Chypre attache une «grande importance à la région du Golfe»

Un soldat de la Garde nationale chypriote en masque monte la garde devant un poste de sécurité près de la zone tampon à Nicosie, la dernière capitale divisée du monde, le 26 novembre 2020 (Photo, AFP/Archives)
Un soldat de la Garde nationale chypriote en masque monte la garde devant un poste de sécurité près de la zone tampon à Nicosie, la dernière capitale divisée du monde, le 26 novembre 2020 (Photo, AFP/Archives)
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Publié le Vendredi 04 décembre 2020

Chypre attache une «grande importance à la région du Golfe»

  • La Turquie n'a absolument pas le droit de forer là, c’est pour cette raison qu’elle a été condamnée par l'UE et la communauté internationale.
  • Aucun pays ne voudrait inclure la Turquie dans les mécanismes de coopération régionale, y compris les réseaux énergétiques et sécuritaires, plus que nous

DUBAÏ: La décision de la Turquie d'arrêter la prospection de pétrole et de gaz naturel en mer Méditerranée survient à la veille d’une réunion des leaders de l'Union européenne. A l’ordre du jour, décider ou non d’imposer des sanctions à Ankara pour ses projets de forage dans ce que la Grèce et Chypre considèrent comme étant leur territoire maritime.

Les leaders du continent vont décider lors du sommet du 10 et 11 décembre du sort des potentielles sanctions potentielles concernant les activités turques.

Les tensions entre la Turquie et les deux pays membres de l’UE vives étaient à fleur de peau au cours des incursions sporadiques de cette dernière dans les eaux contestées.

La Turquie a repris à la mi-octobre ses activités de prospection, après un bref arrêt, renvoyant l'Oruc Reis vers la Méditerranée orientale. Lundi, le gouvernement turc a annoncé que le navire a terminé les levés sismiques et se dirigeait vers le port d'Antalya.

Dans une interview via le Zoom avec Arab News, Demetris Samuel, porte-parole du ministère des Affaires étrangères de la République de Chypre, a donné le point de vue de son gouvernement sur un éventail de questions, y compris les relations diplomatiques et économiques avec les pays du Golfe.

Q: La Turquie a commencé ses opérations de forage pétrolier et gazier au large de Chypre, dans ce qu'elle appelle «son plateau continental». Que peut Chypre faire au-delà des protestation et des avertissements de l'UE?

R: Nous avons fait de grands efforts pour délimiter nos zones maritimes avec nos voisins. Nous pensons qu’il faut un dialogue avec la Turquie sur la base du droit international, y compris la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM). Nous avons délimité nos zones maritimes avec l'Égypte, Israël et le Liban et nous avons appelé à plusieurs reprises la Turquie à engager un dialogue afin de pouvoir également délimiter nos frontières maritimes avec Ankara.

La Turquie a jusqu'à présent refusé, puisqu’elle ne reconnaît pas la République de Chypre. Au cours des derniers dix-huit mois, la Turquie a mené six forages illégaux dans la zone économique exclusive ou sur le plateau continental de Chypre. Elle a même exécuté des opérations de forage dans les eaux territoriales de Chypre, dans les 12 milles marins de Chypre précisément. La Turquie a foré principalement au sud des eaux territoriales chypriotes et égyptiennes. La Turquie n'a absolument pas le droit de forer là, c’est pour cette raison qu’elle a été condamnée par l'UE et la communauté internationale.

Q: Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a affirmé que le dernier retrait par la Turquie du navire Oruc Reis «réduira certainement les tensions et facilitera également les progrès dans le processus de désescalade du conflit». Considérez-vous cela comme un développement positif pour la région dans son ensemble, y compris Chypre?

R: Si vous regardez la situation autant que telle, c’est une évolution positive, mais n’oublions pas que c’est une situation que nous avons vécue dans le passé avec la Turquie. Nous savons comment cela se termine. La Turquie retire le navire quelques jours avant le prochain Conseil européen afin de montrer à nos partenaires européens qu'elle prend du recul pour permettre un espace de dialogue. Puis, dès que la réunion du conseil se termine, le navire de forage ou le navire d'exploration poursuis sa mission. La Turquie n'a pas admis publiquement qu'elle avait a réellement retiré le navire.

Q: La Turquie a critiqué l'accord entre Chypre et le département d'État américain sur la création d'un centre de formation de sécurité commun, affirmant qu'il «nuirait à la solution du problème chypriote». Selon vous, quel type de solution satisfera la Turquie, qui n'est pas membre signataire de la Convention des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer?

