À l’approche des élections turques, les Kurdes sont à même de faire pencher la balance

Des Kurdes syriens marchent après être entrés en Turquie via la frontière turco-syrienne. (Reuters)
Des Kurdes syriens marchent après être entrés en Turquie via la frontière turco-syrienne. (Reuters)
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Publié le Vendredi 31 mars 2023

À l’approche des élections turques, les Kurdes sont à même de faire pencher la balance

À l’approche des élections turques, les Kurdes sont à même de faire pencher la balance
  • L’inflation persistante en Turquie est une épine dans le pied du gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan, qui espérait une renaissance économique après la pandémie
  • Après la promesse du président turc de reconstruire les régions ravagées par le séisme d’ici à un an, l’état de l’économie turque sera au cœur des prochaines élections

Le tremblement de terre du mois dernier et les inondations qui ont suivi sont le triste reflet de l’état lamentable des Kurdes de Turquie. Mais la gestion de la catastrophe naturelle par le gouvernement turc a mis ce dernier en position désavantageuse, offrant des perspectives électorales à l’opposition turque, dans laquelle les Kurdes pourraient jouer un rôle central. Le gouvernement est à la traîne dans les sondages d’opinion à l’approche des élections de mai, et les partis d’opposition du pays se bousculent pour renverser le parti au pouvoir depuis deux décennies. Le Parti démocratique des peuples (HDP), le parti prokurde de Turquie, pourrait faire pencher la balance.

Le président Recep Tayyip Erdogan et son parti AKP font face à l’élection la plus difficile depuis leur arrivée au pouvoir. Avec une inflation à 55%, le gouvernement a réussi à ralentir la flambée des prix au cours des derniers mois. Mais cette dernière reste beaucoup trop élevée et a une incidence directe sur les prix à la consommation, qui, selon des estimations indépendantes, ont augmenté à 126%.

L’inflation persistante est une épine dans le pied du gouvernement, qui espérait une renaissance économique après la pandémie. Et les dégâts sans précédent du tremblement de terre dans le sud du pays sont un sérieux revers, alors que le gouvernement se prépare à investir des millions dans la reconstruction. On espère que ces dépenses et cette production industrielle à grande échelle pourront relancer l’économie, bien qu’elles risquent plutôt d’entraîner une reprise des pressions inflationnistes.

Dans ce contexte difficile, le gouvernement reste attaché à ses politiques économiques contestées, qui se concentrent sur la réduction des taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation. La Banque centrale a abaissé le mois dernier son taux d’intérêt de référence d’un demi-point de pourcentage à 8,5% dans l’espoir que des emprunts moins coûteux puissent soutenir les efforts de reprise après le tremblement de terre. Le coût de la réparation des dommages causés par le séisme, qui s’élève à 40 milliards de dollars (un dollar = 0,92 euro), sera probablement doublé une fois la reconstruction prise en compte.

«Le président Recep Tayyip Erdogan et son parti AKP au pouvoir font face à l’élection la plus difficile depuis leur arrivée au pouvoir.»

- Zaid M. Belbagi

Compte tenu de la promesse du président de reconstruire les régions ravagées d’ici à un an, l’état de l’économie turque sera au cœur des prochaines élections. Les investisseurs étrangers hésitent à soutenir l’économie et beaucoup espéraient qu’un semblant d’orthodoxie économique améliorerait la situation économique et les pouvoirs administratifs du gouvernement.

Ces espoirs se sont estompés la semaine dernière, lorsque  le tsar de l’économie et ancien vice-Premier ministre Mehmet Simsek s’est réengagé à prendre sa retraite politique. L’économiste a vu la Turquie traverser la crise financière de 2008, entreprenant des réformes de grande envergure et préconisant le type d’économie de marché libre permettant à la Turquie de se faire des amis à l’échelle internationale. La livre turque ayant perdu 80% de sa valeur par rapport au dollar depuis son retrait de la vie politique, la réputation de M. Simsek en matière de gestion budgétaire saine aurait donné un grand coup de pouce au gouvernement. Citant des engagements de carrière dans le secteur privé, son exclusion de tout futur gouvernement est un coup dur pour le parti au pouvoir au moment où il pivote une fois de plus vers l’orthodoxie économique en raison de la faiblesse de la monnaie turque et de la situation inflationniste à une échelle plus large.

M. Simsek, d’origine kurde, se retrouve dans une situation politique tout aussi enviable que ses proches, qui pendant des décennies n’ont pas eu le poids démographique et électoral pour poursuivre leur programme et se retrouvent au centre de l’opposition et du gouvernement. Les élections s’annoncent très serrées.

Le bloc d’opposition de l’Alliance nationale, qui espère annuler les politiques économiques du gouvernement, a connu un tournant significatif mercredi dernier, le HDP (qui a le soutien de plus de 10% de l’électorat) ayant confirmé qu’il ne nommerait pas son propre candidat à la présidence. Bien que le HDP n’ait pas expressément déclaré qu’il s’unirait au bloc, il a signalé qu’il y jouerait un rôle croissant. Ses votes seront cruciaux si l’opposition doit dépasser les 50% requis pour remporter l’élection présidentielle et potentiellement sécuriser une majorité au Parlement lors des élections le même jour.

Le chef de l’opposition, le fonctionnaire à la retraite Kemal Kiliçdaroglu, aura cependant encore du pain sur la planche, puisque les récents sondages des instituts MAK et Turkiye Raporu lui donnent uniquement entre 4 et 9 points de pourcentage d’avance sur le président Erdogan.

Néanmoins, les élections favorisent toujours le président sortant et, malgré sa probité et sa fiabilité, M. Kiliçdaroglu n’a peut-être pas le charisme nécessaire pour affronter le président populiste de la Turquie. Le parti du septuagénaire à lunettes ne met plus l’accent sur la laïcité, mais sa foi alaouite et ses racines ethniques ne vont pas de pair avec le sunnisme du parti AKP. Dans un système configuré pour favoriser fortement le poste de président, les ambitions de l’opposition peuvent sembler trop optimistes. Quoiqu’il en soit, celui qui l’emportera et dirigera la Turquie fera face à des problèmes insurmontables.

Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Twitter: @Moulay_Zaid

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com