La crise au Liban est contagieuse : l’endettement atteint des niveaux record dans la région

Le bâtiment de la Banque du Liban à Beyrouth, le 12 janvier 2023 (Photo, Reuters).
Le bâtiment de la Banque du Liban à Beyrouth, le 12 janvier 2023 (Photo, Reuters).
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Publié le Lundi 13 mars 2023

La crise au Liban est contagieuse : l’endettement atteint des niveaux record dans la région

La crise au Liban est contagieuse : l’endettement atteint des niveaux record dans la région
  • La viabilité de la dette est l’un des principaux piliers d’une politique budgétaire crédible, compte tenu de son incidence sur le développement à long terme d’un pays
  • D’autres pays en développement pourront subir le même sort que le Liban et le Sri Lanka et seront donc en défaut de paiement

Au cours de la dernière décennie, des mises en garde régulières ont été lancées contre les risques d’emprunts considérables dans la région arabe, qui ont entraîné l’accumulation rapide d’une très grande dette extérieure. Pour un certain nombre de pays, cette dette est désormais sur le point de devenir insoutenable, au moment où leurs économies restent submergées par la succession rapide de crises sans précédent et leurs effets débilitants.

Combinés aux chocs supplémentaires de ces dernières années, notamment la pandémie de Covid-19, la volatilité des prix du pétrole et la guerre en Ukraine, les indicateurs avancés suggèrent que les niveaux d’endettement record aggravent les défis de la région, faisant craindre un «effet de contagion de la crise libanaise» dans des pays comme la Tunisie, l’Égypte et, dans une moindre mesure, le Maroc et la Jordanie.

La pandémie de Covid-19, en particulier, a laissé une marque indélébile qui a vu le PIB combiné de la région diminuer de près de 400 milliards de dollars (1 dollar = 0,94 euro) –conséquence d’une activité économique réduite aggravée par une forte baisse des envois de fonds. En conséquence, quelques-uns des importateurs nets de pétrole de la région ont vu leurs recettes publiques et leurs réserves de change chuter fortement, ce qui a eu une incidence sur les taux de change et creusé les écarts budgétaires. Avec peu d’espace budgétaire restant, cela a nécessité de recourir à des emprunts excessifs pour soutenir les coûts des filets de sécurité critiques et pour corriger les déficits de la balance des paiements, sans recourir à des mesures d’austérité à un moment aussi inopportun.

À la fin de l’année dernière, la dette cumulée de la région arabe s’élevait à 1 500 milliards de dollars et, compte tenu des répercussions négatives de la guerre en Ukraine, ainsi que de l’économie mondiale chancelante, ce chiffre pourrait encore augmenter.

La viabilité de la dette est l’un des principaux piliers d’une politique budgétaire crédible compte tenu de son incidence sur le développement à long terme d’un pays et de sa capacité à maintenir sa compétitivité globale. La recherche de sources de financement vers l’extérieur pour alimenter la croissance économique et développer durablement les sociétés permet aux pays d’investir dans la prospérité des générations actuelles et futures, à condition que toute dette soit maintenue à des niveaux durables.

Cependant, lorsque des pays déjà fragiles ne sont plus en mesure de rembourser leurs dettes, comme dans le cas du Liban en 2020, cela retarde le développement et pose également des risques supplémentaires qui peuvent potentiellement déstabiliser une sous-région en raison des retombées de l’échec de la gouvernance, d’une incapacité persistante et même de conflits violents.

Actuellement, des pays comme l’Égypte, la Jordanie et la Tunisie doivent tous plus de 90% du PIB au moment où leurs gouvernements respectifs doivent maintenir ou augmenter leurs dépenses pour faire face à la hausse de l’inflation alimentaire par exemple, compte tenu des répercussions de la guerre d’Ukraine sur les importations de céréales. Sans interventions ou engagements sérieux, l’Égypte et la Tunisie, en particulier, pourraient finir comme le Liban, qui, en plus d’avoir connu le premier défaut de paiement de son histoire, doit encore s’attaquer à la restructuration d’une dette si considérable qu’elle éclipse la taille de son économie en déclin.