R: L'objectif ultime de la Turquie depuis le début, depuis qu’elle a envahi Chypre en 1974, était d'avoir une influence, d’avoir le dernier mot sur ce qui se passe sur l'île. Elle a utilisé la communauté chypriote turque comme prétexte pour se mêler des affaires internes de l'île.

 

Cette photographie publiée par le ministère turc de la Défense le 12 août 2020 montre le navire de recherche sismique turc Oruc Reis qui se dirige vers l'ouest d'Antalya, dans la mer Méditerranée. (Photo, AFP/Ministère turc de la défense/d'archives)

La seule préoccupation du (Président) Erdogan est d’utiliser les Chypriotes turcs comme prétexte en vue de prouver sa domination sur Chypre. Après l’élection d'Ersin Tatar en tant que nouveau chef chypriote turc en octobre dans la zone occupée, le côté turc parle, publiquement même, d'une solution à deux États.

Q: Les dernières initiatives américaines sont considérées par beaucoup comme faisant partie des efforts de Washington pour détourner Nicosie de l'influence de Moscou. Chypre ressent-elle la pression des deux rivaux pour les garder heureux ou considère-t-elle que la concurrence est entièrement à son avantage?

R: Ni l'un ni l'autre. Nous menons notre politique étrangère sur la base d'un agenda positif. Nous ne pensons pas qu’il serait bénéfique de parier sur les États-Unis contre la Russie et vice versa.

Le maintien de nos excellentes relations avec les membres du Conseil de sécurité de l’ONU est l’un des piliers de notre politique étrangère et nous sommes très conscients que cela n’est pas affecté par tout ce que nous faisons dans une direction particulière.

Nous sommes un petit pays avec un problème existentiel. Nous avons 40 000 soldats étrangers sur notre sol, nous croyons fortement au droit international, et nous attachons une grande importance aux résolutions du Conseil de sécurité. Étant donné que les États-Unis et la Russie sont tous deux membres de ce Conseil, nous ferons de notre mieux pour ne pas laisser nos actions avoir un impact sur des acteurs internationaux de poids. Nous ne voyons pas notre politique étrangère comme un jeu à somme nulle.

Q: Lors de réunions tenues en août, le Ministre des affaires étrangères de l’Arabie saoudite, le prince Faisal bin Farhan, a réitéré le soutien de Riyad aux droits souverains de Chypre, tandis que son homologue chypriote a déclaré que «la solidarité et le soutien de pays comme l’Arabie saoudite» étaient une nécessité absolue pour Chypre. Comment décririez-vous cette relation?

R: Si vous regardez les faits concrètement, vous pouvez se rendre compte de l'importance que nous attachons à la région du Golfe. Certes, Chypre est l'un des plus petits États membres de l'Union européenne mais nous avons l'un des réseaux diplomatiques les plus étendus dans la région. Nous investissons beaucoup dans nos relations avec les pays du Golfe, en particulier l'Arabie saoudite. Il convient de noter que nos relations bilatérales ont évolué rapidement au cours des dernières années. (Depuis le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et Chypre en 2016), nous avons ouvert des ambassades dans les capitales des deux pays et nous avons échangé un certain nombre de visites de haut niveau.

Les relations d'affaires ont également prospéré et, sans la pandémie, nous aurions déjà des vols directs entre Chypre et l'Arabie saoudite. Au cours des quatre dernières années, nous avons couvert un terrain d’entente et des relations diplomatiques qui prennent normalement de 20 à 30 ans à établir. Nous entretenons d'excellentes relations avec l'Arabie saoudite. Cela est une relation très dynamique qui est basée sur notre respect mutuel du droit international.

Nous sommes présents avec des missions résidentes dans tout le Golfe à l'exception de Bahreïn. Nous étudions actuellement la possibilité d'ouvrir une mission diplomatique et une ambassade à Bahreïn. Nous attachons une grande importance au Golfe car nous considérons le Golfe comme faisant partie de la région dans laquelle nous nous trouvons; ceci est, bien entendu, un élément très crucial. Nous pensons que ce qui se passe dans le Golfe a un impact considérable sur toute la région au sens large. Nous constatons également qu'il y a énormément de potentiel dans la grande région; en Méditerranée orientale et au Moyen-Orient ainsi que dans le Golfe.

