste montant d'impôts sur les sociétés, c'est toujours l'emploi qui a été la principale préoccupation pour l'Irlande", conclut M. Barry.

 


La note française menacée de passer en catégorie inférieure dès vendredi

La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne. (AFP)
La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne. (AFP)
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  • La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne
  • Les marchés donnent déjà à la France une "notation implicite" bien plus basse que sa note actuelle de AA-, estime M. Morlet-Lavidalie

PARIS: Fitch sera-t-elle vendredi la première agence de notation à faire passer la note souveraine française en catégorie inférieure? Les économistes, qui le pensaient il y a quelques jours, discernent des raisons d'en douter, mais ce ne pourrait être que partie remise.

Fitch ouvre le bal des revues d'automne des agences de notation. Toutes, au vu de l'état des finances publiques françaises et de la crise politique persistante depuis la dissolution, classent la France AA- ou équivalent (qualité de dette "haute ou bonne"), avec, pour certaines comme Fitch, une "perspective négative".

Ce qui préfigure une dégradation: en ce cas, la France basculerait en catégorie A (qualité "moyenne supérieure"), et devrait verser à ceux qui investissent dans sa dette une prime de risque supérieure, accroissant d'autant les remboursements de cette dette.

Pour Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management, une dégradation serait "logique". D'abord parce que la situation politique n'aide pas à mettre en œuvre "un plan crédible d'assainissement budgétaire", comme Fitch l'exigeait en mars.

Mais aussi pour effacer "une incohérence" : 17 pays européens sont moins bien notés que la France alors qu'ils ont - à très peu d'exceptions près - des ratios de finances publiques meilleurs que les 5,8% du PIB de déficit public et 113% du PIB de dette publique enregistrés en France en 2024.

Coup d'envoi 

Depuis mardi, la nomination rapide à Matignon de Sébastien Lecornu pour succéder à François Bayrou, tombé la veille lors du vote de confiance, ravive l'espoir d'un budget 2026 présenté en temps et heure.

Lucile Bembaron, économiste chez Asterès, juge ainsi "plausible" que Fitch "attende davantage de visibilité politique" pour agir.

D'autant, remarque Hadrien Camatte, économiste France chez Natixis, que les finances publiques n'ont pas enregistré cette année de nouveau dérapage inattendu, et que "la croissance résiste".

L'Insee a même annoncé jeudi qu'en dépit du "manque de confiance" généralisé, celle-ci pourrait dépasser la prévision du gouvernement sortant - 0,7% - pour atteindre 0,8% cette année.

Anthony Morlet-Lavidalie, responsable France à l'institut Rexecode, observe aussi que Fitch, la plus petite des trois principales agences internationales de notation, "donne rarement le coup d'envoi" des dégradations.

Mais il estime "très probable" que la principale agence, S&P Global, abaissera le pouce lors de sa propre revue, le 28 novembre.

Selon ses calculs, la France ne sera en effet pas en mesure de réduire à moins de 5% son déficit public l'an prochain, contre les 4,6% qu'espérait François Bayrou.

Les économistes affirment cependant qu'une dégradation ne troublerait pas les marchés, "qui l'ont déjà intégrée", relève Maxime Darmet, économiste senior chez Allianz Trade.

Syndrome 

La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne.

Les marchés donnent déjà à la France une "notation implicite" bien plus basse que sa note actuelle de AA-, estime M. Morlet-Lavidalie.

Il craint des taux qui resteraient "durablement très élevés", provoquant "un étranglement progressif", avec des intérêts à rembourser captant "une part significative de la dépense publique, alors qu'on a des besoins considérables sur d'autres postes".

L'économiste décrit une France en proie au "syndrome du mauvais élève".

"Lorsqu'on avait 20/20", explique-t-il - la France était jusqu'à 2012 notée AAA, note maximale qu'a toujours l'Allemagne - "on faisait tout pour s'y maintenir. Maintenant on dit que 17/20 (AA-) ça reste une très bonne note. Bientôt ce sera +tant qu'on est au-dessus de la moyenne, c'est pas si mal+. Quand on est la France, en zone euro, on devrait quand même être un peu plus ambitieux que cela!", dit-il à l'AFP.

Pour autant, même abaissée à A+, "la dette française resterait de très bonne qualité", relativise M. Camatte, préférant souligner "la forte épargne des ménages et une position des entreprises qui reste très saine".


La précarité s'ancre dans le quotidien des Français, alerte le Secours populaire

Revenus insuffisants, dépense imprévue, endettement excessif: au final, un Français sur cinq s'estime précaire pour différentes raisons, soit 20% de la population, contre 24% l'an dernier. (AFP)
Revenus insuffisants, dépense imprévue, endettement excessif: au final, un Français sur cinq s'estime précaire pour différentes raisons, soit 20% de la population, contre 24% l'an dernier. (AFP)
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  • "La précarité est toujours plus ancrée en France, elle interfère dans tous les aspects de la vie, que ce soit la santé, les loisirs, la vie familiale", estime auprès de l'AFP Henriette Steinberg, secrétaire générale du Secours populaire
  • "La situation en France s'est détériorée" depuis une quinzaine d'années et dernièrement "on observe une stabilisation", précise Henriette Steinberg

PARIS: La précarité s'ancre dans le quotidien des Français, touchant tous les aspects de la vie des plus fragiles, alerte jeudi le Secours Populaire, qui publie un baromètre témoignant de cette situation jugée préoccupante.

