Tensions en France à la veille d'une nouvelle journée de mobilisation contre une réforme des retraites

Des manifestants tiennent des fusées éclairantes lors d'un cortège contre une réforme des retraites à Paris, le 26 janvier 2023. (Photo, AFP)
Des manifestants tiennent des fusées éclairantes lors d'un cortège contre une réforme des retraites à Paris, le 26 janvier 2023. (Photo, AFP)
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Publié le Mardi 31 janvier 2023

Tensions en France à la veille d'une nouvelle journée de mobilisation contre une réforme des retraites

  • Pour Elisabeth Borne, «ça n'est plus négociable, la retraite à 64 ans»
  • Le gouvernement affirme que report d'âge et allongement des cotisations visent à garantir l'équilibre financier du système de retraites

PARIS: A la veille d'une nouvelle journée de mobilisation contre une réforme des retraites voulue par le président Emmanuel Macron, la tension politique et sociale s'est accentuée lundi sur fond de début d'un débat parlementaire sur le texte proposé.

En déplacement à La Haye, le président Macron a défendu sa réforme, "indispensable quand on se compare en Europe" et afin de "sauver notre système" par répartition.

Ce projet prévoit un recul de l'âge légal pour partir à la retraite de 62 à 64 ans et une accélération de l'allongement de la durée de cotisation.

Une première journée de manifestations et de grèves le 19 janvier avait vu de un à deux millions de personnes clamer leur opposition à la réforme. Les syndicats, rarement aussi unis, espèrent faire au moins aussi bien, un espoir conforté par des sondages attestant d'un rejet croissant du projet dans l'opinion.

La Première ministre Elisabeth Borne "ne peut pas rester sourde à cette formidable mobilisation qui s'est créée", a estimé le secrétaire général du syndicat CFDT, Laurent Berger.

Mardi, la grève devrait à nouveau être très suivie dans les transports et l'éducation. La compagnie Air France a annoncé l'annulation d'un vol court et moyen-courrier sur dix. Les liaisons long-courrier ne seront pas affectées.

En région parisienne, la circulation des métros et RER sera "très perturbée", selon la RATP.

Une source au sein des services de renseignement a indiqué s'attendre à 1,2 million de manifestants au niveau national, "en fourchette haute dont 100.000 à Paris, avec 240 cortèges ou rassemblements prévus".

Le gouvernement reste pour l'heure ferme dans son approche et a annoncé mobiliser 11.000 policiers et gendarmes dont 4.000 à Paris pour sécuriser les manifestations.

Elisabeth Borne a assuré ce week-end que le report de l'âge de départ à la retraite n'était "plus négociable", le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin accusant une grande partie de l'opposition de gauche de vouloir "bordéliser le pays".

La réforme «demande des efforts» mais «sauve le système»

Élisabeth Borne a exhorté sa majorité à se "mobiliser" et à "porter" la réforme des retraites, un projet qui "demande des efforts" mais "sauve le système", lundi devant les dirigeants du parti Renaissance.

La tension est montée d'un cran supplémentaire lundi entre l'exécutif et les oppositions sur cette réforme phare de ce début de quinquennat, à nouveau jugée "indispensable" par Emmanuel Macron à la veille d'une nouvelle journée de mobilisation.

"On peut être fier de défendre ce pilier de notre modèle social", a déclaré, selon des participants, la Première ministre, présente au bureau exécutif du parti présidentiel.

"On demande des efforts. Si être perdants, c'est le fait de travailler, à la fin ce sont des gagnants puisqu'on sauve le système. Mais on veille à ne pas demander le même effort à tout le monde", a insisté Mme Borne.

Ce lundi, les députés ont débuté en commission parlementaire l'examen du projet de loi qui sera soumis à l'Assemblée nationale à partir du 6 février.

A l'extrême droite, la cheffe du parti Rassemblement national, Marine Le Pen, a mis en garde la Première ministre qui, selon elle, "ne devrait pas trop s'avancer". "Parce que, parti comme c'est parti, il n'est pas du tout impossible que sa réforme des retraites ne soit pas votée", a-t-elle estimé.

D'autres formations politiques, à droite comme à gauche, ont aussi critiqué le positionnement du gouvernement.

Sans majorité à l'Assemblée nationale pour sa formation Renaissance, Emmanuel Macron espère le soutien de la droite pour faire adopter son projet de réforme.


