Migrants: une menace de tir de missiles, dernière violence derrière l'accord UE/Libye

Cette photo publiée le 17 novembre 2021 par Médecins sans frontières (MSF) montre des membres de l'équipage de Geo Barents de MSF participant à une opération de recherche et de sauvetage pour secourir des migrants à environ 30 miles des côtes libyennes. (AFP)
Cette photo publiée le 17 novembre 2021 par Médecins sans frontières (MSF) montre des membres de l'équipage de Geo Barents de MSF participant à une opération de recherche et de sauvetage pour secourir des migrants à environ 30 miles des côtes libyennes. (AFP)
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Publié le Dimanche 13 novembre 2022

Migrants: une menace de tir de missiles, dernière violence derrière l'accord UE/Libye

  • Les deux pays ont signé un accord parrainé par l'UE pour empêcher les migrants de traverser la Méditerranée centrale, un texte controversé qui refait débat
  • Malgré les appels à annuler l'accord, celui-ci a été automatiquement renouvelé début novembre, quelques jours après l'entrée en fonction du gouvernement d'extrême droite italien de Giorgia Meloni

ROME: Lorsque les gardes-côtes libyens ont récemment menacé d'abattre l'avion de l'ONG Sea-Watch qui surveillait l'assistance à une embarcation de migrants en Méditerranée, la docteure allemande Leona Blankenstein a d'abord cru avoir mal compris.

"Eloignez-vous des (eaux) territoriales libyennes, sinon nous vous tirons dessus avec des missiles SAM (sol-air)", a averti le Fezzan, l'un des patrouilleurs fournis par l'Italie à la Libye pour intercepter les migrants tentant de quitter le pays déchiré par la guerre.

Les deux pays ont signé un accord parrainé par l'UE pour empêcher les migrants de traverser la Méditerranée centrale, un texte controversé qui refait débat alors que Rome a adopté une ligne dure en matière de politique migratoire.

"C'est très bruyant dans l'avion et j'ai pensé que je les avais peut-être mal compris", a déclaré à l'AFP Mme Blankenstein, qui survolait les eaux maltaises, ce 25 octobre, à bord de l'avion de l'organisation humanitaire allemande Sea-Watch.

L'équipage libyen a fait monter les migrants à leur bord avant de retirer le moteur de leur canot pneumatique et de lui tirer dessus jusqu'à ce qu'il prenne feu, selon Mme Blankenstein et des séquences vidéo diffusées par Sea-Watch.

"C'est arrivé en quelques secondes (...) J'étais inquiète. Leur comportement est très imprévisible", a-t-elle confié, expliquant avoir quitté la zone immédiatement après avoir entendu l'avertissement.

«Très efficace»

Selon les associations, quelque 100 000 personnes ont ainsi été interceptées depuis la signature de l'accord avec la Libye en 2017 par l'Italie et l'UE, qui ont accepté de former et d'équiper les gardes-côtes libyens.

Malgré les appels à annuler l'accord, celui-ci a été automatiquement renouvelé début novembre, quelques jours après l'entrée en fonction du gouvernement d'extrême droite italien de Giorgia Meloni.

L'accord est né sous la pression du grand nombre de réfugiés fuyant les conflits en Syrie, en Irak et en Libye pour trouver refuge en Europe, et après une série de naufrages meurtriers, avec un record de 5.000 morts ou disparus en mer Méditerranée en 2016.

L'objectif était "d'empêcher les pertes de vies humaines en Méditerranée et en même temps de réprimer les réseaux de trafic de migrants et de traite des êtres humains", selon la Commission européenne.

Quelque 3.140 personnes ont été signalées mortes ou portées disparues en 2017 contre 2.062 l'an dernier, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).

"Travailler avec les autorités des pays tiers pour empêcher les migrants d'arriver en Europe a été l'un des principaux axes de la politique européenne", relève Luigi Scazzieri, du groupe de réflexion Centre for European Reform.

L'accord Italie-Libye s'est avéré "très efficace" pour réduire le nombre d'arrivées, du moins dans un premier temps.

«Far West»

Mais des organisations humanitaires dénoncent un "Far West", avec des milices armées se faisant passer pour des gardes-côtes libyens et des cas documentés d'utilisation de balles réelles contre des embarcations de migrants en haute mer.