En renforçant la coopération, nous estimons que nous pouvons exploiter ce potentiel au profit de nos peuples, au profit de la stabilité et de la sécurité dans la région toute entière. C’est une région cruciale pour la stabilité et la sécurité au niveau mondial. Si nous pouvons accroître et renforcer la stabilité, la coopération et la sécurité dans cette région, alors nous avons donc franchi (un long chemin vers) le renforcement de la sécurité et de la stabilité dans le monde entier.

Q: L'Arabie saoudite et Chypre ont tous deux tenu à promouvoir la signature d'une série d'accords bilatéraux, à organiser deux forums d'affaires d'ici la fin de l'année, et à inaugurer des vols directs entre les deux pays. Ces projets sont-ils sur la bonne voie?

R: Oui, bien sûr, tout est sur la bonne voie, mais nous avons connu quelques retards dus aux restrictions de la Covid-19, notamment en ce qui concerne le forum des entreprises.

Q: Chypre et l’Égypte ont l’intention de construire un pipeline maritime direct dans le cadre de leurs efforts pour transporter le gaz naturel du champ de gaz Aphrodite de votre pays vers des usines égyptiennes pour enfin le réexporter vers l’Europe. Ces projets respectent-ils le calendrier ou ont-ils été perturbés par la situation tendue en Méditerranée orientale?

R: Il y a certes des perturbations, mais elles ne sont pas dues à la situation en Méditerranée orientale mais à cause de la situation actuelle dans les marchés mondiaux en matière d'énergie. Le cadre intergouvernemental et juridique pour la mise en œuvre de ces projets a été déjà établi. Cependant, tout dépend bien sûr du marché et de son évolution. Même le développement de l'infrastructure qui se fera avec des investissements privés sera déterminé par les facteurs du marché mondial.

La pandémie a surtout perturbé le fonctionnement du marché en affectant les prix. Les décisions finales sont donc en cours de réévaluation. Ce qui ne change pas, c'est les cadres juridique et intergouvernemental qui sont nécessaires pour que ces projets se poursuivent et se concrétisent selon le marché.

Q: Rétrospectivement, pensez-vous que c'était une erreur en janvier 2019 d'éloigner la Turquie du Forum du gaz de la Méditerranée orientale et de lui refuser les avantages de la baisse des coûts et des prix compétitifs d'un marché gazier régional?

R: Aucun pays ne voudrait inclure la Turquie dans les mécanismes de coopération régionale, y compris les réseaux énergétiques et sécuritaires, plus que nous. Pourquoi? Notre approche est simplement pragmatique. En quelque sorte, la géographie détermine le destin.

S’il y a bien un pays qui aimerait avoir un voisin respectueux du droit international et des relations de bon voisinage, c'est nous. Nous aimerions avoir un tel voisin. Nous sommes les plus grands partisans du processus d'adhésion de la Turquie à l'UE, et plus que quiconque, nous aimons voir la Turquie ajuster sa politique étrangère et ses attitudes d'une manière qui en ferait un voisin que tout le monde aimerait avoir.

Nous appuyons pleinement l’inclusion de la Turquie dans ce réseau régional de coopération. Sans la Turquie, cette coopération ne serait jamais complète, ce pays est indéniablement un acteur très important dans la région.

Nous ne pouvons néanmoins pas parler de tout cela pendant que la Turquie menace et viole les droits souverains de ses voisins, tout en en ignorant de manière flagrante le droit international et les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU. Vous n’avez qu’à regarder les relations que la Turquie entretient avec les pays de la région, notamment l'Égypte, Israël, l'Irak, la Grèce et l'Arménie. Quand Erdogan est arrivé au pouvoir en 2003, son slogan était «zéro problème avec nos voisins». Il a complètement changé sa philosophie en «des problèmes avec tous les voisins».

La Turquie veut avoir ce rôle hégémonique dans la région et dicter à chacun comment les choses sont décidées et déterminées, y compris comment fonctionne la coopération. Ce n'est pas du tout le modèle sur lequel nous autres travaillons.

Q: Pensez-vous que les différends entre la Turquie et Chypre éloigneront davantage les Chypriotes grecs et turcs, ou les rapprocheront émotionnellement et contribueront indirectement, à long terme, à la réunification de l’île?

R: Si la Turquie était hors de l'équation et que des choses étaient laissées entre les Chypriotes grecs et turcs, les deux communautés de l'île, nous pourrions résoudre le problème très rapidement, en quelques jours même.

La Turquie utilise la présence de la communauté chypriote turque sur l’île comme prétexte pour de promouvoir ce qu’elle considère comme ses propres intérêts nationaux. Elle ne se soucie nullement du bien-être des Chypriotes turcs.

