Police judiciaire: des centaines de policiers et magistrats de nouveau rassemblés contre la réforme

Le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin salue un policier (Photo, AFP).
Le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin salue un policier (Photo, AFP).
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Publié le Lundi 17 octobre 2022

Police judiciaire: des centaines de policiers et magistrats de nouveau rassemblés contre la réforme

  • La réforme, voulue par le ministre de l'Intérieur, prévoit de placer tous les services de police du département - renseignement, sécurité publique, police aux frontières et PJ - sous l'autorité d'un seul Directeur départemental de la police nationale
  • Les agents de la PJ, chargée des crimes et enquêtes les plus graves, seraient intégrés à une filière investigation avec leurs collègues chargés de la délinquance au quotidien

PARIS : "Touche pas à ma PJ": des centaines d'enquêteurs de police judiciaire hostiles à la réforme de leur filière se sont rassemblés lundi partout en France pour tenter, avec le soutien de magistrats et d'avocats, de convaincre Gérald Darmanin de renoncer à son projet.

L'inscription "liquidation judiciaire" ou des portraits de Georges Clemenceau, le fondateur des "brigades du Tigre", ancêtre de la PJ, une larme de sang rouge à l’œil, scotchés sur leurs gilets: les opposants se sont réunis à la mi-journée "dans 36 villes", selon l'Association nationale de la police judiciaire (ANPJ).

La réforme, voulue par le ministre de l'Intérieur, prévoit de placer tous les services de police du département - renseignement, sécurité publique, police aux frontières et PJ - sous l'autorité d'un seul Directeur départemental de la police nationale (DDPN), dépendant du préfet.

Les agents de la PJ, chargée des crimes et enquêtes les plus graves, seraient intégrés à une filière investigation avec leurs collègues chargés de la délinquance au quotidien. Les détracteurs du projet pointent un risque de "nivellement vers le bas" et de renforcement du poids du préfet, sous tutelle de l'exécutif, dans les enquêtes.

A Nanterre, 200 à 300 fonctionnaires des offices centraux de la PJ, se sont rassemblés derrière une banderole: "les offices contre la DDPN". Des magistrats des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), en robe, les ont rejoints.

A Lyon, environ 150 officiers de police, magistrats ou avocats se sont retrouvés devant le Palais de justice.

Les grandes mobilisations de policiers depuis 20 ans

Avant les rassemblements prévus lundi dans plusieurs villes de France contre la réforme de la police judiciaire, voici un rappel des grandes mobilisations de policiers depuis 20 ans:

2021: meurtre d'un policier 

Le 19 mai, des milliers de policiers se rassemblent devant l'Assemblée nationale pour dénoncer la violence croissante à laquelle ils se disent confrontés et l'inadéquation de la réponse judiciaire, deux semaines après le meurtre d'Éric Masson, un brigadier tué sur un point de deal à Avignon. Des personnalités politiques de tous bords se joignent au rassemblement, dont le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin.

2020: «dénigrés»

En juin, multiples rassemblements de policiers à la suite du projet d'abandon de la clé d'"étranglement" annoncé par le gouvernement après des manifestations contre les violences policières. Le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, avait également demandé la suspension de policiers en cas de "soupçons avérés" de racisme, avant de reconnaître une "maladresse". La technique d'interpellation controversée sera finalement supprimée bien plus tard.

En décembre, plusieurs centaines de policiers se rassemblent à Paris, Nantes ou Bordeaux, se disant "dénigrés" après des propos d'Emmanuel Macron reconnaissant notamment qu'il existait "des violences par des policiers".

2019: «marche de la colère»

Le 2 octobre, quelque 27 000 policiers, selon les organisateurs, défilent à Paris pour une "marche de la colère".

Au coeur de la protestation, une usure opérationnelle liée au mouvement social des "gilets jaunes", où la police a été accusée de violences, un bond des suicides au sein de la police nationale et des craintes liées au projet de réforme des retraites.

2016: prime et «haine anti-flics»

En avril, plusieurs milliers de policiers manifestent à Paris pour réclamer l'augmentation d'une "prime de risque" à la suite des attentats et de l'instauration de l'état d'urgence.

En mai, des centaines de policiers manifestent pour dénoncer la "haine anti-flics" lors des manifestations contre la réforme du droit du travail. En marge d'une marche contre les violences à l'encontre des forces de l'ordre à Paris, deux policiers sont attaqués et leur voiture incendiée.