Les critiques pointent un manque de responsabilité et de transparence sur les destinataires des subventions en Libye. Entre-temps, bon nombre des personnes interceptées se seraient retrouvées dans des centres de détention libyens, comparés par le pape François à des camps de concentration.

Save the Children, Médecins sans frontières et Amnesty International affirment que les migrants en Libye sont torturés, victimes de violences sexuelles ou d'esclavage.

Mais les autorités libyennes démentent. "Les arrestations sont effectuées conformément aux règles en vigueur", a assuré un responsable des migrations.

Les associations affirment également que l'agence de l'UE Frontex, qui utilise des avions pour repérer les migrants en détresse, aide les Libyens.

Pour Felix Weiss, porte-parole de la branche Seabird de Sea-Watch, "les gardes-côtes libyens ne sont pas professionnels, ils ont besoin de la surveillance aérienne et des conseils de l'UE pour trouver les bateaux de migrants".

L'avocat et défenseur des droits humains Arturo Salerni a déclaré à l'AFP que le "refoulement" des migrants des zones européennes de recherche et de sauvetage vers la Libye était, en vertu du droit de l'UE, "illégal si les États européens sont complices".

Interrogé, le gouvernement italien n'a pas donné suite.

Trafic d'êtres humains 

L'Italie accueille des dizaines de milliers de personnes qui tentent chaque année de traverser la Méditerranée centrale, la route migratoire la plus meurtrière au monde.

Le pays a signé de nombreux accords au cours des années 2000 avec l'ex-dictateur libyen Mouammar Kadhafi, renversé et tué en 2011, pour freiner les flux migratoires. Ce partenariat a été suspendu à la suite de l'effondrement du gouvernement libyen et de la condamnation de l'Italie en 2012 par la Cour européenne des droits de l'homme pour avoir intercepté et renvoyé de force des migrants en Libye.

Mais en 2017, Paolo Gentiloni, alors Premier ministre italien de centre-gauche, a signé un nouvel accord avec Fayez al-Sarraj, chef du gouvernement libyen d'union nationale soutenu par l'ONU.

Dès lors, les organisations humanitaires, dont la hotline Alarm Phone utilisée par les migrants en détresse, ont reçu l'ordre "d'alerter plutôt les garde-côtes libyens", a déclaré à l'AFP Chiara Denaro, d'Alarm Phone.

L'accord a aussitôt suscité des critiques, l'ONU sanctionnant plusieurs Libyens en 2018 qui seraient étroitement impliqués dans la traite d'êtres humains.

Parmi eux, Ahmad Oumar al-Dabbashi, dont la milice contrôlait des camps et bateaux et exposait les migrants, y compris mineurs, à "des conditions brutales et parfois mortelles sur terre et en mer", selon l'ONU.

En 2019, le journaliste italien Nello Scavo a révélé qu'un autre trafiquant d'êtres humains, Abd Al Rahman Al-Milad - surnommé Bija - avait participé à des pourparlers en Sicile avec des responsables italiens sur l'élaboration de l'accord de 2017 sur les migrants.

M. Bija a été suspendu des gardes-côtes libyens en 2018 mais est resté impliqué l'année suivante dans le "sauvetage de migrants", selon un rapport de l'ONU cité par M. Scavo.

Deux jours après la menace contre l'avion, Sea-Watch a annoncé avoir la preuve que les gardes-côtes libyens collaboraient avec des passeurs.

L'ONG a publié des photographies d'un bateau de migrants en bois, immatriculé 1688, prises par le Seabird début octobre lors d'une interception par les garde-côtes.

Le même bateau a été photographié trois jours plus tard avec différents migrants à bord, suggérant qu'il avait été ramené en Libye et réutilisé, a rapporté Sea-Watch.

Droits humains 

Au total, l'UE a consacré quelque 59 millions d'euros pour augmenter la capacité opérationnelle des gardes-côtes libyens, y compris pour la formation de quelque 500 membres entre 2015 et 2020, date de l'arrêt de l'opération.

Des pourparlers sont en cours avec les Libyens pour reprendre cette formation, "avec un accent substantiel sur les droits de l'homme et le droit international", a déclaré à l'AFP une porte-parole de l'UE.

La Commission européenne a chargé un sous-traitant indépendant en 2019 de surveiller les opérations en Libye, mais ses rapports ne sont pas rendus publics pour des raisons de sécurité, a-t-elle expliqué.

