L’approche unilatérale de Biden, mauvaise nouvelle pour les alliés des USA

Emmanuel Macron et Joe Biden. (Photo, AFP)
Emmanuel Macron et Joe Biden. (Photo, AFP)
Short Url
Publié le Mercredi 19 janvier 2022

L’approche unilatérale de Biden, mauvaise nouvelle pour les alliés des USA

L’approche unilatérale de Biden, mauvaise nouvelle pour les alliés des USA
  • La force du pays ne provient pas uniquement de sa formidable machine militaire, mais de sa capacité à mobiliser du soutien à l’échelle internationale
  • Pour que les États-Unis puissent redorer leur blason sur la scène mondiale, ils doivent commencer par montrer un engagement ferme envers leurs alliés et une détermination face à leurs ennemis

La semaine dernière, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a subtilement critiqué les États-Unis. Il a déclaré qu’il ne pouvait y avoir de sécurité européenne sans les Européens, faisant allusion aux négociations bilatérales entre les États-Unis et la Russie sur le sort de l’Ukraine. En plus de ne pas inclure les Européens, ces négociations se tiennent sans aucune représentation ukrainienne, alors que le pays est l’objet du litige. L’une des principales critiques portées par Joe Biden à l’égard de la politique étrangère de Donald Trump est que l’ancien président a agi de manière unilatérale. Cependant, le nouveau président ne se comporte-t-il pas exactement de la même manière que son prédécesseur?
Lorsque Joe Biden a été élu, l’Europe a poussé un soupir de soulagement. La maire de Paris, Anne Hidalgo, a tweeté: «Welcome back America.» Elle saluait sans doute le retour probable du pays à la manière dont il avait l’habitude de traiter avec ses alliés: sur une base institutionnelle et multilatérale. La maire se félicitait également du retour de l’engagement américain auprès de l’Europe, après une période de confrontation sous l’administration Trump. Il y avait énormément d’espoir quant à la capacité de Joe Biden de réparer les dégâts causés par les politiques de Donald Trump à l’alliance transatlantique. Toutefois, les partenaires européens des États-Unis sont de plus en plus frustrés, car ils réalisent désormais que M. Biden est aussi unilatéral dans son approche de la politique étrangère que son prédécesseur. Cet égoïsme dans les affaires internationales éclipse le bien commun de l’alliance transatlantique.
Cet unilatéralisme est le résultat du manque de clairvoyance et de l’opportunisme. En fin de compte, les États-Unis ont tout à perdre en n’impliquant pas leurs alliés. La force du pays ne provient pas uniquement de sa formidable machine militaire, mais de sa capacité à mobiliser du soutien à l’échelle internationale. Son alliance avec l’Europe est la pierre angulaire de la projection de la puissance américaine dans le monde. En effet, depuis la Seconde Guerre mondiale, les relations transatlantiques sont au cœur de la politique internationale. Cela ne semble plus être le cas. L’épicentre se déplace vers l’Eurasie, avec la probabilité d’une alliance russo-chinoise. Or, ce serait vraiment une mauvaise nouvelle pour l’Occident et pour les peuples qui aspirent à la liberté et à la démocratie. Les principaux responsables de ce possible changement de pouvoir sont sans aucun doute les États-Unis et non l’Europe.
Alors que la campagne de M. Trump reposait sur le slogan «L’Amérique d’abord», celle de Joe Biden véhiculait le message suivant: «L’Amérique est de retour.» Mais les États-Unis d’aujourd’hui ne sont ni la priorité ni de retour. Ils perdent lentement leur place sur la scène mondiale, en raison d’un isolationnisme obsessionnel qui a abouti à cette approche unilatérale. Lorsque vous ne vous souciez tout simplement pas de ce qui se passe dans le monde et que vous ne voulez pas diriger, pourquoi vous soucieriez-vous de ce que pensent vos alliés? En réalité, si vous n’envisagez pas de vous impliquer, pourquoi auriez-vous besoin d’alliés?
Le symptôme le plus flagrant a été le retrait des troupes d’Afghanistan l’été dernier, qui s’est produit sans aucune coordination avec les alliés. «Les Américains viennent de quitter le pays», m’indique une source. Les alliés ont dû se démener pour faire face aux répercussions de la décision hâtive de Washington. L’ancienne chancelière allemande, Angela Merkel, qui n’a pas critiqué directement les États-Unis, a déclaré que le retrait était une «situation extrêmement amère. Amère, dramatique et terrifiante».
Si l’administration Biden prétend mettre l’accent sur la démocratie, les droits de l’homme, les relations institutionnelles et le multilatéralisme, la réalité est totalement différente. Elle est différente simplement parce que les États-Unis n’ont plus d'intérêt majeur dans les affaires mondiales et que la primauté sur la scène internationale n’est plus un objectif en soi. L’administration Biden se concentre davantage sur les problèmes nationaux. Cependant, les États-Unis doivent garder à l’esprit que leur économie solide, et une grande partie de la prospérité dont jouit l’Américain moyen, peuvent être en partie attribuées à la position du pays sur la scène mondiale. À titre d’exemple, les concessions pétrolières dont les entreprises américaines ont bénéficié dans le golfe Arabique ont été attribuées au pays de l’oncle Sam pour une raison; outre le facteur économique, les alliances de ces pays avec les États-Unis ont joué un rôle important.
L’idéologie de l’isolationnisme a commencé avec Barack Obama, qui répondait à l’opinion populaire, après que les guerres de George W. Bush ont poussé les Américains à bout. Elle s’est poursuivie avec l’approche «America first» de Donald Trump. Cependant, avec l’administration Biden, cette idéologie a atteint de nouveaux sommets – et cet isolationnisme est le moteur de l’unilatéralisme.