2015: policier blessé 

Des milliers de policiers manifestent le 14 octobre, après qu'un de leurs collègues a été grièvement blessé en Seine-Saint-Denis par un braqueur en cavale.

 2014: «paupérisation»

Plusieurs milliers de policiers défilent à Paris le 13 novembre pour dénoncer "une paupérisation constante des services" et "le mal-être" dans la police.

2012: mise en examen

Des manifestations de centaines de policiers se succèdent durant plusieurs semaines pour protester contre la mise en examen d'un de leurs collègues pour homicide volontaire. Celui-ci avait abattu un multirécidiviste en cavale en Seine-Saint-Denis le 25 avril.

2009: «politique du chiffre»

Dans toute la France, plusieurs milliers de policiers dénoncent le 3 décembre une "politique du chiffre, quotas de contraventions et effectifs en baisse".

2007: changement de statut 

Le 8 décembre, plusieurs milliers d'officiers de police manifestent à Paris contre un changement de leur statut.

2001: meurtre de policiers 

Le tiers des 114 000 policiers de France, de tous grades, manifeste durant deux semaines, après le meurtre de deux policiers le 16 octobre, au Plessis-Trévise (Val-de-Marne) par un braqueur récidiviste libéré alors qu'il était en détention provisoire, et après les blessures reçues par deux autres dans une fusillade à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) le 7 novembre.

«Retours alarmants»

Ce qui nous inquiète le plus "c'est une perte de moyens et d'être saturés par le contentieux de masse que traite actuellement la sécurité publique", a déclaré Yann Bauzin, président de l'ANPJ.

"Si on vient au renfort de collègues qui sont saturés avec 300 procédures sur leur bureau, moi qui actuellement fait des enquêtes qui durent parfois plusieurs années et qui a dix dossiers sur mon bureau, il est bien évident qu'un dossier de plus, c'est 10% de mon temps qui est distrait", a-t-il détaillé.

Dans le Sud Est de la France, 80 manifestants étaient présents en Corse ou à Nice, où le député LR des Alpes-Maritimes Eric Ciotti est venu "soutenir ce mouvement de protestation".

Devant la préfecture de l'Hérault à Montpellier, il y avait 150 à 200 manifestants.

"Les premiers retours d'expérience des sites pilotes (de la réforme) dans les Pyrénées-Orientales et l'Hérault sont alarmants", y a déclaré Catherine Konstantinovitch, présidente de chambre à la cour d'appel de Montpellier et déléguée régionale de l'Union syndicale des magistrats (USM).

"L'autorité judiciaire est identifiée comme un simple gestionnaire de flux, les priorités de politique générale définies par les procureurs ne sont pas respectées et la justice a perdu ses interlocuteurs spécifiques à la police judiciaire", a-t-elle déploré.

«Haie du déshonneur»

A Strasbourg, environ 60 agents de police et une vingtaine de magistrats se sont mobilisés. Ils étaient également une cinquantaine à Brest et à Lille, où les magistrats arboraient des panneaux "touche pas à ma PJ".

Marion Cackel, juge d'instruction de la JIRS de Lille et présidente de l'association française des magistrats instructeurs, a pris la parole pour dénoncer la réforme et l'effondrement des moyens des enquêteurs depuis vingt ans, "mal-traités, sous-payés". "Il y a 17 000 OPJ en France pour 3,9 millions de nouvelles procédures par an, sans compter les stocks".

Depuis fin août, la contestation monte dans les rangs des 5 600 personnels de PJ. Elle s'est élargie le 7 octobre avec le limogeage d'Eric Arella, le patron respecté de la PJ dans la zone sud, qui a suscité un tollé.

M. Arella payait la visite houleuse, la veille, du directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, à Marseille.

Venu défendre la réforme, ce dernier avait dû traverser une "haie du déshonneur" formée de 200 enquêteurs opposés au projet. La vidéo de la traversée de cet ancien numéro 2 de la PJ est vite devenue virale sur les réseaux sociaux.

Deux jours plus tard, Gérald Darmanin a concédé quelques amendements mineurs et renvoyé la mise en œuvre du projet après le premier semestre 2023 et la reprise des discussions à la mi-décembre après un audit. Mais sans toutefois remettre en cause une réforme selon lui "courageuse et indispensable".


