Pap Ndiaye: un ministre mal assorti?

L'ancien ministre français de l'Éducation et de la Jeunesse Pap Ndiaye quitte après une cérémonie de passation de pouvoir au ministère de l'Éducation à Paris le 20 juillet 2023. (Photo Emmanuel DUNAND / AFP)
L'ancien ministre français de l'Éducation et de la Jeunesse Pap Ndiaye quitte après une cérémonie de passation de pouvoir au ministère de l'Éducation à Paris le 20 juillet 2023. (Photo Emmanuel DUNAND / AFP)
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Publié le Mercredi 26 juillet 2023

Pap Ndiaye: un ministre mal assorti?

Pap Ndiaye: un ministre mal assorti?
  • Pap Ndiaye avait tenu à préciser: «Je suis peut-être un symbole, celui de la méritocratie, mais peut-être aussi celui de la diversité. Je n’en tire nulle fierté, mais plutôt le sens du devoir et des responsabilités»
  • «Continuité et efficacité», tels sont les facteurs qui, selon les propres termes du président français, devaient présider au changement de gouvernement

«Continuité et efficacité», tels sont les facteurs qui, selon les propres termes du président français, devaient présider au changement de gouvernement. Continuité: huit portefeuilles ont changé de détenteurs; efficacité: il fallait, comme avait tenu à prévenir la Première ministre, des hommes et des femmes ayant «la capacité à diriger leur administration». Parmi les promus: Gabriel Attal, à l’Éducation, et Aurélien Rousseau, à la Santé, qui succèdent respectivement à Pap Ndiaye et à François Braun. Des remplacés qui auraient donc manqué de «capacité à diriger…».
Une rectification, pour plaire… à qui?
Ainsi, comme l’a affirmé sur France 2 le porte-parole du gouvernement Olivier Véran, lui-même maintenu à son poste, l’ajustement annoncé fut un renforcement: «Vous avez au sein du nouveau gouvernement des élus d'expérience, des élus aussi de terrain.»
«Étrange remaniement du gouvernement Borne 3», titrera tout de même le journal Le Monde, concluant «au sacrifice des ministres issus de la société civile et à la mobilisation des macronistes de la première heure». Une rectification annoncée, voire programmée, s’agissant de Pap Ndiaye.
Plusieurs mois avant la formation du nouveau gouvernement, le nom de l’universitaire avait déjà commencé par être «livré aux chiens», pour reprendre la formule d’un François Mitterrand en rage contre les journalistes après le suicide de son Premier ministre Pierre Bérégovoy… Accusé de wokisme, d’indigénisme, voire d’islamo-gauchisme (ce concept dont j’ai dénoncé moult fois la corruption sémantique)(1), c’est seulement plus d’un an après sa nomination (le 20 mai 2022) que Pap Ndiaye s’est mis à répliquer aux attaques.
C’est dire que, contrairement à ce qu’avancent les journalistes de CNews et de Valeurs actuelles, les «sorties» du ministre n’auront été que des réactions de défense. Et s’il les a taxées «très clairement d’extrême-droite», c’est juste la réponse du berger à la bergère. Du reste, sur l’affirmation de «chaîne pluraliste» revendiquée à satiété par les gardiens du temple «CNews», le journal Libération a fait son travail d’investigation, et en voici le résultat:

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En janvier 2022, déjà, autrement dit quatre mois avant la nomination de Pap Ndiaye au ministère de l’Éducation, voici ce qu’annonçait en titre le journal Le Monde: «Une semaine à regarder uniquement CNews: mépris de la gauche, critique contre l’exécutif, sympathie pour Éric Zemmour»(2).
Autant nommer Bélise(3) à l’Éducation nationale!
Du coup, à l’approche du changement du gouvernement, les lions s’étaient lâchés… Pour une certaine presse, la nomination en mai 2022 de l’universitaire Pap Ndiaye, ci-devant directeur du Musée de l’histoire de l’Immigration, au poste de ministre de l’Éducation était une injure à la noble fonction. Succédant à un Jean-Michel Blanquer plutôt terne comme pédagogue, il avait pourtant tenu à préciser: «Je suis peut-être un symbole, celui de la méritocratie, mais peut-être aussi celui de la diversité. Je n’en tire nulle fierté, mais plutôt le sens du devoir et des responsabilités».
En fait, c’est durant son «séjour» audit Musée que Pap Ndiaye aurait été taxé d’«indigéniste». De même, lorsqu’en 2005 il cofonde le Conseil représentatif des associations noires de France, (Cran), on lui avait collé l’étiquette de «racialiste». Tout était bon pour dénigrer ce professeur à Sciences Po, agrégé en histoire. Aussi, à l’annonce de la formation d’un nouveau gouvernement, la «Droite extrême» s’est-elle mobilisée sur les ondes pour exhorter la Première ministre à débarrasser la rue de Grenelle de cette «pièce rapportée». On lui ajouta même un autre défaut, en rappelant à qui voulait l’entendre que le ministre de l’École publique préfère mettre ses enfants dans le privé, à l’École alsacienne, pour la nommer.
Mais une fois connu son remplaçant, en la personne de Gabriel Attal, une information qui aurait dû émouvoir lesdits chantres de l’école publique fut aussitôt enterrée: c’est que le nouveau ministre de l’Éducation fut lui-même élève de ladite «École alsacienne»! Sa réaction, après sa nomination, ne tarda pas: «Oui, j'ai été à l'école privée. Je n'ai pas à renier ou à m'excuser pour ce choix qu'ont fait mes parents à l'époque (...). Le combat, c'est de garantir que toute l'école puisse apporter à tous les parents l'essentiel de ce qu'ils attendent pour les enfants.»
Certes, l’argument tient la route: public ou privé, l’essentiel, pour tout établissement scolaire, est de mener à bien sa «mission républicaine». Mais alors, pourquoi cette déclaration de principe a-t-elle troublé certains puristes de la langue française? Tout bonnement, pour la formulation: «J’ai été à l’école privée». Dont on ne peut pas dire qu’elle soit correcte, du point de vue syntaxique, sans compter que l’on ne s’excuse pas soi-même… Remarques anecdotiques, certes, et après tout ce n’est là que du langage parlé. Mais alors… Autant imaginer la Bélise de Molière ministre de l’Éducation nationale!

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Et puis, ce n’est pas la première fois que le nouveau ministre se joue de la syntaxe! Ainsi, le 12 janvier 2022, durant l’épidémie de Covid, Gabriel Attal avait déjà troublé les académiciens avec cette curieuse formule de soutien au ministre de l’Éducation de l’époque, contesté pour sa gestion de la crise de la Covid à l’école: «On est tous très en soutien de Jean-Michel Blanquer». Ouais, dirai-je, on ne fait que chercher encore la petite bête.
Mais là où l’on attend le jeune prodige de l’École privée, c’est face aux trois engagements qu’il a pris à l’occasion de la passation de pouvoirs avec son prédécesseur, Pap Ndiaye. À savoir: 1. «Remettre le respect de l'autorité et les savoirs fondamentaux au cœur de l'école». 2. «Que chaque enfant puisse être “heureux” à l'école en promettant “les meilleures conditions d'apprentissage possibles”, mais aussi en luttant contre le harcèlement scolaire». 3. «Faire du remplacement des professeurs absents une priorité».
En attendant, et juste pour un souci de déontologieque CNews prenne un seul engagement: veiller réellement au respect du pluralisme et, donc, cesser de harceler celles et ceux qui ne partagent pas les convictions de ses chroniqueurs.

 
(1) YouTube
(2) Le Monde 
(3) Personnage des « Femmes savantes » de Molière, qui n’a de cesse de corriger Martine, la servante, pour ses manquements à l’usage de la langue : « Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire ? ».

 

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

Twitter: @SGuemriche

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.