Bordeaux : trois nouvelles mises en examen après l'incendie du porche de la mairie

Une manifestation contre la réforme des retraites par le parlement sans vote, en utilisant l'article 49.3 de la constitution, à Bordeaux, dans le sud-ouest de la France, le 28 mars 2023 (Photo, AFP).
Une manifestation contre la réforme des retraites par le parlement sans vote, en utilisant l'article 49.3 de la constitution, à Bordeaux, dans le sud-ouest de la France, le 28 mars 2023 (Photo, AFP).
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  • Un premier suspect, né en 1986, a été mis en examen pour «dégradation de bien public par substance incendiaire»
  • Le feu du porche de la mairie avait duré une quinzaine de minutes le soir du 23 mars, après la fin d'une manifestation contre la réforme des retraites

BORDEAUX: Trois hommes ont été mis en examen samedi après l'incendie volontaire du porche de la mairie de Bordeaux le 23 mars, lors d'incidents ayant suivi la manifestation contre la réforme des retraites, a indiqué le parquet dans un communiqué.

Un premier suspect, né en 1986, a été mis en examen pour "dégradation de bien public par substance incendiaire" et "participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences" et écroué.

Il a déjà fait l'objet de 21 condamnations, dont deux pour des "dégradations d’un objet d'utilité publique", a précisé la procureure de la République de Bordeaux Frédérique Porterie.

Deux autres suspects, nés en 1998 et 2004, ont également été mis en examen uniquement pour "participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences" et placés sous contrôle judiciaire.

Le parquet a fait appel de leur placement sous contrôle judiciaire.

Un premier suspect avait déjà été mis en examen pour les mêmes faits le samedi précédent.

Le feu du porche de la mairie avait duré une quinzaine de minutes le soir du 23 mars, après la fin d'une manifestation contre la réforme des retraites émaillée de débordements, endommageant la porte massive en bois de l'édifice, avant d'être éteint par les pompiers.

Le préjudice est estimé à près de 3 millions d'euros par la mairie.


Quarante-trois ans après l'attentat de la rue Copernic, le procès s'ouvre à Paris

Sur cette photo d'archive prise le 3 octobre 1980, des membres de l'équipe de secours se tiennent au milieu de débris de voitures après l'explosion d'une bombe à la synagogue de la rue Copernic à Paris. (Photo Georges GOBET / AFP)
Sur cette photo d'archive prise le 3 octobre 1980, des membres de l'équipe de secours se tiennent au milieu de débris de voitures après l'explosion d'une bombe à la synagogue de la rue Copernic à Paris. (Photo Georges GOBET / AFP)
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  • Hassan Diab, qui sera jugé pour assassinats, tentatives d'assassinats et destructions aggravées en relation avec une entreprise terroriste, encourt la réclusion criminelle à perpétuité
  • Les deux juges d'instruction qui avaient signé l'ordonnance de non-lieu, et qui sont cités à comparaître, avaient jugé «vraisemblable» que Hassan Diab se trouvait à Beyrouth en octobre 1980

Paris : Quarante-trois ans après l'attentat à la bombe contre la synagogue de la rue Copernic à Paris, qui a fait quatre morts et des dizaines de blessés en octobre 1980, le procès s'ouvre lundi en France, mais sans l'unique accusé, Hassan Diab.

Sauf grande surprise, cet universitaire libano-canadien de 69 ans ne devrait pas se présenter à l'ouverture des débats devant la cour d'assises spéciale de Paris, compétente en matière de terrorisme, qui devrait donc le juger par défaut.

Hassan Diab a signifié ce choix au président de la cour lors d'un interrogatoire préalable et «il n'a aucune raison de changer de position», déclare à l'AFP l'un de ses avocats, Me William Bourdon, chargé de le représenter à l'audience.

Son absence «déçoit» mais «n'étonne pas» les parties civiles, affirme l'avocat de certaines d'entre elles, Me Bernard Cahen. Ses clients «auraient évidemment préféré avoir en face d'eux M. Diab. Mais l'essentiel c'est que le procès ait lieu», ajoute-t-il.

Cela a été une «attente très forte et très longue» pour les familles des quatre victimes tuées, les blessés et les témoins de l'attentat encore en vie, souligne Me Cahen.

Accusé d'avoir posé la bombe qui a explosé le 3 octobre 1980 à proximité de la synagogue de la rue Copernic, dans le XVIe arrondissement de Paris, Hassan Diab avait été extradé et incarcéré en France en novembre 2014 après une longue procédure.