Décès de Jean-Claude Gaudin, longtemps maire et incarnation de Marseille

Le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, pose lors d'une séance photo dans son bureau de Marseille, dans le sud de la France, le 12 octobre 2017 (Photo, AFP).
Le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, pose lors d'une séance photo dans son bureau de Marseille, dans le sud de la France, le 12 octobre 2017 (Photo, AFP).
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  • S'il a incarné cette cité méditerranéenne, ses dernières années de mandat ont été critiquées
  • Sa dépouille sera ramenée ultérieurement à Marseille, où la population pourra lui rendre un hommage avant son inhumation à une date encore à déterminer au cimetière de Mazargues

MARSEILLE: Jean-Claude Gaudin, ancien maire de Marseille, la deuxième ville de France qu'il a incarnée et dirigée pendant 25 ans, et longtemps figure de la vie politique à droite, est décédé dimanche à l'âge de 84 ans.

"Jean-Claude Gaudin n'est plus. Il était Marseille faite homme. De sa ville, sa passion, il avait l'accent, la fièvre, la fraternité. Pour elle, cet enfant de Mazargues (quartier du sud de Marseille, ndlr) s'était hissé aux plus hauts postes de la République qu'il a servie. Je pense à ses proches et aux Marseillais", a écrit le président Emmanuel Macron sur le réseau social X.

L'ancien maire a été victime d'un arrêt cardiaque dans la matinée dans sa résidence secondaire varoise de Saint-Zacharie et n'a pu être ranimé par les pompiers, a indiqué à l'AFP une source de son entourage, précisant que Jean-Claude Gaudin était "fatigué" mais que "rien ne laissait présager" son décès soudain.

Sa dépouille sera ramenée ultérieurement à Marseille, où la population pourra lui rendre un hommage avant son inhumation à une date encore à déterminer au cimetière de Mazargues, a précisé cette source.

Les drapeaux de la mairie centrale de Marseille, sur l'emblématique Vieux-Port, ont été mis en berne, a constaté une journaliste de l'AFP.

Ancien sénateur, député et ministre de l'Aménagement du territoire, de la Ville et de l'Intégration sous Jacques Chirac entre 1995 et 1997, Jean-Claude Gaudin a surtout été maire de Marseille, la ville où il est né, de 1995 à 2020.

S'il a incarné cette cité méditerranéenne, ses dernières années de mandat ont été critiquées pour leur "immobilisme" par ses adversaires, et même certains alliés, et marquées par la tragédie de la rue d'Aubagne, le 5 novembre 2018. Deux immeubles insalubres d'un quartier populaire du centre - dont un propriété de la Ville - s'effondrent. Huit personnes meurent ensevelies.

L'onde de choc révèle l'ampleur du logement indigne dans une ville où 40.000 personnes vivent dans des taudis. Les associations accusent la mairie d'avoir ignoré les alertes. Dans la foulée, des milliers de personnes sont évacuées de logements déclarés en "péril imminent".

"Ça me hante chaque jour, en 24 ans je n'ai jamais connu un drame pareil", avait confié à l'AFP Jean-Claude Gaudin.

«Sa trace restera»

Deux ans plus tard, alors que ses héritiers potentiels à droite étaient divisés, certains ayant rejoint Emmanuel Macron, une coalition gauche-écologistes-société civile remportait la mairie après des élections municipales à rebondissements.

L'actuel maire divers gauche, Benoît Payan, qui ne ménageait pas ses critiques dans l'opposition et a souvent assuré avoir récupéré avec ses équipes une ville dans un état "lamentable", lui a rendu hommage sur X: "Jean-Claude Gaudin paraissait insubmersible. Son départ me peine infiniment. A celui qui aimait tellement Marseille, son histoire et ses habitants, je veux rendre un hommage ému et sincère. Il manquera à cette ville. Sa trace restera."

"Jean-Claude Gaudin était comme un père pour moi, tout le monde le sait mais je veux l'écrire. Un grand homme d'État, un inoubliable maire de Marseille dans notre Histoire bimillénaire, et surtout un homme avec un cœur énorme", a réagi de son côté sur X Martine Vassal, son "héritière" présomptive et malheureuse pour la mairie au 2020, aujourd'hui présidente de droite du département et de la métropole Aix-Marseille-Provence.

"Il a servi cette ville et a su l'incarner, avec un talent exceptionnel. Il a aussi servi la France, son pays, et il fut un grand maire. Il laissera une trace indélébile," a réagi le président le président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, Renaud Muselier (Renaissance), qui fut son premier adjoint pendant plus de 10 ans et avait un temps espéré lui succéder à la mairie.