Pour sa part, l'Italie a affecté au moins 32,5 millions d'euros à des missions de soutien aux gardes-côtes libyens depuis 2017, a déclaré l'organisation humanitaire Arci dans un rapport l'année dernière.

En octobre, le journaliste d'investigation Duccio Facchini a révélé que l'Italie avait dépensé 6,65 millions d'euros supplémentaires pour 14 nouveaux bateaux rapides pour les gardes-côtes libyens il y a quelques mois à peine.

Amnesty a déclaré dimanche qu'il était "honteux" que Rome "continue d'aider les autorités libyennes à violer les droits humains de leur peuple".

Sea-Watch est l'une des organisations humanitaires avec des navires de sauvetage en Méditerranée qui se sont retrouvées dans le collimateur du nouveau gouvernement de Mme Meloni.

Le week-end dernier, l'Italie a refusé d'accorder le droit d'accoster à quatre navires, avant d'en autoriser finalement trois à débarquer. Le quatrième s'est rendu en France, déclenchant un conflit diplomatique entre Paris et Rome.

Le Conseil de l'Europe affirme que l'obstruction des activités de sauvetage des ONG et l'absence d'attribution de ports sûrs et proches pour débarquer les personnes secourues en mer, en l'occurrence en Italie, sont des tactiques qui "semblent viser, implicitement ou explicitement, à +ouvrir le champ+ aux interceptions par les garde-côtes libyens (...) malgré les preuves irréfutables de graves violations des droits humains".


La BBC, dans l'oeil du cyclone, sommée de s'expliquer

Le président de la BBC, Samir Shah, doit s'expliquer lundi au lendemain de la démission retentissante du directeur général du groupe audiovisuel public britannique et de la patronne de sa chaîne d'information BBC News, après le montage trompeur d'un discours de Donald Trump. (AFP)
Le président de la BBC, Samir Shah, doit s'expliquer lundi au lendemain de la démission retentissante du directeur général du groupe audiovisuel public britannique et de la patronne de sa chaîne d'information BBC News, après le montage trompeur d'un discours de Donald Trump. (AFP)
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  • La BBC, institution longtemps chérie des Britanniques mais cible régulière des médias et responsables politiques conservateurs, est dans la tourmente, accusée ces derniers jours d'avoir déformé des propos du président américain dans un documentaire
  • La BBC est mise en cause pour avoir monté des passages différents d'un discours de Donald Trump datant du 6 janvier 2021, jour de l'assaut du Capitole à Washington, de telle façon qu'il semble inciter ses partisans à marcher vers le siège du Congrès

LONDRES: Le président de la BBC, Samir Shah, doit s'expliquer lundi au lendemain de la démission retentissante du directeur général du groupe audiovisuel public britannique et de la patronne de sa chaîne d'information BBC News, après le montage trompeur d'un discours de Donald Trump.

La BBC, institution longtemps chérie des Britanniques mais cible régulière des médias et responsables politiques conservateurs, est dans la tourmente, accusée ces derniers jours d'avoir déformé des propos du président américain dans un documentaire de son magazine d'information phare, "Panorama", diffusé en octobre 2024, une semaine avant la présidentielle américaine.

La BBC est mise en cause pour avoir monté des passages différents d'un discours de Donald Trump datant du 6 janvier 2021, jour de l'assaut du Capitole à Washington, de telle façon qu'il semble inciter ses partisans à marcher vers le siège du Congrès pour se "battre comme des diables".

Or, dans la phrase originale, M. Trump disait: "Nous allons marcher vers le Capitole et nous allons encourager nos courageux sénateurs et représentants et représentantes au Congrès". L'expression "se battre comme des diables" correspondait à un autre passage du discours.

Face à la polémique grandissante, son directeur général, Tim Davie, et la patronne de la chaîne d'information du groupe BBC News, Deborah Turness, ont annoncé dimanche leur démission, qui fait la Une des journaux lundi.

Le président américain a dénoncé les "journalistes corrompus" et "malhonnêtes" de la BBC, sur son réseau Truth Social.

Le président du conseil d'administration du groupe, Samir Shah, doit s'excuser et s'expliquer dans une réponse écrite aux questions de la commission parlementaire sur la culture sur cette affaire, et sur d'autres accusations de partialité sur la couverture de la guerre à Gaza.