Ce professeur de sociologie était reparti, libre, au Canada en janvier 2018 après avoir bénéficié d'un non-lieu. Les juges d'instruction avaient considéré, contre l'avis du parquet qui avait fait appel, que les charges réunies à son encontre n'étaient pas «suffisamment probantes».

Son renvoi aux assises avait finalement été ordonné trois ans plus tard.

Hassan Diab, qui sera jugé pour assassinats, tentatives d'assassinats et destructions aggravées en relation avec une entreprise terroriste, encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

L'universitaire, qui assure qu'il passait alors ses examens à l'université de Beyrouth, «proteste depuis la première minute de son innocence». Il «fait confiance à ses avocats et nous plaiderons avec force le fait que cet homme ne peut pas et ne doit pas être condamné», insiste Me Bourdon.

- «Doutes» -

Pendant trois semaines, la cour d'assises va replonger dans les méandres de la géopolitique et d'une procédure judiciaire qui a nécessité des commissions rogatoires internationales dans une vingtaine de pays.

L'attentat meurtrier contre la synagogue avait été le premier à viser la communauté juive de France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Jamais revendiqué, il avait été attribué

au Front populaire de libération de la Palestine-Opérations spéciales (FPLP-OS), un groupe dissident du FPLP.

Des renseignements ont désigné en 1999 Hassan Diab comme celui qui a confectionné l'engin explosif et placé les dix kilos de pentrite sur une moto pour les faire exploser devant l'édifice religieux.

L'accusation met en avant la ressemblance de l'ancien étudiant de Beyrouth avec des portraits-robots réalisés à l'époque, le témoignage d'un couple affirmant qu'il appartenait aux groupes palestiniens au début des années 1980, ainsi que les comparaisons entre l'écriture de Hassan Diab et celle d'une fiche d'hôtel remplie par l'homme qui a acheté la moto.

Ces expertises graphologiques ont été âprement débattues au cours de l'instruction et devraient l'être à nouveau lors du procès.

La pièce centrale du dossier reste la saisie en 1981 à Rome d'un passeport au nom de Hassan Diab, avec des tampons d'entrée et de sortie d'Espagne, pays d'où serait parti le commando, à des dates concordantes avec l'attentat.

«Il était au Liban au moment des faits, nous l'établissons», rétorque son avocat William Bourdon. D'anciens étudiants de l'université et l'ex-épouse de Hassan Diab avaient corroboré ses dires, rappelle sa défense.

Les deux juges d'instruction qui avaient signé l'ordonnance de non-lieu, et qui sont cités à comparaître, avaient jugé «vraisemblable» que Hassan Diab se trouvait à Beyrouth en octobre 1980.

En sollicitant le renvoi du Libano-Canadien, le ministère public avait estimé que les «doutes» quant à sa présence à Paris lors de l'attentat méritaient d'être examinés par une cour d'assises.

«L'enjeu du procès, c'est acquittement ou perpétuité, c'est quitte ou double», remarque Me Bourdon.

Le verdict est attendu le 21 avril.


Borne et Cresson, deux femmes chahutées à Matignon

Cette combinaison de photos d'archives prises le 16 mai 2022 montre Elisabeth Borne (à gauche), alors ministre du Travail, et Edith Cresson, ancienne Premier ministre de la France. Le 3 avril 2023, Elisabeth Borne sera restée en fonction aussi longtemps qu'Edith Cresson, la première femme Premier ministre en France. (AFP).
Cette combinaison de photos d'archives prises le 16 mai 2022 montre Elisabeth Borne (à gauche), alors ministre du Travail, et Edith Cresson, ancienne Premier ministre de la France. Le 3 avril 2023, Elisabeth Borne sera restée en fonction aussi longtemps qu'Edith Cresson, la première femme Premier ministre en France. (AFP).
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  • Les deux femmes sont confrontées à la même difficulté: l'absence de majorité absolue à l'Assemblée nationale, même s'il ne manquait que quelques députés à Mme Cresson, au lieu d'une quarantaine pour Mme Borne
  • Pour faire passer des textes, elles doivent convaincre au-delà de leur camp ou, à défaut, utiliser le 49.3, qui permet l'adoption de projets sans vote mais expose à la censure

PARIS : Elisabeth Borne aura tenu lundi autant de jours à Matignon qu'Edith Cresson, première femme à occuper ce poste, avec une incertitude pour la suite de son mandat, chahuté par les retraites, quand sa prédécesseuse était contestée par les barons du PS sur fond de sexisme ambiant.