Chypre se trouve dans le plan stratégique de la Turquie. Par conséquent, son insistance à jouer un rôle dans les affaires d’un État indépendant et souverain, une Chypre fédérale qui évoluera à partir d’une résolution du problème chypriote, est le principal obstacle à la réunification de l’île.

 Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com

 


L’éducation en crise: les écoles de Gaza détruites par les attaques israéliennes

Des enfants marchent avec d’autres Palestiniens déplacés qui empruntent la route côtière de Rachid pour retourner dans la ville de Gaza, en passant par le camp de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza. (Photo, AFP)
Des enfants marchent avec d’autres Palestiniens déplacés qui empruntent la route côtière de Rachid pour retourner dans la ville de Gaza, en passant par le camp de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza. (Photo, AFP)
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  • Selon un rapport publié en mars, 87,7% des établissements scolaires de Gaza ont été endommagés ou détruits
  • Save the Children exige que le gouvernement israélien mette un terme aux attaques illégales contre les établissements d’enseignement et mette pleinement en œuvre la déclaration sur la sécurité dans les écoles

LONDRES: La guerre entre Israël et le Hamas menace gravement le potentiel à long terme des enfants de Gaza et les possibilités qui s’offrent à eux, déclare l’organisation caritative Save the Children.

Toutes les écoles de Gaza sont fermées depuis le début de l’offensive israélienne en octobre, ce qui a affecté 625 000 élèves. Par ailleurs, des frappes aériennes incessantes ont détruit toutes les universités de la bande de Gaza.

Ahmed, un père déplacé à Rafah, a fait part de son désespoir quant à l’avenir de ses trois enfants. «Je ne vois plus de vie pour eux», confie-t-il.

Pour Ahmed et d’innombrables autres parents, l’objectif premier est de garder leurs enfants en vie.

Cependant, selon Save the Children, nombreux sont ceux qui sont conscients que même si leurs enfants survivent aux menaces immédiates des bombardements et de la famine, leur éducation et leur développement seront gravement affectés.

Selon un rapport publié en mars, 87,7% des établissements scolaires de Gaza ont été endommagés ou détruits. Au total, 212 bâtiments scolaires ont été directement touchés, tandis que 282 autres ont subi des dommages plus ou moins importants.

Les difficultés d'accès, en particulier dans les gouvernorats du nord de Gaza, ont conduit le secteur de l’éducation à procéder à une évaluation des dommages par satellite afin de confirmer l’état des établissements d’enseignement.

Selon le droit humanitaire international, les écoles ne devraient généralement pas être prises pour cible et de telles attaques constituent de graves violations à l’encontre des enfants. D’après Save the Children, une absence prolongée de l’école entraîne non seulement une interruption de l’apprentissage, mais aussi une régression des progrès.

Les expériences passées montrent que plus les enfants s’absentent de l’école, moins ils ont de chances d’y retourner, ce qui compromet leurs perspectives de bien-être économique et de santé mentale et physique. Ils sont également plus exposés à la violence et aux abus.

«Les enfants ne peuvent pas échapper à la réalité de la guerre, n’ont pas de routine stable, n’ont pas la possibilité d’apprendre ou de jouer, et nombre d’entre eux n’ont pas de famille. Ce sont des facteurs de protection essentiels dont les enfants ont besoin pour atténuer le risque de dommages mentaux durables», indique un communiqué de Save the Children.

Les enfants de Gaza expriment régulièrement leur profond désir de retourner à l’école, qu’ils considèrent comme l’une de leurs priorités pour rétablir un sentiment de normalité et poursuivre leur développement éducatif et social.

«Il y a quelques jours, l’un de mes enfants m’a dit : “Je veux manger de la nourriture saine. Je veux vraiment aller à l’école et vivre ma vie d’avant, ma vie normale, et je veux jouer”», raconte Maher, un père de famille de Gaza.

Save the Children appelle à un cessez-le-feu immédiat et complet et à la fin du siège de Gaza.

