Trois cents jours de guerre en Ukraine, et après?

Cette photo prise le 22 décembre 2022 montre un bâtiment détruit à Bakhmout, dans l'est de l'Ukraine. (AFP)
Cette photo prise le 22 décembre 2022 montre un bâtiment détruit à Bakhmout, dans l'est de l'Ukraine. (AFP)
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Publié le Samedi 24 décembre 2022

Trois cents jours de guerre en Ukraine, et après?

Trois cents jours de guerre en Ukraine, et après?
  • Il semble qu’aucun des deux camps ne remportera rapidement une victoire décisive
  • Le scénario le plus probable dans les semaines à venir est la poursuite d'une guerre d’usure

Mardi marquait le 300e jour de la guerre en Ukraine, dont le cours reste aussi incertain que durant la majeure partie de l’année 2022. 

Malgré les nombreuses grandes inconnues, des éléments fondamentaux sont susceptibles de se maintenir pendant une grande partie du premier trimestre de l’année 2023, avec des combats qui seront probablement moins féroces en raison du temps glacial sur le champ de bataille. Ces forces détermineront le cours dans les semaines à venir de ce qui pourrait être une reprise complète des hostilités sur le champ de bataille au printemps. 

Il semble qu’aucun des deux camps ne remportera rapidement une victoire décisive. Historiquement, les guerres ont eu tendance à se terminer de deux façons: lorsqu'une partie impose sa volonté à l'autre sur le champ de bataille, puis à la table des négociations; ou lorsque les deux parties adoptent un compromis qu'elles jugent préférable au combat. À moins d'un changement majeur au début de l'année 2023, aucune de ces deux issues n'est probable en Ukraine pour l'instant, d'autant que les deux parties sont prêtes à consacrer des ressources massives au conflit. 

À eux seuls, les États-Unis ont déjà engagé plus de 50 milliards de dollars (1 dollar = 0,94 euro) en faveur de l'Ukraine, soit plus que la totalité du budget annuel de la défense australienne. Parallèlement, les services de renseignement occidentaux estiment que plus de cent mille soldats russes sont déjà morts ou ont été blessés sur le champ de bataille. 

Ce qui est largement inconnu en Occident, c'est l'impact de ces pertes en termes d'impopularité du conflit en Russie. Un signal intrigant a été émis le mois dernier par Meduza, un site Web d'information russe basé en Lettonie, qui dit avoir obtenu une enquête d'opinion confidentielle menée par le service fédéral de protection, l'organisation chargée de protéger le Kremlin et d'assurer la sécurité des hauts responsables du gouvernement. L'enquête, apparemment commandée par le Kremlin, révèle que 55% des personnes interrogées sont favorables à des pourparlers de paix avec l'Ukraine, tandis que 25% seulement souhaitent que la guerre se poursuive. Par conséquent, à moins que la Russie ne remporte des succès majeurs sur le champ de bataille au début de la nouvelle année, il pourrait être de plus en plus difficile pour le Kremlin de conserver une approbation même tacite de la guerre au sein de la population. 

Néanmoins, le scénario le plus probable dans les semaines à venir est la poursuite d'une guerre d’usure. En effet, il est possible que le conflit dure jusqu'en 2023 et éventuellement au-delà, sauf changement significatif. 

Un deuxième élément fondamental est que, même si la guerre se poursuit à une intensité moindre pendant les mois particulièrement froids d'hiver, le niveau et l’éventail des risques restent exceptionnellement élevés et c'est pourquoi l'issue reste si imprévisible. Cela s'explique en partie par le fait que la stratégie de sortie du président, Vladimir Poutine, reste floue et qu'il peut encore faire des erreurs de calcul, avec notamment la possibilité que des armes chimiques ou nucléaires soient utilisées par les forces prorusses si l'Ukraine continue à remporter des victoires sur le champ de bataille conventionnel. 

En outre, il est également important de souligner que la stratégie annoncée de l'alliance occidentale dirigée par les États-Unis est d'essayer d'infliger une défaite à la Russie. Dans l'Histoire de l'Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) de l'après-Seconde Guerre mondiale, il s'agit d'une différence très importante par rapport à la situation antérieure et cela augmente les enjeux si la détermination occidentale demeure. 

Sur ce dernier point, même avec de probables nouvelles tensions intraoccidentales sur la stratégie à l'égard de la Russie en 2023, le scénario le plus probable est que l'alliance restera soudée pendant l'hiver difficile qui s'annonce. Cela s'explique en partie par le leadership américain, qui permettra de rassembler les partenaires, notamment les vingt-sept membres disparates de l'Union européenne (UE). 

En novembre, le parti démocrate du président américain, Joe Biden, a défié les sondeurs américains, en conservant le contrôle du Sénat et en minimisant les pertes à la Chambre des représentants. C’est le signe que Joe Biden, bien que loin d'être sûr d'être lui-même réélu en 2024, dispose actuellement d'un capital politique plus important que prévu. 

Aussi pessimiste que puisse paraître ce scénario central d'une guerre d'usure continue, dont le coût humain – y compris pour des millions de réfugiés – est le plus important, ce n'est pas le pire des scénarios. Ce scénario est le plus susceptible de se réaliser si le conflit s'étend au-delà de l'Ukraine pour impliquer les pays de l'Otan, ce qui reste une possibilité importante. 

Si cette éventualité semble encore très improbable pour de nombreuses personnes, elle ne peut être écartée, tant la situation est incertaine. Bien que l'Otan fasse ce qu'elle peut pour soutenir l'Ukraine sans s'engager dans une confrontation militaire directe avec la Russie, une erreur de calcul de la part de l'une ou l'autre des parties est une réelle préoccupation. 

Cela pourrait être une véritable catastrophe pour beaucoup et l'utilisation d'armes nucléaires ou chimiques ne serait pas exclue. En outre, non seulement le régime de sanctions et de contre-sanctions s'alourdirait, mais il y aurait également un effondrement économique plus large, accélérant l'élan vers la démondialisation. 

Andrew Hammond est un associé de LSE IDEAS à la London School of Economics. 

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.