Sommet de Djeddah: pragmatisme et rengaines

Une photo fournie par l'agence de presse saoudienne (SPA) le 19 mai 2023 montre le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane s'adressant au sommet de la Ligue arabe à Djeddah (Photo, AFP).
Une photo fournie par l'agence de presse saoudienne (SPA) le 19 mai 2023 montre le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane s'adressant au sommet de la Ligue arabe à Djeddah (Photo, AFP).
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Publié le Vendredi 26 mai 2023

Sommet de Djeddah: pragmatisme et rengaines

Sommet de Djeddah: pragmatisme et rengaines
  • Certains observateurs arabes estiment qu’un sentiment dominant de frustration, perceptible sur les visages des participants, a imprégné le sommet arabe de Djeddah
  • Entre Israël et les Palestiniens, la violence ne cesse de s’intensifier, tandis que l’armée soudanaise s’engage dans un affrontement militaire brutal et ouvert avec les Forces de soutien rapide

Beaucoup d’Arabes ont une vision positive du récent sommet arabe qui s’est tenu à Djeddah, notamment en raison de l’efficacité et de l’influence pragmatique de l’Arabie saoudite, pays hôte de l’événement. La capacité du Royaume à exercer une influence et à collaborer activement avec d’autres centres de décision et d’influence arabes est très appréciée, en particulier dans le contexte des événements tumultueux qui secouent le Moyen-Orient et le monde, sans parler des évaluations selon lesquelles il est fort probable que la crise ukrainienne dégénère bientôt en un conflit mondial de plus grande ampleur.

Quelques personnes dans le monde arabe s’attendaient à ce que le sommet de Djeddah adopte une rhétorique différente de celle des sommets précédents et à ce que l’on observe l’introduction de remèdes et de substituts non conventionnels aux problèmes et aux différends qui tourmentent la région arabe. Il s’agit sans aucun doute d’une aspiration légitime, mais il manque une stratégie d’exécution pratique.

Les crises ne sont pas résolues par des discours et des expressions grandiloquentes et il n’est pas exagéré d’affirmer que l’une des principales origines du dilemme arabe est qu’il découle de phases antérieures caractérisées par des phrases accrocheuses, des discours passionnés et des clameurs vides de sens.

Si une personne ne tient pas compte de l’importance de la question palestinienne et de son «importance fondamentale», elle s’expose à des critiques. De même, si quelqu’un l’accentue, il essuie également des critiques sous prétexte de prises de position répétitives et de paroles dépourvues d’action.

Les attentes ou le sens du «passage à l’acte» prôné sans cesse par ces détracteurs restent un mystère pour tous. De quelle manière le sommet de Djeddah pourrait-il se dérouler et en quoi devrait-il se différencier des autres sommets arabes? Ces personnes attendaient-elles de la diplomatie saoudienne qu’elle guide leurs frères arabes dans la guerre contre telle ou telle partie impliquée dans les crises arabes dans l’intention de démontrer le triomphe du sommet?

Et pourquoi ont-elles négligé d’écouter ou de se donner l’occasion de parcourir les paroles articulées par le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, qui contenaient des messages explicites au sujet de la poursuite de la sécurité et de la stabilité, du désamorçage des crises et de la fin des conflits?

Certains observateurs arabes estiment qu’un sentiment dominant de frustration, perceptible sur les visages des participants, a imprégné le sommet arabe de Djeddah. Ce sentiment n’a cependant aucun rapport avec les résultats du sommet ou avec le pays hôte. Nous devons reconnaître que le climat régional et international est tout simplement décourageant.

Entre Israël et les Palestiniens, la violence ne cesse de s’intensifier, tandis que l’armée soudanaise s’engage dans un affrontement militaire brutal et ouvert avec les Forces de soutien rapide (FSR). En outre, des crises étouffantes frappent le Liban, la Syrie, le Yémen et la Libye, tandis que d’autres nations arabes sont aux prises avec des difficultés économiques sans précédent. L’environnement international demeure obscurci par la possibilité d’un nouveau conflit mondial qui pourrait avoir un impact sur toutes les facettes de l’existence. L’atmosphère est donc loin d’être ordinaire.

Même si le sommet s’était déroulé dans la joie et la bonne humeur, ces mêmes critiques affirmeraient que les dirigeants arabes font preuve d’indifférence à l’égard de l’effusion de sang au Soudan, des événements qui se déroulent dans les territoires palestiniens ou de l’angoisse vécue par d’autres personnes.

