Les émeutes raciales, dernière preuve du malaise tunisien

Une manifestation contre la politique du président Kaïs Saïed, à Tunis (Photo, AP).
Une manifestation contre la politique du président Kaïs Saïed, à Tunis (Photo, AP).
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Publié le Lundi 13 mars 2023

Les émeutes raciales, dernière preuve du malaise tunisien

Les émeutes raciales, dernière preuve du malaise tunisien
  • L'économie du pays du Jasmin a été jugée «en faillite» par les rapports les plus récents des agences de notation
  • Le puissant appareil de sécurité tunisien ne devrait pas s'attendre à recevoir des fonds étrangers tant qu'il n'aura pas soutenu un retour à un régime démocratique

Avec un culte de la personnalité qui prend forme, un parlement aux abois et une opposition politique muselée, la Tunisie de Kaïs Saïed est à mille lieues de celle qui a donné naissance à la révolution du jasmin, en 2011.

La Tunisie, qui avait été le seul pays dans lequel la transition démocratique a été réussie après la vague de protestations régionales, a vu ses libéraux noyés dans une centralisation autoritaire du pouvoir, tandis que l'économie du pays a été jugée «en faillite» par les rapports les plus récents des agences de notation. Alors que la dette publique a atteint quatre fois le produit intérieur brut, ce pays, par ailleurs accueillant et pacifique, a été le théâtre d'une forte augmentation d’attaques racistes et d’arrestations arbitraires de migrants subsahariens autorisées par l'État, ce qui est révélateur d'une société brisée.

Malgré l'explosion du chômage des jeunes, une situation fiscale précaire et un autoritarisme menaçant, la société tunisienne a miraculeusement conservé un certain calme. Cependant, les événements de ces derniers jours, caractérisés par la détresse accrue de la communauté africaine subsaharienne de Tunisie, montrent l'étendue du malaise dans tous les aspects de la société.

Le mois dernier, Saïed a dénoncé l'immigration subsaharienne des sans-papiers en Tunisie lors d'une réunion avec le Conseil de sécurité nationale. À travers des propos qui ont ensuite été publiés en ligne, le président a affirmé que ces arrivées visaient à modifier la composition démographique de la Tunisie. «L'objectif non déclaré de l'immigration africaine en Tunisie est de changer la composition démographique du pays: le but inavoué des vagues successives d'immigration clandestine est de considérer la Tunisie comme un pays purement africain qui n'a aucune affiliation avec les nations arabes et islamiques», a-t-il lancé.

Jouant sur les récentes campagnes de réseaux sociaux qui se sont concentrées sur la question, le président a organisé une prison de fortune réservée aux migrants, qui risquent désormais de lourdes amendes et des harcèlements publics, bien qu'ils soient déjà victimes du flou juridique dont ils font l’objet.

Après le taux de participation record (le plus bas depuis la révolution de 2011) lors des élections législatives de décembre-janvier, Saïed a attisé les tensions xénophobes afin de détourner l'attention de la situation catastrophique du pays et de l'incapacité de son gouvernement à y remédier. Bien que le coup d'État constitutionnel qui l'a porté au pouvoir ait été perçu par une grande partie de la société tunisienne comme une occasion bienvenue d'habiliter l'exécutif à réorganiser la vie politique et économique du pays, Saïed ne jouit plus d'un large soutien de l'opinion publique.

Les efforts du président pour rassembler la population autour de la question des migrants africains, dont la présence a, en toute justice, accru la pression sur la fragile économie tunisienne, ont abouti à une situation dans laquelle les Africains subsahariens sont confrontés à une recrudescence d’actes racistes. Il n'est pas le premier personnage autoritaire à attiser la peur et la xénophobie pour consolider sa position dans un contexte de hausse des prix des denrées alimentaires, de chômage et d'instabilité politique. Les Tunisiens noirs, qui représentent environ 10% de la population du pays, ont également été pris pour cible par erreur à travers des attaques racistes, ce qui montre bien les conséquences d'un populisme irresponsable.

Les événements de ces derniers jours – caractérisés par la détresse frénétique de la communauté africaine subsaharienne de Tunisie – montrent l'étendue du malaise dans tous les aspects de la société.

Zaid M. Belbagi

Les attaques de la semaine dernière ne sont que la dernière controverse en date autour de Saïed, qui a pris le pouvoir en 2021 en dissolvant le Parlement démocratiquement élu du pays. Parmi d'autres mesures autoritaires, Saïed a accusé les «traîtres» qui ont été arrêtés dans le cadre de la dernière vague de répression, de «fixation des prix», de «manipulation du marché» et de «thésaurisation». Cette rhétorique s'inscrit dans un contexte plus large qui a caractérisé l'escalade de la confrontation du président avec ses détracteurs. Ces derniers, qui lui reprochaient d’avoir fait un coup d'État, ont été arrêtés par les forces de sécurité. 

La semaine dernière, la Tunisie a interdit une manifestation de la principale coalition d'opposition du pays, le Front de salut national, mais le groupe a poursuivi son action et a manifesté dimanche contre «les arrestations politiques et les violations des libertés publiques et individuelles». La manifestation a eu lieu alors que le gouverneur de Tunis, Kamel Feki, a déclaré que de telles marches n'avaient «pas été approuvées, car certains de leurs dirigeants sont soupçonnés de comploter contre la sécurité de l'État».

Le mois dernier, l'excentricité du président en matière de contrecoups et de complots contre lui a atteint un nouveau sommet lorsqu'il a accusé Esther Lynch, secrétaire générale irlandaise de la Confédération européenne des syndicats, qui s'est exprimée lors d'une manifestation organisée par l'Union générale tunisienne du travail, de faire des déclarations qui «interféraient avec les affaires intérieures tunisiennes». Elle a ensuite été expulsée du pays, une mesure qui rappelle les jours les plus sombres de l'État policier instauré par Zine el-Abidine Ben Ali.

Dans ce contexte, l'Union européenne et les États-Unis continuent à «exprimer leur préoccupation». Leur réticence et la relative insignifiance économique de la Tunisie font qu'il est facile d'ignorer la situation. Le gouvernement Saïed a depuis longtemps renoncé à tout semblant de transition démocratique, et son autoritarisme menaçant réduit considérablement la volonté des partenaires internationaux d'investir en Tunisie et, plus important encore, de fournir le renflouement dont le pays a besoin.

Les émeutes raciales en Tunisie ne sont que les dernières perturbations sociales causées par l'instabilité croissante du pays. Pour soutenir réellement le peuple tunisien, les parties internationales doivent conditionner l'aide financière future à des réformes et à une limitation de la durée du mandat de Saïed. Le puissant appareil de sécurité tunisien ne devrait pas s'attendre à recevoir des fonds étrangers tant qu'il n'aura pas soutenu un retour à un régime démocratique.

 

Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Twitter: @Moulay_Zaid

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com