Le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, a salué, "derrière cette vie consacrée à la chose publique (...) l'homme de coeur et l'amoureux de sa chère ville de Marseille". Catholique affiché, Jean-Claude Gaudin avait assisté aux premières loges à la visite du pape François en septembre dans la cité phocéenne, souvent aux côtés de M. Payan et du cardinal Aveline, qui le qualifie dans son hommage "d'ami toujours fidèle".

Le président des LR Eric Ciotti a salué un homme qui "aimait Marseille plus que tout". "J'aimais sa gouaille. J'admirais son courage. J'écoutais ses conseils. Je suis fier d’avoir travaillé à ses côtés. Ma peine est immense, je perds un ami".


La Nouvelle-Calédonie toujours en proie aux blocages avant un Conseil de défense à Paris

Samedi, le gouvernement néo-calédonien a estimé à 3.200 le nombre de personnes bloquées, qui ne peuvent ni quitter ni rejoindre l'archipel. (AFP).
Samedi, le gouvernement néo-calédonien a estimé à 3.200 le nombre de personnes bloquées, qui ne peuvent ni quitter ni rejoindre l'archipel. (AFP).
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  • Les blocages de routes persistent en Nouvelle-Calédonie, malgré les moyens engagés par l'Etat français pour rétablir la circulation dans son territoire du Pacifique Sud, avant un nouveau Conseil de défense convoqué lundi à Paris
  • Permettre la circulation sur la voie express puis la route qui mène vers cet aéroport est le premier objectif des autorités françaises.

NOUMEA: Les blocages de routes persistent en Nouvelle-Calédonie, malgré les moyens engagés par l'Etat français pour rétablir la circulation dans son territoire du Pacifique Sud, avant un nouveau Conseil de défense convoqué lundi à Paris par le président Emmanuel Macron.

Permettre la circulation sur la voie express puis la route qui mène vers cet aéroport est le premier objectif des autorités françaises.

"La situation est vraiment préoccupante", a déclaré lundi le chef du gouvernement australien Anthony Albanese à la télévision ABC.

De même que la Nouvelle-Zélande, Canberra a demandé durant le week-end à pouvoir poser des avions afin de pouvoir rapatrier ses concitoyens, alors que l'aéroport est toujours fermé aux vols commerciaux.

Samedi, le gouvernement néo-calédonien a estimé à 3.200 le nombre de personnes bloquées, qui ne peuvent ni quitter ni rejoindre l'archipel.

Après une semaine d'émeutes et un bilan de six morts, aucune issue proche à la crise sécuritaire et politique ne semble se dessiner lundi, jour férié. En cause, une réforme du corps électoral contestée par les représentants du peuple autochtone kanak qui redoutent une réduction de leur poids.

Malgré une vaste opération des forces de l'ordre lancée dimanche, les voies de communication restent bloquées lundi là où les émeutiers ont installé leurs barrages, notamment dans l'agglomération de Nouméa et sur la route d'une cinquantaine de kilomètres qui mène à l'aéroport international.

« On a remis le barrage »

A la sortie de Nouméa, la chaussée du début de la voie express est impraticable, le bitume ayant fondu après l'incendie de nombreux véhicules, a constaté une journaliste de l'AFP. Ailleurs, la route reste encombrée à de nombreux endroits de carcasses de voitures brûlées, ferraille et bois entassés.

Le représentant de l'Etat français en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc, s'est pourtant félicité lundi du "succès" du début d'une vaste opération de la gendarmerie contre les barrages sur cette route, lancée à l'aube dimanche, faisant état de "76 barrages neutralisés".

D'autres actions des unités d'élite de la police et de la gendarmerie ont été annoncées dans des zones considérées par les autorités comme des "points durs", dans les villes de Nouméa, Dumbéa et Païta notamment.

Dans la nuit de dimanche à lundi, des bruits de grenades de désencerclement, utilisées par les forces de l'ordre pour disperser les émeutiers, ainsi que des cris évoquant des affrontements ont été entendus dans le quartier d'Auteuil à Dumbéa, dans l'agglomération de Nouméa, selon un correspondant de l'AFP.

Et dans la "capitale" calédonienne, des détonations importantes ont résonné dans les quartiers de Magenta et Tuband, selon une autre journaliste de l'AFP.

Lundi matin, la zone industrielle où se trouve la Société du nickel, dans le quartier de Montagne coupée à Nouméa, a vu l'incendie d'un entrepôt dont se dégageait une épaisse fumée noire.