"La précarité est toujours plus ancrée en France, elle interfère dans tous les aspects de la vie, que ce soit la santé, les loisirs, la vie familiale", estime auprès de l'AFP Henriette Steinberg, secrétaire générale du Secours populaire.

L'association publie un baromètre qui indique qu'un tiers des Français (31%) rencontrent des difficultés financières pour se procurer une alimentation saine permettant de faire trois repas par jour. De même 39% ont du mal à payer leurs dépenses d'électricité et 49% à partir en vacances au moins une fois par an, selon ce sondage réalisé par l'Institut Ipsos, auprès d'un échantillon de 1.000 personnes, représentatif de la population nationale âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.

"La situation en France s'est détériorée" depuis une quinzaine d'années et dernièrement "on observe une stabilisation", précise Henriette Steinberg.

Revenus insuffisants, dépense imprévue, endettement excessif: au final, un Français sur cinq s'estime précaire pour différentes raisons, soit 20% de la population, contre 24% l'an dernier.

Malgré un "léger mieux" constaté sur certains indicateurs lié au "ralentissement de l'inflation", ce baromètre révèle "une situation sociale toujours très préoccupante", selon le Secours populaire.

En début de semaine, la déléguée interministérielle à la prévention et la lutte contre la pauvreté, Anne Rubinstein, a évoqué des "difficultés" rencontrées par l'Etat pour résorber un taux de pauvreté qui a atteint un niveau record en 2023 en France métropolitaine.

Face à cette situation, la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) a appelé mardi à une "mobilisation collective" pour "débloquer la lutte contre la précarité".

Au niveau européen, 28% de la population déclare se trouver en situation précaire, également selon ce baromètre du Secours Populaire, qui s'appuie aussi sur des échantillons de 1.000 personnes représentatifs de neuf autres pays (Allemagne, Grèce, Italie, Pologne, Royaume-Uni, Moldavie, Portugal, Roumanie, Serbie).

La part des personnes se considérant comme précaires demeure à un niveau "très alarmant" en Grèce (46%) et en Moldavie (45%), pointe le baromètre.

En 2024, le Secours populaire a soutenu 3,7 millions de personnes en France. L'association fournit notamment de l'aide alimentaire et organise des activités pour différents publics pour rompre l'isolement.


Face à l'explosion des dépenses militaires, l'ONU appelle à «repenser les priorités»

Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a appelé mardi le monde à "repenser les priorités" en redirigeant une partie des dépenses militaires record vers le développement de l'humanité et la lutte contre la pauvreté. (AFP)
Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a appelé mardi le monde à "repenser les priorités" en redirigeant une partie des dépenses militaires record vers le développement de l'humanité et la lutte contre la pauvreté. (AFP)
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  • "Aujourd'hui, nous publions un rapport qui révèle une réalité saisissante: le monde dépense bien plus à faire la guerre qu'à construire la paix", a-t-il déclaré Antonio Guterres
  • Selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), les dépenses militaires mondiales ont atteint en 2024 près de 2.700 milliards de dollars, en hausse de plus de 9% sur un an

NATIONS-UNIES: Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a appelé mardi le monde à "repenser les priorités" en redirigeant une partie des dépenses militaires record vers le développement de l'humanité et la lutte contre la pauvreté.

"Aujourd'hui, nous publions un rapport qui révèle une réalité saisissante: le monde dépense bien plus à faire la guerre qu'à construire la paix", a-t-il déclaré Antonio Guterres.

Selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), les dépenses militaires mondiales ont atteint en 2024 près de 2.700 milliards de dollars, en hausse de plus de 9% sur un an.

C'est "l'équivalent de 334 dollars par habitant de la planète", "près de 13 fois le montant de l'aide publique au développement des pays les plus riches et 750 fois le budget ordinaire de l'ONU", a noté Antonio Guterres.

Et en parallèle, la majorité des Objectifs de développement durables (ODD) visant à améliorer le sort de l'humanité d'ici 2030 (éradication de l'extrême pauvreté, égalité hommes-femmes, éducation...) ne sont pas sur la bonne voie.

Pourtant, mettre un terme à la faim dans le monde d'ici 2030 nécessiterait seulement 93 milliards de dollars par an, soit 4% des dépenses militaires de 2024, et faire en sorte que chaque enfant soit totalement vacciné coûterait entre 100 et 285 milliards par an, note le rapport demandé par les Etats membres.

Au total, l'ONU estime aujourd'hui à 4.000 milliards de dollars les investissements supplémentaires nécessaires chaque année pour atteindre l'ensemble des ODD, un montant qui pourrait grimper à 6.400 milliards dans les prochaines années.

Alors le secrétaire général de l'ONU a lancé un "appel à l'action, un appel à repenser les priorités, un appel à rééquilibrer les investissements mondiaux vers la sécurité dont le monde a vraiment besoin".

"Des dépenses militaires excessives ne garantissent pas la paix, souvent elles la sapent, encourageant la course aux armements, renforçant la méfiance et détournant des ressources de ce qui représentent les bases de la stabilité", a-t-il ajouté. "Un monde plus sûr commence par investir au moins autant pour lutter contre la pauvreté que nous le faisons pour faire la guerre".

"Rediriger même une fraction des dépenses militaires actuelles pourraient combler des écarts vitaux, envoyer des enfants à l'école, renforcer les soins de santé de base, développer les énergies propres et des infrastructures résistantes, et protéger les plus vulnérables", a-t-il plaidé.