"La BBC doit répondre à de graves questions concernant ses normes éditoriales et la manière dont la direction gère les problèmes", a jugé la présidente de la commission, Caroline Dinenage, estimant que le groupe public "se devait d'être exemplaire" face à la montée de la désinformation.

Lundi, la patronne démissionnaire de BBC News a de nouveau assuré qu'il n'y avait "pas de partialité institutionnelle" sur la chaîne, qui a produit le programme mis en accusation.

 

- "Violation des règles" -

 

La classe politique a quasi unanimement critiqué la BBC pour sa gestion de l'affaire, qui tombe d'autant plus mal que le groupe audiovisuel doit renégocier d'ici fin 2027 son nouveau contrat de mission avec le gouvernement.

La cheffe de l'opposition, Kemi Badenoch, a déploré "un catalogue de graves défaillances". Le chef du parti d'extrême droite Reform UK, Nigel Farage, a appelé à "un changement de fond en comble" du groupe public.

La BBC tire une grande part de ses ressources de la redevance annuelle (174,50 livres, soit 198 euros), payée par 22,8 millions de foyers, soit 3,8 milliards de livres.

Samir Shah a dit espérer que le futur directeur général du groupe, dont la nomination pourrait prendre plusieurs mois, "façonnerait positivement" le prochain contrat de mission. la ministre de la Culture, Lisa Nandy, qui a qualifié la situation d'"extrêmement grave", a affirmé que le futur contrat aiderait la BBC à "garantir son rôle" auprès du public.

Le chef du parti libéral démocrate (centriste), Ed Davey, a appelé le Premier ministre Keir Starmer, et la classe politique en général, à défendre la BBC face à Donald Trump et la sphère Maga. "Il est facile de voir pourquoi Trump veut détruire la première source d'information dans le monde. Nous ne pouvons pas le laisser faire", a-t-il prévenu sur la plateforme X.

Le Telegraph a eu connaissance d'une note interne rédigée par l'ancien conseiller indépendant du comité des normes éditoriales de la BBC, Michael Prescott, dans laquelle il suggérait que des erreurs avaient été commises dans le montage. Il affirme que les responsables chargés des normes éditoriales du groupe auprès de qui il a soulevé le problème ont nié toute violation des règles.

En octobre, le régulateur des médias avait épinglé la BBC pour avoir "enfreint les règles de diffusion" à propos d'un reportage à Gaza dans lequel le narrateur principal, un enfant, était le fils d'un haut responsable du mouvement islamiste palestinien Hamas.


Trump reçoit le président syrien, une rencontre historique pour consacrer leur alliance

Le président syrien Ahmad Al-Sharaa, à droite, rencontre des représentants d'organisations syro-américaines à Washington. (Présidence syrienne via AP)
Le président syrien Ahmad Al-Sharaa, à droite, rencontre des représentants d'organisations syro-américaines à Washington. (Présidence syrienne via AP)
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  • Le président intérimaire syrien, dont la coalition islamiste a renversé le dirigeant de longue date Bachar al-Assad en décembre 2024, est arrivé à Washington samedi avec son ministre des Affaires étrangères, Assaad al-Chaibani
  • Dimanche, il a rencontré la directrice générale du Fonds monétaire international, Kristalina Georgieva, et discuté "des potentiels domaines de coopération entre la Syrie et le FMI afin de soutenir le développement et la croissance économique dans le pays"

WASHINGTON: Donald Trump reçoit Ahmad al-Chareh lundi à la Maison Blanche, une première pour un chef d'Etat syrien depuis l'indépendance du pays en 1946 et une consécration pour l'ancien jihadiste qui, en moins d'un an au pouvoir, a sorti son pays de l'isolement.

Le président intérimaire syrien, dont la coalition islamiste a renversé le dirigeant de longue date Bachar al-Assad en décembre 2024, est arrivé à Washington samedi avec son ministre des Affaires étrangères, Assaad al-Chaibani.

Dimanche, il a rencontré la directrice générale du Fonds monétaire international, Kristalina Georgieva, et discuté "des potentiels domaines de coopération entre la Syrie et le FMI afin de soutenir le développement et la croissance économique dans le pays", selon la présidence syrienne.

Après de 13 ans de guerre civile, la Syrie cherche en effet à garantir des fonds pour sa reconstruction, dont le coût pourrait dépasser 216 milliards de dollars, selon la Banque mondiale.