La difficulté pour certains d’entre nous, les Arabes, réside dans le fait qu’il existe des individus qui croient que nos crises peuvent être corrigées par une poignée de phrases dans un discours décontracté ou par une proposition qui viserait à renforcer la collaboration arabe.

Ces personnes ne comprennent pas qu’une mesure politique substantielle, telle que la réintégration de la Syrie, avec tout son poids et son influence au sein de la structure arabe, incarne une progression politique affirmative. En l’absence de la participation de la Syrie, il devient difficile de délibérer sur une perspective arabe unifiée au sujet de la sécurité régionale ou de construire une perspective stratégique claire des liens arabes avec des forces régionales influentes telles qu’Israël, la Turquie et l’Iran.

D’autres points de vue sont également défendus par les critiques occidentaux. Certains d’entre eux affirment que la Syrie n’a fait aucun compromis en échange de sa réintégration dans la Ligue arabe. D’un point de vue factuel, les Arabes n’ont rien offert à la Syrie jusqu’à présent, si ce n’est un accueil chaleureux pour son retour. Par conséquent, l’idée que ce retour justifie des concessions n’a pas beaucoup de sens.

Une expérience globale et durable de plus d’une décennie a montré que la recherche de résolutions et de solutions pour soulager la détresse de la population syrienne ne peut se faire sans une communication directe et l’établissement de canaux de contact avec Damas. La situation devient encore plus précaire au vu des conséquences considérables de la situation actuelle en Syrie sur la sécurité régionale, notamment en raison de la prolifération des activités terroristes, du commerce illicite de la drogue, de la crise des réfugiés et d’autres problèmes connexes.

Pour y voir plus clair, il est impératif de reconnaître que l’exclusion prolongée de la Syrie, qui englobe la nation et ses citoyens, depuis plus d’une décennie n’est pas un substitut rationnel. La question qui nous occupe ne tourne pas autour du régime en tant que tel. Chacun doit absolument reconnaître que la persistance des politiques actuelles à l’encontre de la Syrie ne fait que refléter un manque de pragmatisme politique, un report des résolutions et une approche évasive.

En outre, elle entraîne une angoisse supplémentaire pour des millions de personnes et de nouvelles bévues stratégiques, notamment en permettant à d’autres factions régionales d’étendre leur influence en Syrie au détriment de son peuple et, de la même manière, au détriment des intérêts stratégiques arabes.

Les puissances occidentales moralisatrices ne s’attaquent pas à la crise en Ukraine et donnent lieu à des conjectures sur l’implication potentielle dans un conflit mondial de proportions potentiellement nucléaires avec le poids lourd que représente la Russie. Néanmoins, l’Occident persiste à affirmer sa capacité à donner des conseils aux Arabes au sujet de la Syrie et des questions connexes sans tenir compte du fait que la seule certitude dans le domaine de la politique est le changement et que les intérêts servent d’éléments directeurs pour façonner les positions et les perspectives.

Une expérience globale et durable de plus d’une décennie a montré que la recherche de résolutions et de solutions pour soulager la détresse de la population syrienne ne peut se faire sans une communication directe et l’établissement de canaux de contact avec Damas.

Dr. Salem Alketbi

Une crise de l’ampleur de celle que traverse la Syrie ne peut être résolue par l’isolement et la déconnexion, car il s’agit d’une nation assiégée par la domination de diverses factions et de milices régionales et internationales dans de nombreuses régions de son territoire. Environ la moitié de sa population a été déplacée à l’intérieur du pays ou est devenue réfugiée en territoire étranger.

Il n’existe aucune alternative logique, si ce n’est celle formulée par le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faisal ben Farhane al-Saoud: «Il est impératif que nous nous unissions et que nous fassions tous les efforts possibles pour renforcer l’action collective arabe dans la lutte contre ce fléau.»

Certains perçoivent la réintégration de la Syrie dans la Ligue arabe comme un triomphe diplomatique pour le président Bachar al-Assad, ce qui est vrai, de fait, dans les calculs d’analyse politique. Mais, d’un autre côté, c’est aussi une victoire pour l’unité arabe, qui a enfin triomphé de l’obstacle des désaccords au sujet de la Syrie grâce aux efforts diplomatiques assidus et habiles de l’Arabie saoudite. Elle est parvenue à élaborer une formule harmonieuse et des résolutions politiques pragmatiques, établissant une base commune sur laquelle tous les Arabes se sont retrouvés unis à Djeddah.

Salem AlKetbi est un politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral.

TWITTER: @salemalketbieng

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.