Les gendarmes "sont passés, ils ont déblayé, et nous, on est restés sur le côté", a confié dimanche à l'AFP Jean-Charles, la cinquantaine, tête enturbannée d'un foulard et drapeau kanak à la main à La Tamoa, à quelques kilomètres de l'aéroport. "Une fois qu'ils sont passés, on a remis le barrage".

Les violences ont fait six morts, le dernier en date samedi, un Caldoche (Calédonien d'origine européenne), dans la province Nord. Les cinq autres morts sont deux gendarmes et trois Kanak (autochtones), dans l'agglomération de Nouméa.

Risque d'«escalade»

Les forces de l'ordre estiment le nombre d'émeutiers entre 3.000 et 5.000.

"Nous restons dans une démarche pacifique", a indiqué dans un communiqué lundi la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), collectif indépendantiste accusé par les autorités d'attiser les violences.

La CCAT se défend en indiquant qu'elle a seulement appelé à des barrages "filtrants", qui laissent le passage à certains véhicules, y compris les pompiers ou ambulances à toute heure, et en arrêtent d'autres.

La maire de Nouméa, Sonia Lagarde, a appelé lundi à la retenue. "Moi j'ai peur qu'on ne franchisse une escalade supplémentaire, parce que s'il commence à y avoir des tirs ça veut dire que les gens bien sûr, on le sait, sont armés", a-t-elle déclaré sur la chaîne BFMTV.

Pour le Haut-commissaire de la République, les dégâts contre les infrastructures (écoles, pharmacies, commerces...) pénalisent lourdement la population. "On commence à manquer de nourriture", a-t-il prévenu dimanche.

Couvre-feu 

Les mesures exceptionnelles de l'état d'urgence sont maintenues, à savoir le couvre-feu entre 18h00 et 6h00, l'interdiction des rassemblements, du transport d'armes et de la vente d'alcool et le bannissement de l'application TikTok.

La réforme constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres vise à élargir le corps électoral aux scrutins provinciaux de Nouvelle-Calédonie, au risque de marginaliser "encore plus le peuple autochtone kanak", selon les indépendantistes. Elle a été adoptée par les députés, après les sénateurs, dans la nuit de mardi à mercredi.

Ce texte doit encore être voté par les parlementaires réunis en Congrès avant la fin juin, sauf si un accord sur un texte global entre indépendantistes et loyalistes intervient d'ici là.

Signe d'une situation qui pourrait durer, le passage de la flamme olympique des JO de Paris, prévu le 11 juin sur l'île, a été annulé.

Le territoire du Pacifique Sud est stratégique pour la France qui veut renforcer son influence en Asie-Pacifique et de par ses riches ressources en nickel, minerai indispensable à la fabrication des véhicules électriques notamment.


Vaste opération des forces de l'ordre en Nouvelle-Calédonie, après six morts dans des émeutes

Une rue bloquée par des débris et des objets brûlés est visible après les troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024.  (Photo Delphine Mayeur / AFP)
Une rue bloquée par des débris et des objets brûlés est visible après les troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024. (Photo Delphine Mayeur / AFP)
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  • Cette opération «avec plus de 600 gendarmes» vise «à reprendre totalement la maîtrise de la route principale de 60 km entre Nouméa et l’aéroport», a annoncé le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin dans un message sur X
  • Sur la route vers l’aéroport, des indépendantistes filtraient toujours le passage par de très nombreux barrages faits de pierres, d'engins divers ou d'autres objets, en fonction des véhicules qui se présentaient

NOUMÉA, France : L'Etat français a lancé dimanche une vaste opération des forces de l'ordre dans son archipel du Pacifique Sud de Nouvelle-Calédonie pour dégager la route vers l'aéroport, après six morts en six jours d'émeutes contre une réforme électorale.

Cette opération «avec plus de 600 gendarmes» vise «à reprendre totalement la maîtrise de la route principale de 60 km entre Nouméa et l’aéroport», a annoncé le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin dans un message sur X.

Une urgence pour les autorités, d'autant que la Nouvelle-Zélande a annoncé dimanche avoir demandé à la France de pouvoir poser des avions, afin de rapatrier ses ressortissants.

«Nous sommes prêts à décoller, et attendons l'autorisation des autorités françaises pour savoir quand ces vols pourront avoir lieu en toute sécurité», a indiqué dans un communiqué le ministre des Affaires étrangères, Winston Peters.

