L’Iran a la chance de changer sans changement

Des femmes se promènent dans un parc de la capitale iranienne Téhéran. (Photo d'archive AFP)
Des femmes se promènent dans un parc de la capitale iranienne Téhéran. (Photo d'archive AFP)
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Publié le Vendredi 17 février 2023

L’Iran a la chance de changer sans changement

L’Iran a la chance de changer sans changement
  • Le principal problème n’est pas le voile, il s’agit de la détérioration du niveau de vie de l’Iranien moyen, en partie due aux sanctions mais aussi à la corruption
  • L’effondrement de l’Iran serait pire que l’effondrement de l’Irak après l’invasion de 2003

Ali Khamenei, le guide suprême de l’Iran, a pardonné la semaine dernière des « dizaines de milliers » de manifestants. En parallèle, j’ai reçu d’un ami une vidéo montrant des gens qui se promènent dans un centre commercial à Téhéran. Personne ne portait de voile. Les services de sécurité ont allégé leur stricte application des règles qui n’avaient fait qu’accroitre le mécontentement populaire. Ils ont bien compris que l’usage excessif de la force ne peut être que contre-productif. Cependant, le principal problème n’est pas le voile, il s’agit de la détérioration du niveau de vie de l’Iranien moyen, qui est en partie due aux sanctions mais aussi à la corruption.
Bien que les protestations aient diminué, cela ne signifie pas qu’elles ne réapparaitront pas encore plus fortes. Il s’agit donc du moment parfait pour que le régime réfléchisse, mène des réformes et renoue ses relations avec ses voisins afin de survivre.
Les Iraniens craignent tellement une intervention régionale afin de provoquer la chute du régime. Or, un Iran fragmenté n’est pas dans l’intérêt des Etats arabes et du Golfe. Esmail Ghaani, commandant de la force Al-Qods, a prononcé un discours en décembre dans lequel il a accusé l’Arabie saoudite de s’ingérer dans les affaires intérieures de l’Iran. Cependant, Riyad sait bien que l’effondrement de l’Iran serait pire que l’effondrement de l’Irak après l’invasion de 2003.
Cette période difficile que traverse l’Iran coïncide avec un ton très réconciliateur utilisé par l’Arabie saoudite. Le Royaume, qui se concentre sur son propre développement et la réalisation de sa Vision 2030, ne veut pas s’engager dans des relations belliqueuses avec ses voisins. C’est une opportunité que l’Iran devrait saisir. Tout comme l’Iran a amélioré sa relation avec la Turquie, le pays peut aussi travailler sur sa relation avec le Royaume, bien qu’ils soient dans des camps opposés dans tous les conflits, que ce soit en Irak, en Syrie ou en Azerbaïdjan.

C’est le moment pour le régime de réfléchir, de mener des réformes et de renouer ses relations avec ses voisins afin de survivre

Dr. Dania Koleilat Khatib

C’est à l’Iran de reconnaitre cet état d’esprit en faisant preuve de bonne volonté et en travaillant avec l’Arabie saoudite sur la stabilisation et la prospérité. Il y a deux opportunités à saisir pour l’Iran, une au Yémen, une autre au Liban. L’Iran peut y remplacer la confrontation par la collaboration. Non seulement cela aiderait l’Iran à améliorer ses relations avec ses voisins, mais cela affecterait également sa position sur la scène internationale, encourageant la communauté mondiale à s’engager avec le pays. Téhéran a cruellement besoin de telles relations pour améliorer ses conditions économiques.
L’Iran peut suivre la voie de la Chine, qui consiste à changer sans changement. Suite à la politique désastreuse de Mao Zedong –  voire la Révolution culturelle qui a fait des millions de morts –  la Chine a décidé de s'adapter. L'ouverture de la Chine en 1979 sous Deng Xiaoping a préservé le système communiste.
La Chine a ouvert son économie, mené des réformes et modifié sa politique étrangère. Ceci était nécessaire pour attirer les investissements étrangers. Le pays a abandonné sa stratégie révolutionnaire, basée sur l’encouragement des insurrections dans le monde et s’est concentré sur les relations diplomatiques. 40 ans plus tard, le peuple chinois a connu une énorme prospérité et le maintien du régime communiste. Le communisme chinois a survécu, face à l’affaiblissement du communisme soviétique. Cela était principalement dû au fait que la Chine était en mesure de répondre aux besoins économiques de son peuple et de s’engager avec la communauté internationale.
Les protestations en Iran et le ton conciliateur des Saoudiens représentent une chance pour l’Iran de faire de même : changer sans changer. Il s‘agit de son opportunité ultime.
Il y a vingt ans, sous le mandat du président Mohamed Khatami, l’Iran a essayé de s’ouvrir à l’Occident et à ses voisins, mais ni les États-Unis ni le Golfe arabe n’ont saisi l’occasion. Aujourd’hui, l’Iran a l’opportunité de s’ouvrir à ses voisins. Téhéran devrait travailler avec Riyad dans un premier temps.
Au Yémen, le point de vue initial des Houthis sur le dialogue national mené par Abed Rabbo Mansour Hadi en 2014 était que l’accord proposé leur donnait des provinces qui n’avaient aucun accès à la mer et aucune part de la richesse du pays. Lorsque les combats ont débuté et que les Houthis se sont mis à faire des gains sur le terrain, soutenus par les Iraniens, ils ont placé la barre plus haut. L’Iran devrait donc travailler avec l’Arabie saoudite afin que les Houthis reviennent à leurs revendications initiales et acceptent un système fédéral garantissant l’unité du Yémen, tout en veillant à ce qu’ils soient correctement représentés.
Au Liban, l’Iran peut travailler avec l’Arabie saoudite pour mettre en place un gouvernement technocrate capable de mener des réformes et de contourner les questions politiques qui divisent le pays, telles que les armes du Hezbolllah.
Il s’agit aujourd’hui de l’occasion idéale pour l’Iran de monter au monde et surtout à ses voisins que le pays peut travailler afin d’atteindre la stabilité et la prospérité, tout en œuvrant à mettre en place des réformes internes pour répondre aux besoins économiques de son peuple.
 


La Dr Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes, en particulier sur les groupes de pression. Elle est présidente du Research Center for Cooperation and Peace Building (Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix), une ONG libanaise axée sur la diplomatie parallèle (Track II).
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com