Lors de cette visite historique, Damas devrait signer un accord pour rejoindre la coalition internationale antijihadiste menée par les Etats-Unis, selon l'émissaire américain pour la Syrie, Tom Barrack. Cette question figure "en tête de l'agenda", a confirmé à l'AFP une source diplomatique syrienne.

Les Etats-Unis, eux, prévoient d'établir une base militaire près de Damas, "pour coordonner l'aide humanitaire et observer les développements entre la Syrie et Israël", selon une autre source diplomatique en Syrie.

"Nouveau chapitre" 

La rencontre entre M. Trump et M. Chareh "ouvre un nouveau chapitre dans la politique américaine au Moyen-Orient", estime l'analyste Nick Heras, du New Lines Institute for Strategy and Policy.

Vendredi, les Etats-Unis ont retiré le dirigeant syrien de la liste noire des terroristes. Depuis 2017 et jusqu'à décembre dernier, le FBI offrait une récompense de 10 millions de dollars pour toute information menant à l'arrestation du leader de l'ancienne branche locale d'Al-Qaïda, le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS).

Jeudi, c'est le Conseil de sécurité de l'ONU qui avait levé les sanctions contre M. Chareh, à l'initiative des Etats-Unis, saluant l'engagement des autorités syriennes à "lutter contre le terrorisme".

Dès sa prise de pouvoir, M. Chareh a rompu avec son passé, multipliant les ouvertures vers l'Occident et les Etats de la région, dont Israël avec lequel son pays est théoriquement en guerre.

Donald Trump avait déjà rencontré le dirigeant syrien lors d'un voyage dans le Golfe en mai.

"Trump amène Chareh à la Maison Blanche pour dire qu'il n'est plus un terroriste (...) mais un dirigeant pragmatique et, surtout, flexible qui, sous la direction américaine et saoudienne, fera de la Syrie un pilier régional stratégique", explique Nick Heras.

M. Chareh, qui s'est rendu à l'ONU à New York en septembre, veut lui "la bénédiction de Trump pour débloquer des milliards de dollars (...) pour reconstruire la Syrie et consolider son contrôle sur le pays".

Liens avec Israël 

"Au niveau national, cette coopération risque d'accentuer le déséquilibre croissant entre Damas et les Forces démocratiques syriennes (FDS) dirigées par les Kurdes dans le nord-est du pays", analyse de son côté Nanar Hawach, spécialiste de la Syrie à l'International Crisis Group (ICG).

La majorité des troupes américaines sont basées dans les zones sous contrôle kurde. L'ouverture d'une base à l'aéroport militaire de Mazzeh, près de la capitale, changerait la donne.

Le groupe jihadiste Etat Islamique (EI) a été défait en 2019 en Syrie par la coalition internationale et les FDS, qui négocient les conditions de leur intégration dans l'armée.

Mais ces pourparlers "n'ont pas pas beaucoup avancé, ce qui complique les plans des Etats-Unis concernant le maintien de leurs troupes dans le nord-est du pays", ajoute Michael Hanna, directeur du programme américain de l'ICG.

M. Trump et M. Chareh devraient également évoquer les négociations entamées par les autorités syriennes avec Israël pour un accord de sécurité en vertu duquel l'Etat hébreu se retirerait des zones du sud du pays occupées après la chute de Bachar al-Assad.

En mai, le dirigeant américain a pressé son homologue syrien de rejoindre les accords d'Abraham, qui ont vu plusieurs pays arabes reconnaître Israël en 2020.

 


Le président syrien Ahmad al-Chareh arrive aux Etats-Unis

La visite du président Ahmed Al-Sharaa aux États-Unis est la première d'un président syrien depuis l'indépendance du pays en 1946, selon les analystes. (AP)
La visite du président Ahmed Al-Sharaa aux États-Unis est la première d'un président syrien depuis l'indépendance du pays en 1946, selon les analystes. (AP)
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  • Le président intérimaire syrien Ahmad al-Chareh a entamé une visite historique aux États-Unis après la levée des sanctions marquant un tournant diplomatique majeur
  • Cette visite, centrée sur la coopération antiterroriste, l’intégration à la coalition internationale et la reconstruction de la Syrie, symbolise la reconnaissance internationale du nouveau régime post-Assad et son rapprochement avec Washington

WASHINGTON: Le président intérimaire syrien, Ahmad al-Chareh, est arrivé aux Etats-Unis samedi pour une visite officielle inédite, a rapporté l'agence de presse officielle de son pays, au lendemain de son retrait de la liste noire américaine du terrorisme.

