L'UE continue de critiquer fortement la Turquie au sujet du conflit en Méditerranée

Le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis à son arrivée au bâtiment du Conseil Européen à Bruxelles, le deuxième jour d'un sommet de l'UE (Fichier/AFP).
Le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis à son arrivée au bâtiment du Conseil Européen à Bruxelles, le deuxième jour d'un sommet de l'UE (Fichier/AFP).
Short Url
Publié le Mardi 13 octobre 2020

L'UE continue de critiquer fortement la Turquie au sujet du conflit en Méditerranée

L'UE continue de critiquer fortement la Turquie au sujet du conflit en Méditerranée
  • La Grèce et Chypre ont activement exercé des pressions avant le sommet pour imposer des sanctions à la Turquie
  • Une solution équitable aux relations turco-grecques ne peut être trouvée qu’à travers une approche impartiale

Le Conseil Européen a organisé ce mois-ci un sommet spécial pour débattre d'un certain nombre de questions. Parmi elles figurait l’approche de l’UE à l’égard des relations Turquie-Grèce.

La Grèce et Chypre ont activement exercé des pressions avant le sommet pour imposer des sanctions à la Turquie. La seule faveur faite à Ankara a été de commencer les « conclusions » du sommet avec un discours moins négatif, avant de passer aux questions plus délicates. Le chapitre sur la Turquie commence par affirmer que l'UE « a un intérêt stratégique dans un environnement stable et sûr en Méditerranée orientale, ainsi que dans l’élaboration d'une relation de coopération mutuellement bénéfique avec la Turquie. »

Si le communiqué est moins sévère que prévu à l’égard de la Turquie, c’est grâce à l’intervention de la Chancelière allemande Angela Merkel, en vue de parvenir à un texte plus équilibré. Les conclusions du sommet ne permettent pas d’imposer des sanctions, mais l’épée de Damoclès est toujours suspendue au-dessus d’Ankara.

Une fois que le texte a pris en compte les aspects relativement positifs des relations de la Turquie avec l’UE, il revient ensuite à la pratique établie de donner la priorité aux intérêts nationaux de ses États membres, indépendamment du fait qu’ils soient justifiés ou non. Ce faisant, l'UE ignore que la Turquie est également un pays de la Méditerranée orientale et a des droits souverains et légitimes dans la région, comme enregistré auprès du secrétaire général des Nations Unies.

La Turquie a également signé un accord sur la Méditerranée orientale avec le Gouvernement d'Entente Nationale de la Libye reconnu par l'ONU, et l'a enregistré auprès du secrétaire général de l'ONU. La Grèce a signé un accord similaire avec l'Égypte, cependant que les deux accords délimitent des zones de juridiction maritime qui se chevauchent. Le droit international prévoit que, dans de telles circonstances, les deux parties au conflit doivent s'asseoir à une table de négociation.

Lors de la signature de l'accord Grèce-Égypte sur la délimitation de leurs zones de juridiction maritime, Le Caire a agi de manière plus responsable en ne donnant pas son accord pour la délimitation du territoire maritime grec autour de Kastellorizo ​​- une petite île grecque proche de la côte turque.

Il existe des obstacles à la résolution pacifique des conflits entre la Turquie et la Grèce sur la question de leurs zones de juridiction maritime respectives. La Grèce, au stade de la ratification de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, a soumis une déclaration écrite à l'ONU disant qu'elle ne reconnaît pas la compétence de la Cour Internationale de Justice (CIJ) sur le statut démilitarisé de plusieurs îles grecques dans la mer Égée, et l’étendue des eaux territoriales grecques.

Le sommet n’a pas imposé de sanctions, mais l’épée de Damoclès est toujours suspendue au-dessus de la Turquie.

La Grèce a fait cette déclaration conformément aux dispositions de l’Article 36, alinéa 2 du statut de la CIJ. Il n'y a donc rien d'illégal, mais c'est une application «à la carte» du droit international. La Turquie n’y verrait toutefois pas d’objection car la délimitation de sa zone de juridiction maritime et de celle de la Grèce est un cas extrêmement spécifique. Par conséquent, une solution équitable aux relations turco-grecques ne peut être trouvée qu’à travers une approche impartiale et des relations de bon voisinage. Sinon, les tensions domineront les relations entre eux, et Athènes se sentira inutilement menacée.

La Grèce s’est plainte à plusieurs reprises que les activités de forage de la Turquie dans la mer Égée menaçaient de causer des dommages irréparables à ses droits. La CIJ, dans sa décision du 11 septembre 1976, a rejeté la demande de la Grèce et a déclaré qu’il n’y avait pas de risque suffisant de « préjudice irréparable » aux droits de la Grèce. Après une plainte similaire de la Grèce, la CIJ, le 19 décembre 1978, a estimé qu '« elle n'avait pas compétence pour connaître de la demande de la Grèce » concernant les activités de la Turquie dans la mer Égée.

Ayant échoué dans des initiatives précédentes de tenir la Turquie responsable, avec des organes judiciaires internationaux, la Grèce a cette fois porté l'affaire devant un organe où Ankara n'est pas représentée. L’UE a soutenu les revendications unilatérales de la Grèce et a méconnu les droits légitimes de la Turquie.

Revenant au sommet européen de ce mois-ci, les conclusions sont passées à un ton menaçant, mettant en garde contre des sanctions, en ces termes: «Le Conseil Européen continuera à suivre de près les développements et reviendra en conséquence sur la question pour prendre les décisions appropriées, au plus tard lors de sa réunion de décembre.»

La question de savoir si la Turquie a été impressionnée ou alarmée par les avertissements de l’UE est un autre problème. Elle n’a certainement pas attendu pour critiquer vivement l’approche unilatérale de l’Union face au conflit.

La Turquie et la Grèce ont tout au moins décidé de reprendre leurs fameuses « discussions exploratoires. » Elles ont été interrompues en 2016 après leur 60e réunion, malgré le fait que près de 90% des questions en suspens avaient fait l'objet d'un accord. Quelles que soient les raisons de leur interruption, c'est une bonne nouvelle qu'elles aient maintenant repris.

Serait-ce le début d'une nouvelle ère dans les relations turco-grecques? Seul le temps nous le dira.

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie, et membre fondateur du parti AK au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur www.Arabnews.com