En l'absence de vols depuis et vers la Nouvelle-Calédonie, suspendus depuis mardi, le gouvernement de l'archipel estimait samedi que 3.200 personnes étaient bloquées, soit parce qu'elles ne pouvaient pas quitter l'archipel, soit parce qu'elles ne pouvaient pas le rejoindre.

- Plus de 3.000 personnes bloquées -

Pour déblayer la route vers l'aéroport, un convoi constitué notamment de blindés et d'engins de chantier à quitté Nouméa, dans un premier temps vers Païta.

Mais des journalistes de l'AFP ont constaté que dimanche à la mi-journée, à Nouméa et dans les communes avoisinantes, des indépendantistes filtraient toujours le passage par de très nombreux barrages faits de pierres, d'engins divers ou d'autres objets, en fonction des véhicules qui se présentaient.

«On est prêt à aller jusqu’au bout, sinon à quoi bon?», a dit un manifestant à l'AFP sur un barrage à Tamoa.

Les violences ont fait six morts, le dernier en date samedi après-midi, un Caldoche (Calédonien d'origine européenne) à Kaala-Gomen, dans la province Nord. Les cinq autres morts sont deux gendarmes et trois civils kanaks, dans l'agglomération de Nouméa.

Dans un communiqué dimanche matin, le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie a fait cependant état d'une nuit «plus calme», soulignant que l'Etat se mobilisait.

«Au total, 230 émeutiers ont été interpellés» en près d'une semaine, a-t-il précisé.

Reprendre le contrôle par la force devrait être un travail de longue haleine pour les forces de l'ordre. La violence dans certains quartiers chaque nuit montre que les émeutiers restent très déterminés.

«La réalité c'est qu'il y a (...) des zones de non-droit (...) qui sont tenues par des bandes armées, des bandes indépendantistes, de la CCAT. Et dans ces endroits, ils détruisent tout», affirmait samedi sur BFMTV le vice-président de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie, Philippe Blaise.

La Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) est une organisation indépendantiste radicale accusée d'inciter à la plus grande violence.

- «Ingérences» -

Nouvel exemple des troubles dans la nuit de samedi à dimanche: d'après la chaîne de télévision publique Nouvelle-Calédonie La 1ère, la médiathèque du quartier de Rivière salée à Nouméa a été incendiée.

Interrogée par l'AFP, la mairie de Nouméa a répondu dimanche matin n'avoir «aucun moyen pour le moment de le vérifier, le quartier étant inaccessible».

La maire de Nouméa, Sonia Lagarde (Renaissance), estimait samedi sur BFMTV que la situation était «loin d'un retour à l'apaisement». «Est-ce qu'on peut dire qu'on est dans une ville assiégée? Oui, je pense qu'on peut le dire», ajoutait-elle.

Les mesures exceptionnelles de l'état d'urgence sont maintenues, à savoir le couvre-feu entre 18H00 et 6H00 (7H00 et 19H00 GMT), l'interdiction des rassemblements, du transport d'armes et de la vente d'alcool, et le bannissement de l'application TikTok.

Signe d'une situation qui pourrait durer, le passage de la flamme olympique en Nouvelle-Calédonie prévu le 11 juin a été annulé.

Pour la population, se déplacer, acheter des produits de première nécessité et se soigner devient plus difficile chaque jour. De moins en moins de commerces réussissent à ouvrir, et les nombreux obstacles à la circulation compliquent de plus en plus la logistique pour les approvisionner, surtout dans les quartiers les plus défavorisés.

Dimanche matin, la province Sud, qui regroupe près des deux tiers de la population, a annoncé que toutes les écoles resteraient fermées dans la semaine.

Les autorités françaises espèrent que l'état d'urgence en vigueur depuis jeudi va faire reculer les violences, qui ont débuté lundi après une mobilisation contre une réforme électorale contestée par les représentants du peuple autochtone kanak, qui redoutent une réduction de leur poids électoral.

Sans faire de lien direct avec les violences, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a accusé l'Azerbaïdjan d'ingérence en Nouvelle-Calédonie, Bakou dénonçant des accusations «infondées».

Le sénateur français Claude Malhuret, rapporteur d'une commission d'enquête sur TikTok, interdit sur l'archipel en raison des émeutes, a lui estimé qu'il fallait plus craindre «des ingérences de la Chine» qui «veut être dans son pré carré en mer de Chine mais également prépondérante dans le Pacifique». «Elle a besoin de nickel pour produire ses batteries», a-t-il expliqué dans un entretien à l'AFP, en référence au minerai brut dont l'archipel détient 20 à 30% des ressources mondiales.