Le chef d'Etat par intérim, dont les forces rebelles ont renversé le dirigeant de longue date Bachar al-Assad en fin d'année dernière, doit rencontrer lundi le président américain, Donald Trump.

Il s'agit de la première visite bilatérale d'un chef d'Etat syrien aux Etats-Unis depuis l'indépendance du pays en 1946.

A son arrivée, M. Chareh a échangé des passes de basketball avec le commandant des forces américaines aux Moyen-Orient, Brad Cooper, ainsi qu'avec le chef de la coalition internationale anti-jihadistes, Kevin Lambert, selon des images qu'il a postées sur les réseaux sociaux.

Lors de cette visite, Damas devrait signer un accord pour rejoindre cette coalition menée par les Etats-Unis, selon l'émissaire américain pour la Syrie, Tom Barrack.

Le groupe jihadiste Etat Islamique (EI) avait été défait militairement en 2019 en Syrie par la coalition et les Forces démocratiques syriennes (FDS), conduites par les Kurdes, qui négocient actuellement leur intégration dans l'armée syrienne.

Les Etats-Unis prévoient pour leur part d'établir une base militaire près de Damas, a indiqué à l'AFP une source diplomatique en Syrie.

La Syrie, sortie de plus de 13 ans de guerre civile, cherche aussi à garantir des fonds pour sa reconstruction, un chantier dont le coût pourrait dépasser les 216 milliards de dollars (187 milliards d'euros), selon la Banque mondiale.

Jeudi, le Conseil de sécurité de l'ONU a levé les sanctions contre M. Chareh, qui jusqu'à présent avait besoin d'une exemption des Nations unies pour chaque déplacement international.

La résolution préparée par les Etats-Unis salue l'engagement des nouvelles autorités de M. Chareh, qui il y a encore un an dirigeait le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS), l'ancienne branche syrienne d'Al-Qaïda, à "lutter contre le terrorisme".

Le ministère syrien de l'Intérieur a annoncé samedi avoir mené 61 raids et procédé à 71 arrestations dans une "campagne proactive pour neutraliser la menace que représente l'EI", selon l'agence officielle Sana.

Ces raids ont eu lieu notamment dans les secteurs d'Alep, d'Idlib, de Hama, de Homs, de Deir ez-Zor, de Raqqa et de Damas, où demeurent des cellules dormantes de l'organisation, a-t-il été précisé.

C'est au titre de chef de HTS, qui à la tête d'une coalition islamiste a renversé Bachar al-Assad le 8 décembre 2024, que M. Chareh était inscrit depuis 2013 sur la liste des sanctions de l'ONU.

- Bouleversement -

Mais dès sa prise du pouvoir, il a clairement rompu avec son passé jihadiste, multipliant les ouvertures vers l'Occident et les pays de la région, notamment les riches monarchies arabes. Il a aussi engagé des négociations avec Israël, pays avec lequel la Syrie est théoriquement en état de guerre.

Donald Trump avait déjà rencontré le dirigeant syrien lors d'un voyage dans le Golfe en mai et avait annoncé la levée des sanctions américaines contre la Syrie.

Les deux hommes vont également évoquer les négociations directes entamées par les autorités syriennes avec Israël.

M. Trump avait pressé en mai le dirigeant syrien de rejoindre les accords d'Abraham, qui ont acté en 2020 la reconnaissance d'Israël par plusieurs pays arabes.

Aux yeux de Michael Hanna, analyste de Crisis Group, "le président Trump a bouleversé de manière inattendue la politique de longue date des États-Unis concernant la Syrie en mai et a continué à soutenir le nouveau gouvernement à Damas, malgré des épisodes d'instabilité et de violence sectaire qui ont entamé la confiance envers les nouveaux dirigeants du pays".

La visite prévue à la Maison-Blanche de M. Chareh est "un témoignage supplémentaire de l'engagement des Etats-Unis envers la nouvelle Syrie et un moment hautement symbolique pour le nouveau dirigeant du pays, marquant ainsi une nouvelle étape dans sa transformation étonnante de chef militant en homme d’Etat mondial", ajoute l'analyste.