L’organisation exhorte à la réouverture de tous les points de passage afin d’assurer la circulation des biens commerciaux et humanitaires. Elle exige de même que le gouvernement israélien mette un terme aux attaques illégales contre les établissements d’enseignement et mette pleinement en œuvre la déclaration sur la sécurité dans les écoles.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


L'ONU va lancer un appel aux dons de 2,8 milliards de dollars pour Gaza et Cisjordanie

Les Palestiniens font la queue pour acheter du pain subventionné dans une boulangerie de la ville de Gaza, le 14 avril 2024, dans le cadre du conflit entre Israël et le groupe militant Hamas. (Photo par AFP)
Les Palestiniens font la queue pour acheter du pain subventionné dans une boulangerie de la ville de Gaza, le 14 avril 2024, dans le cadre du conflit entre Israël et le groupe militant Hamas. (Photo par AFP)
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  • Avec la communauté humanitaire, nous appelons à 2,8 milliards de dollars pour aider 3 millions de personnes identifiées en Cisjordanie et à Gaza», a déclaré Andrea De Domenico
  • Quelques jours après l'attaque du Hamas sans précédent contre Israël du 7 octobre et le début de l'offensive israélienne dans la bande de Gaza en représailles, l'ONU avait lancé un premier appel aux dons d'urgence de 294 millions de dollars

NATIONS UNIES : L'ONU va lancer mercredi un appel aux dons de 2,8 milliards de dollars pour aider la population palestinienne à Gaza et en Cisjordanie en 2024, a indiqué mardi le patron du bureau humanitaire des Nations unies dans les territoires palestiniens.

«Nous publions demain l'appel aux dons jusqu'à la fin de l'année. Avec la communauté humanitaire, nous appelons à 2,8 milliards de dollars pour aider 3 millions de personnes identifiées en Cisjordanie et à Gaza», a déclaré Andrea De Domenico lors d'une conférence de presse par vidéo.

«Evidemment 90% est pour Gaza», a-t-il précisé, notant qu'au départ, le plan humanitaire pour 2024 avait été chiffré à 4 milliards mais réduit à 2,8 milliards compte tenu des limites à l'accès de l'aide humanitaire.

Quelques jours après l'attaque du Hamas sans précédent contre Israël du 7 octobre et le début de l'offensive israélienne dans la bande de Gaza en représailles, l'ONU avait lancé un premier appel aux dons d'urgence de 294 millions de dollars.

L'appel avait été modifié début novembre, pour être porté à 1,2 milliard de dollars pour répondre aux besoins les plus urgents de 2,7 millions de personnes dans les territoires palestiniens (2,2 millions à Gaza, 500.000 en Cisjordanie) pour la période allant jusqu'à fin 2023.


Après un an de guerre, des Soudanais se remémorent leurs rêves partis en fumée

Des personnes des États de Khartoum et d'al-Jazira, déplacées par le conflit actuel au Soudan entre l'armée et les paramilitaires, font la queue pour recevoir de l'aide d'une organisation caritative à Gedaref, le 30 décembre 2023. (Photo par AFP)
Des personnes des États de Khartoum et d'al-Jazira, déplacées par le conflit actuel au Soudan entre l'armée et les paramilitaires, font la queue pour recevoir de l'aide d'une organisation caritative à Gedaref, le 30 décembre 2023. (Photo par AFP)
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  • Les start-up «bourgeonnaient dans tout le pays», rivalisant de solutions «pour répondre aux vrais besoins des Soudanais», témoigne depuis les Etats-Unis l’ancienne employée d’une société d'investissement à Khartoum
  • De nombreux Soudanais de la diaspora avaient investi les économies d'une vie dans la construction d'une maison à Khartoum, pour assister impuissants à la saisie de leurs biens par les FSR

LE CAIRE : Au début, en 2018, de la révolution au Soudan, Omar Ushari n'aurait jamais imaginé être un jour réfugié au Caire, après avoir fui la guerre sanglante qui ravage son pays depuis maintenant un an.

A l'époque, cet avocat de 37 ans était derrière les barreaux, comme de nombreux opposants emprisonnés par le régime islamo-militaire d'Omar el-Béchir et, comme eux, il s'était réjoui de ce soulèvement populaire.

Libéré, dans un Soudan assoiffé de changement après la chute d'Omar el-Béchir en 2019, Omar Ushari a décidé de réaliser son rêve: ouvrir un petit café littéraire qu'il a appelé Rateena, un havre de paix où les militants de Khartoum réfléchissaient collectivement à construire «un meilleur Soudan».

Mais quand le 15 avril 2023, l'armée du général Abdel Fattah al-Burhane et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo sont entrés en guerre, M. Ushari a vu son projet «peu à peu partir en fumée».

Pendant des mois, bravant les combats de rue, il s'est rendu à Rateena pour, dit-il, «m'asseoir dans la pénombre, prendre note des pillages survenus depuis ma dernière visite, et me souvenir».