En Égypte, l’inflation des produits alimentaires et des boissons s’élèverait à 62%, alors que les dévaluations monétaires imposées par le Fonds monétaire international continuent de faire des ravages sur les coûts d’importation, mettant en danger jusqu’à 40 millions d’Égyptiens qui ont désormais besoin de transferts monétaires ciblés juste pour s’en sortir. Cependant, même cela pourrait ne pas suffire, puisque les spéculations vont bon train sur une dévaluation imminente du plus grand importateur de céréales au monde. Si cela se produit, le prix des aliments de base continuera de monter en flèche.

«La combinaison d’une dette considérable avec des déficits budgétaires et courants déclenchera probablement un flot de fatigue budgétaire.»

En Tunisie, en revanche, même si les gros titres se concentrent sur la répression inquiétante des Africains subsahariens, le pays d’Afrique du Nord peine toujours à importer des denrées de base. Malgré la conclusion d’un accord avec le FMI, le gouvernement tunisien en difficulté se trouvera presque dans l’impossibilité d’appliquer des réductions de salaires et de subventions qui aggraveront probablement le taux de pauvreté. De plus, même si les réformes visent à réduire les dépenses publiques, elles sont farouchement combattues par le syndicat le plus puissant du pays, l’Union générale tunisienne du travail. On s’attend à ce que les troubles généralisés s’intensifient dans les mois à venir. En effet, le public enragé refuse de se soumettre à une hyperprésidence désespérée à court de boucs émissaires.

Les risques d’endettement et l’incapacité de les résoudre ne sont pas des problèmes propres aux seuls États arabes fragiles et à faible revenu. L’ONU estime qu’il y a au moins 52 pays dans le monde qui sont, soit endettés, soit proches de l’être, donc à risque de défaut de paiement. Ceci en dépit d’un montant record de 185 milliards de dollars d’aide publique au développement de la part des pays développés l’année dernière.

Cependant, la mise à disposition de subventions et de prêts bon marché qui obligent souvent les pays les plus pauvres à réduire leurs dépenses en pleine crise pour accéder à un financement assorti de taux d’intérêt exorbitants ne fait qu’aggraver la vulnérabilité à la dette. Pire encore, les pays les plus riches n’atteignent toujours pas l’objectif convenu de 0,7% du revenu national brut pour l’aide publique au développement, malgré la confluence de chocs – du changement climatique à la pandémie, en passant par une économie mondiale léthargique et la guerre en Ukraine.

Il est également impossible de faire fi de l’impact d’un dollar américain particulièrement fort, qui atteint des sommets jamais vus depuis près de quatre décennies, alors que la Réserve fédérale continue d’augmenter les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation. Malheureusement, «le reste du monde» est aux prises avec la flambée des coûts de service des dettes libellées en dollars, en plus de lutter contre les pressions inflationnistes dues à la hausse des coûts d’importation, qui sont inévitables parmi les pays arabes dépendants des importations.

La combinaison d’une dette considérable avec des déficits budgétaires et courants déclenchera probablement un flot de fatigue budgétaire – lorsque les gouvernements s’approcheront des limites au-delà desquelles la trajectoire de la dette devient insoutenable et des ajustements prudents deviennent de plus en plus difficiles à effectuer. D’autres pays en développement pourront subir le même sort que le Liban et le Sri Lanka. Ils seront en défaut de paiement et se débrouilleront ensuite dans l’espoir d’obtenir des renflouements de la communauté internationale.

Cette dette sera un problème dominant cette année dans toute la région et le reste du monde n’est pas une simple hyperbole. Plusieurs pays devront se tourner vers le FMI pour obtenir de l’aide, même si ce soutien extérieur ne sortira pas les pays dépendants de la dette d’une réforme piège qu’ils se sont eux-mêmes imposée – un sous-produit de la mauvaise gestion économique et de la peur de ce dont certains pays arabes ont le plus besoin. Cette année et les prochaines seront également consacrées à l’austérité inévitable pour «rationaliser» les budgets, même au milieu de pénuries de produits de base et de difficultés croissantes pour des dizaines de millions d’Arabes.

Hafed al-Ghwell est chercheur principal et directeur exécutif de l’Initiative stratégique d’Ibn Khaldoun au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies à Washington. Il a précédemment occupé le poste de président du conseil d’administration du Groupe de la Banque mondiale.

Twitter: @HafedAlGhwell

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com