«L’égoïsme des États-Unis dans les affaires internationales éclipse le bien commun de l’alliance transatlantique.» – Dr Dania Koleilat Khatib

La logique sous-jacente est la suivante: «Nous faisons le minimum pour protéger nos intérêts et le monde doit prendre soin de lui-même». Avant d’entamer des négociations avec les Russes sur l’Ukraine, M. Biden a clairement indiqué que l’option militaire n’était pas réaliste pour les États-Unis. L’Ukraine se sentant menacée, les États-Unis ont déclaré qu’ils n’enverraient pas de soldats pour défendre leur allié. Quand vous adoptez cette attitude, comment voulez-vous que vos alliés vous fassent confiance? Plus important encore, lors des négociations avec les Russes, les États-Unis n’ont pas inclus leur allié menacé ou leurs partenaires européens. Cet unilatéralisme ébranle la confiance des alliés et représente, pour vos ennemis, un signe de faiblesse.
Le dirigeant russe, Vladimir Poutine, semble très confiant. Il fait face à la menace américaine de sanctions avec sa propre menace de couper les ponts avec les États-Unis. Où est le respect que les États-Unis peuvent imposer à leurs ennemis? Désormais, alors que les États-Unis négocient également avec l’Iran à Vienne, les Iraniens refusent de parler directement avec Washington. Cela n’est-il pas humiliant au plus haut point? Vous négociez avec une partie qui refuse de vous parler.
Pour que les États-Unis puissent redorer leur blason sur la scène mondiale, ils doivent commencer par montrer un engagement ferme envers leurs alliés et une détermination face à leurs ennemis. Ils devraient également démontrer à leurs alliés que leur récit politique n’est pas dépourvu de sens et qu’il peut se traduire par des mesures concrètes si nécessaire. Si ces actions ne sont pas mises en œuvre, nous assisterons au déclin des États-Unis en tant que puissance mondiale et à celui de l’Occident. Cela portera un coup dur aux démocraties libérales du monde entier. Si les États-Unis ne veulent pas en arriver là, ils devraient inverser leur approche unilatérale et assurer la liaison avec leurs alliés sur les questions de politique étrangère.


Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheur affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com