"La méthode sera celle de la concertation et du dialogue" pour rechercher "les majorités les plus larges". Ce n'est pas Elisabeth Borne qui prononce ces mots mais la socialiste Edith Cresson, nommée "Premier ministre" le 15 mai 1991.

Car les deux femmes sont confrontées à la même difficulté: l'absence de majorité absolue à l'Assemblée nationale, même s'il ne manquait que quelques députés à Mme Cresson, au lieu d'une quarantaine pour Mme Borne.

Pour faire passer des textes, elles doivent convaincre au-delà de leur camp ou, à défaut, utiliser le 49.3, qui permet l'adoption de projets sans vote mais expose à la censure.

Edith Cresson a utilisé cette arme constitutionnelle 8 fois, Elisabeth Borne 11 fois, y compris pour faire passer la très contestée réforme des retraites, attisant la contestation dans la rue et la fragilisant à Matignon.

Lundi, son bail rue de Varenne aura atteint celui d'Edith Cresson: 10 mois et 18 jours. Une échéance regardée de près par l'Elysée: envisager un remplacement avant ce terme aurait été "dramatique dans le souvenir que ça laisserait", note un conseiller.

«Entrecôte»

Contrairement à Edith Cresson, attaquée dans sa gestion y compris par les "éléphants" du PS sur fond de "machisme", Elisabeth Borne n'a pas déplu à sa majorité.

"Certains disaient +elle (Elisabeth Borne) va être cressonnisée+. Eh bien pas du tout, il y a zéro question sur sa dimension à gérer la fonction. Elle fait au mieux", saluait début février un proche d'Emmanuel Macron.

Après le 49.3, l'ancien chef du gouvernement Edouard Philippe, parfois critique, l'a même réconfortée: "Je sais ce que c'est d'être Premier ministre, une autre peut le dire aussi. Ce n'est pas facile, je suis admiratif".

Si Elisabeth Borne devait quitter Matignon, "il faudra la juger sur son action politique et pas sur son sexe", insiste un cadre de la majorité. Et "rien n'empêche le président de nommer une femme après une femme. Son premier choix (la LR Catherine Vautrin, ndlr), c’était aussi une femme".

"La question posée c'est: le président a demandé un nouvel agenda (pour élargir la majorité, ndlr). Va-t-elle pouvoir l'endosser ?", ajoute cette source du camp présidentiel.

La sénatrice socialiste Laurence Rossignol considère qu'"on a beaucoup progressé" depuis Edith Cresson, car "en tant que Première ministre, Elisabeth Borne peut être critiquée, mais elle est respectée en tant que femme".

En l'occurrence, elle n'a pas été comparée à son arrivée à la marquise de Pompadour comme Edith Cresson, dont la nomination par François Mitterrand, pour remplacer Michel Rocard, avait été vue y compris au PS comme le fait du prince.

L'actuelle Première ministre trouve néanmoins encore "super sexiste" que certains lui reprochent de ne pas "bouffer des entrecôtes en buvant de la bière".

«Longévité»

Quand Elisabeth Borne reçoit Edith Cresson à Matignon le 8 novembre, les deux femmes estiment que "les choses ont insuffisamment évolué" sur l'égalité, et qu'une femme à Matignon "ne devrait plus être une source d'étonnement".

En trente ans, le gouvernement est devenu paritaire mais seules 5 femmes sur 21 y sont ministres de plein exercice.

La fougueuse Edith Cresson multipliait les faux pas et propos imprudents. "La Bourse, j'en ai rien à cirer", disait-elle, comparant par ailleurs ses ministres à des "cloportes".

Quand François Mitterrand s'en sépare le 2 avril 1992 pour nommer Pierre Bérégovoy, un ancien ministre de l'Economie respecté par les marchés et l'opposition, "c'est positif pour le président", explique à l'AFP Jean Garrigues, auteur de "Elysée contre Matignon" (Tallandier, 2022).

Car le mécontentement la visait davantage que le chef de l'Etat qui "restait plus à l'abri".

Aujourd'hui, la colère des manifestants "se cristallise sur Emmanuel Macron" si bien que "la présidence jupitérienne pourrait valoir une plus grande longévité" à sa Première ministre, avance l'historien.