La désinformation permet à Israël de s’en tirer avec ses meurtres

Une femme passe devant une peinture murale représentant Shireen Abu Akleh, une journaliste d’Al Jazeera qui a été assassinée à Jénine en mai. (AFP)
Une femme passe devant une peinture murale représentant Shireen Abu Akleh, une journaliste d’Al Jazeera qui a été assassinée à Jénine en mai. (AFP)
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Publié le Dimanche 10 juillet 2022

La désinformation permet à Israël de s’en tirer avec ses meurtres

La désinformation permet à Israël de s’en tirer avec ses meurtres
  • Non seulement Israël répand de manière proactive la désinformation et utilise des facilitateurs pour se défendre, mais le pays dupe le monde brillamment au moyen de sa prétendue haute autorité morale
  • Mais malgré la nature douce et proactive des autorités israéliennes, le monde commence lentement à voir la supercherie

La journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh a été abattue par un soldat ou un tireur d’élite israélien à l’aube du 11 mai près du camp de réfugiés de Jénine. Des témoins et des séquences vidéo confirment clairement qu’au moment de son assassinat, il n’y a eu aucun échange de tirs avec des Palestiniens.

Des groupes de défense des droits de l’homme et des journalistes d’investigation au sein de principaux médias internationaux, dont le Washington Post, CNN et le New York Times, ont prouvé sans l’ombre d’un doute que la journaliste a été tuée par les Israéliens, mais ces derniers n’ont toujours pas étés tenus responsables pour leurs actes. Pourquoi? Qu’ont fait les autorités israéliennes pour leur permettre d’échapper à la responsabilité internationale?

La réponse est complexe, mais elle se résume à deux raisons fondamentales: une campagne de désinformation rapide et efficace et l’aide de facilitateurs des médias, de la politique et des gouvernements mondiaux.

Quelques minutes après qu’un soldat israélien a tué par balle une journaliste professionnelle accréditée, les Israéliens ont pu diffuser des séquences vidéo qui ont contribué à permettre à Israël de s’en tirer. Cette seule vidéo a brouillé les pistes et remis en question la responsabilité d’Israël dans ce crime évident.

En inondant les réseaux sociaux avec cette vidéo, les autorités israéliennes ont pu répandre un récit fabriqué qui a permis aux gens de soupçonner que la journaliste avait peut-être été tuée par une balle perdue palestinienne.

La question des balles est un autre effort déployé par Israël pour prétendre que les Palestiniens cachent peut-être quelque chose. Les exigences des Palestiniens de mener une enquête indépendante ont été contournées par une demande israélienne de voir la balle qui a tué la journaliste. Et quand, sous pression et promesse de neutralité, les États-Unis ont été autorisés à voir la balle, les Américains ont fait volte-face et ont permis aux Israéliens de brouiller les pistes en entretenant la flamme du doute.

Non seulement Israël répand de manière proactive la désinformation et utilise des facilitateurs pour se défendre, mais le pays dupe le monde brillamment – bien que crûment – avec sa prétendue haute autorité morale et son indignation bien placée, contrairement aux Palestiniens qui célèbrent souvent leurs actes de résistance.

Même si elles ont tué la journaliste Abu Akleh et que leur police a interrompu ses funérailles, les autorités israéliennes ont pris soin d’utiliser un ton doux dans les médias, exprimant leur chagrin et semblant chercher la vérité sur ce qui s’est passé, même si elles connaissaient cette vérité depuis le moment où elle a été abattue.

«L’affaire Abu Akleh continuera de hanter les autorités israéliennes jusqu’à ce qu’elles disent la vérité et révèlent au monde l’identité du soldat qui lui a tiré dessus.»- Daoud Kuttab

Les soldats israéliens sont très disciplinés et il est rare qu’un soldat tire au hasard un coup mortel. Les Israéliens continuent cependant d’affirmer que cette affaire est le résultat de l’«adversité» et qu’ils poursuivront leur quête de vérité.

Benny Gantz, le ministre israélien de la Défense, a publié un tweet, exprimant son chagrin face à la mort de la journaliste. Il insiste sur le fait que l’armée israélienne «respecte les normes les plus élevées» et continuera d’enquêter sur le meurtre de la journaliste. Il dit, dans le New York Times que «la vérité professionnelle et morale est inséparable de notre résilience nationale; le ministère de la Défense s’est engagé à découvrir la vérité».

Il n’y a rien de plus faux. Le New York Times lui-même avait conclu qu’Israël était responsable de la mort d’Abu Akleh, mais a publié la déclaration de Gantz sans aucune réserve.

L’armée israélienne elle-même avait officiellement annoncé qu’elle n'enquêterait pas sur l’affaire et avait même donné une raison totalement inacceptable à cette décision, à savoir que le «département des enquêtes criminelles de la police militaire israélienne estime qu’une enquête qui traite les soldats israéliens comme des suspects conduira à une opposition au sein de la société israélienne».

Bien que la désinformation israélienne et les fausses allégations d’indignation vertueuse puissent avoir un effet, elles n’ont pas complètement étouffé les voix de ceux qui recherchent la vérité, y compris les membres du Congrès américain, la famille d’Abou Akleh et les personnes de bonne volonté du monde entier.

Shireen Abu Akleh n’est pas la première journaliste ou civile tuée par des soldats de l’occupation israélienne qui sont traités en toute impunité. L’affaire n’est pas non plus la première où des responsables israéliens fabriquent des contre-récits et inventent des «faits» alternatifs pour dissimuler la vérité.

Mohammed el-Halabi est toujours en prison six ans après avoir été faussement accusé d’avoir détourné cinquante millions de dollars d’une organisation caritative chrétienne américaine. Il s’agit d’un autre cas flagrant de mensonges, d’informations fabriquées et d’utilisation de données secrètes pour incriminer un Palestinien innocent et humanitaire pour des raisons politiques.

La désignation par Israël l’année dernière de six organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme comme organisations «terroristes» est un autre exemple clair de ces mensonges et de cette désinformation.

Mais malgré la nature douce et proactive des autorités israéliennes, le monde commence lentement à voir la supercherie. L’Union européenne, par exemple, a ignoré les revendications israéliennes et a accepté de continuer à financer les organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme. Chris Van Hollen, un sénateur américain du Maryland, n’a pas accepté le brouillage et les justificatifs américano-israéliens et a insisté à ce qu’une enquête indépendante authentique et approfondie soit menée dans le cadre du meurtre de la journaliste Abu Akleh.

L’affaire Abu Akleh continuera de hanter les autorités israéliennes jusqu’à ce qu’elles disent la vérité et révèlent au monde l’identité du soldat qui lui a tiré dessus, pour quelle raison elle a été abattue, qui a donné l’ordre de tirer et, surtout, qu’elles confirment que le tireur et l’officier qui a ordonné la fusillade feront l’objet d’une enquête approfondie, seront tenus pour responsables et pourront écoper d’une peine à la hauteur du crime commis.

Daoud Kuttab est un journaliste palestinien plusieurs fois primé. Il est originaire de Jérusalem.

Twitter: @daoudkuttab

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com