Longtemps, il est resté sidéré, incapable de comprendre «comment la musique, les conférences et les débats avaient disparu au profit des balles perdues éparpillées au sol et l'écho des tirs d'artillerie».

- Une «révolution volée» -

Un an de guerre a dévasté le Soudan et fait des milliers de morts. Le rêve de M. Ushari «n'est qu'un des milliers de rêves qui ont volé en éclat», à l'aune de ce qu'il appelle «une révolution volée».

La transition démocratique enclenchée au départ d'Omar el-Béchir, après 30 ans de pouvoir, a libéré «les espoirs, l'inspiration et l'audace» de la jeunesse, explique à l'AFP Sarah Salmane, qui travaillait à l'époque dans une société d'investissement à Khartoum.

Les start-up «bourgeonnaient dans tout le pays», rivalisant de solutions «pour répondre aux vrais besoins des Soudanais», ajoute-t-elle depuis les Etats-Unis.

A elle seule, Mme Salmane a examiné plus de 50 projets de start-up dans des secteurs variés, allant de la télé-santé à la finance.

Un boom initié par l'«énergie de la révolution», ce moment où «les gens avaient espoir que le Soudan emprunte enfin la bonne voie, sorte des ténèbres et atteigne, via une transition civile, la liberté», se souvient M. Ushari.

Comme nombre de ses compatriotes, l'experte en communication Raghdan Orsud, âgée de 36 ans, a pris part au changement.

Elle a co-fondé la plateforme de lutte contre la désinformation Beam Reports, «convaincue du rôle que les médias peuvent jouer dans une transition démocratique», dit-elle à l'AFP depuis Londres.

Mais deux mois après le lancement de sa plateforme, cette fragile transition a déraillé lorsqu'en octobre 2021, les deux généraux aujourd'hui en guerre ont mené ensemble un coup d'Etat et confisqué le pouvoir aux civils.

«C'était une période douloureuse, des manifestants étaient tués toutes les semaines», se souvient M. Ushari.

Pourtant, malgré la répression, la jeunesse soudanaise a continué à battre le pavé pour exiger le retour des civils au pouvoir.

- Rateena incendié -

Puis un samedi, à la fin du ramadan, les habitants de Khartoum se sont réveillés au son des tirs d'artillerie.

En une nuit, les cadavres d'habitants abattus par des snipers ou fauchés par des balles perdues ont jonché les rues de Khartoum.

Plusieurs millions d'habitants ont fui la capitale. Raghdan Orsud a dû abandonner l'équipement sonore flambant neuf qu'elle venait d'acquérir. «Tout était encore empaqueté» quand les paramilitaires se sont emparés de son immeuble.

Omar Ushari tentait de s'établir au Caire quand il a reçu un message vidéo montrant un immense incendie.

«C'est comme ça que j'ai appris que Rateena avait brûlé». Avec le café, des milliers de livres et d'oeuvres d'art ont été réduits en cendres.

De nombreux Soudanais de la diaspora avaient investi les économies d'une vie dans la construction d'une maison à Khartoum, pour assister impuissants à la saisie de leurs biens par les FSR.

La cheffe pâtissière Chaimaa Adlan, âgée de 29 ans, raconte que son père, qui vit en Arabie saoudite, «priait pour qu'un bombardement touche la maison». «Il aurait préféré la voir détruite plutôt que transformée en base paramilitaire», ajoute-t-elle.

- «Le Soudan est à nous» -

Mme Adlan, qui venait de lancer une activité de traiteur, s'est retrouvée au Caire, déracinée et sans emploi.

Un an plus tard, elle slalome dans une cuisine animée de la capitale égyptienne, hurlant des ordres à ses équipes tout en mettant la touche finale à ses plats mêlant subtilement arômes soudanais et occidentaux.

Sur scène, M. Ushari, qui s'est associé à Mme Adlan et à d'autres pour ouvrir un restaurant éphémère doublé d'un espace culturel, présente un musicien soudanais qui s'apprête à jouer le répertoire classique du pays.

Cette même jeunesse qui organisait les manifestations rêve toujours de démocratie et chapeaute l'entraide à travers le pays, constituant, d'après l'ONU, «la première ligne» de la réponse humanitaire à la guerre.

Malgré l'exil et la douleur, il reste une «étincelle révolutionnaire» vivace dans le «coeur de tous les Soudanais», dit M. Ushari.

«Le Soudan est à nous tous, alors que faire si ce n'est s'atteler à le reconstruire?», ajoute Mme Orsud.