Comment mettre fin au cercle vicieux de la violence et de la misère au Yémen

Le blocus imposé à Taïz (ci-dessus) constitue l’une des préoccupations humanitaires les plus urgentes pour le gouvernement yéménite (Photo, Reuters).
Le blocus imposé à Taïz (ci-dessus) constitue l’une des préoccupations humanitaires les plus urgentes pour le gouvernement yéménite (Photo, Reuters).
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Publié le Lundi 11 septembre 2023

Comment mettre fin au cercle vicieux de la violence et de la misère au Yémen

Comment mettre fin au cercle vicieux de la violence et de la misère au Yémen
  • Rien ne laisse présager que les Houthis prendront bientôt place à la table des négociations
  • Le Yémen a besoin d’unité au sein des factions gouvernementales et d’une coordination plus étroite entre donateurs et amis

Ma visite au Yémen la semaine dernière a été un rappel brutal de la volatilité explosive de la trêve entre le gouvernement du Yémen et la milice houthie. Bien que cette trêve soit maintenue de manière informelle depuis avril 2022, elle reste fragile, puisque les Houthis n’ont pas réussi jusqu’à présent à respecter les engagements qu’ils avaient pris auprès de l’ONU l’année dernière. La violence s’intensifie sans que l’on perçoive de progrès vers un cessez-le-feu formel ou une solution politique, alors que l’économie s’effondre et que la crise humanitaire s’aggrave.

L’armistice informel ne s’est pas traduit par un cessez-le-feu formel, et encore moins par un accord de paix. Par ailleurs, rien ne laisse présager que les Houthis prendront bientôt place à la table des négociations. Le gouvernement du Yémen a tenu les promesses qu’il avait formulées au début de la trêve: ouvrir l’aéroport de Sanaa aux vols internationaux directs et augmenter le flux de marchandises, y compris de carburant, via le port de Hodeïda. Cependant, les Houthis n’ont pas respecté leurs engagements. Le blocus qu’ils ont imposé à Taïz en est désormais à sa neuvième année et rien n’indique qu’il cessera, tandis que la milice continue d’intensifier la pression militaire sur d’autres provinces.

Les Yéménites que j’ai rencontrés lors de cette visite affirment que les espoirs antérieurs selon lesquels la percée diplomatique saoudo-iranienne entraînerait une évolution positive au Yémen ont été anéantis, puisque les Houthis ont intensifié leurs attaques sur plusieurs fronts ces dernières semaines. Lors de son intervention au mois de juillet dernier devant le Conseil de sécurité de l’ONU, l’envoyé spécial pour le Yémen, Hans Grundberg, a déclaré que même si les combats avaient globalement diminué depuis le début de la trêve, les lignes de front demeuraient instables. Des affrontements armés ont eu lieu dans les provinces d’Ad-Dali, de Taïz, de Hodeïda, de Marib et de Chabwa. Il a dit redouter que «ces étincelles de violence persistantes, ainsi que les menaces publiques de reprise des combats à grande échelle, n’accroissent les peurs et les tensions».

Depuis cette intervention de M. Grundberg, les Houthis ont mené de nouvelles attaques contre plusieurs zones placées sous contrôle gouvernemental. Au cours des dernières semaines, les Houthis ont de nouveau attaqué les provinces de Marib, de Lahij, d’Ad-Dali et de Taïz, ciblant des civils, des maisons et des camps de personnes déplacées, notamment trois attaques simultanées de missiles sur ces camps à Marib le 30 août. Les tireurs d’élite houthis ont par ailleurs repris leurs attaques.

Le blocus à grande échelle qui asphyxie Taïz – la troisième plus grande ville du Yémen – constitue l’une des préoccupations humanitaires les plus urgentes pour le gouvernement yéménite et les agences humanitaires. L’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme a récemment rapporté que trois millions d’habitants souffrent du manque de produits de première nécessité, notamment de nourriture et de médicaments, tout en étant constamment susceptibles d’être tués ou blessés par des bombardements ou des tirs de tireurs isolés. Il décrit le blocus comme une «forme de punition collective contre des civils qui peut constituer un crime de guerre» en vertu du droit international.

Au lieu de mettre en œuvre leur part de l’accord de trêve, les Houthis ont augmenté leurs exigences et ils ont utilisé la force pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il paie les salaires des fonctionnaires dans les zones contrôlées par les Houthis. Ils ont également demandé une part des revenus pétroliers collectés par le gouvernement, sans partager ceux qu’ils collectent dans les zones sous leur contrôle.

Les Houthis ne fournissent pas d’informations sur les différents prélèvements qu’ils perçoivent, notamment les impôts sur les personnes physiques et les sociétés, les douanes, les frais portuaires et les surtaxes imposées aux services publics et aux sociétés de télécommunications. Le gouvernement a proposé de mettre en commun les revenus et de les reverser à la Banque centrale, suggestion que les Houthis ont jusque-là rejetée.

Pour forcer la main du gouvernement, ces derniers ont bombardé en octobre dernier les ports placés sous contrôle gouvernemental, y compris les terminaux d’exportation de pétrole, mettant ainsi fin aux capacités d’exportation de pétrole. Sans revenus pétroliers, le gouvernement est incapable d’équilibrer ses comptes. Sans le financement d’urgence d’1,2 milliard de dollars (1 dollar = 0,93 euro) annoncé le mois dernier par l’Arabie saoudite, le gouvernement n’aurait pas été en mesure de respecter ses engagements fondamentaux. Cette situation est bien sûr temporaire et ne peut pas durer à long terme, ce qui rend impérative la reprise des exportations de pétrole.

Il y a également eu de graves pénuries de carburant en raison des bombardements des Houthis, ce qui a incité l’Arabie saoudite à envoyer des fournitures d’urgence en carburant aux centrales électriques afin de maintenir l’éclairage des maisons et le fonctionnement des hôpitaux ainsi que des écoles.

La capacité réduite du gouvernement a limité son aptitude à fournir aux Yéménites les produits de première nécessité. Dans ce pays, des millions de personnes font face à une crise humanitaire croissante, en particulier les communautés vulnérables comme les personnes déplacées à l’intérieur du pays, dont le nombre est estimé à au moins 2 millions pour la seule ville de Marib. La crise humanitaire a été aggravée par les réductions de l’aide internationale, notamment celle du Programme alimentaire mondial.

Le développement économique est presque au point mort. La capacité du gouvernement à financer des projets de développement a été considérablement réduite et l’absence de progression vers une solution politique a découragé de nombreux donateurs. Ces derniers ont décidé d’attendre la fin du conflit au lieu de poursuivre l’aide au développement face aux incertitudes politiques et sécuritaires. La plupart des donateurs traditionnels du Yémen ont gelé leur aide au développement ou l’ont considérablement réduite, se concentrant plutôt sur l’aide immédiate ou détournant leur aide vers d’autres parties du monde, ce dont de nombreux Yéménites se plaignent.

Les Houthis semblent utiliser de manière cynique la pression militaire sur les zones contrôlées par le gouvernement et l’aggravation de la crise humanitaire pour forcer le gouvernement et la communauté internationale à céder.

Lors de ma visite de la semaine dernière, très peu de personnes faisaient preuve d’optimisme quant à la possibilité d’une d’amélioration de la situation sans que soit exercée une pression pour contraindre les Houthis à désamorcer la situation, à respecter leurs engagements et à favoriser un règlement négocié.

«Les espoirs selon lesquels la percée diplomatique saoudo-iranienne entraînerait une évolution positive au Yémen ont été anéantis.»

Dr Abdel Aziz Aluwaisheg

Les Yéménites comptent sur l’ONU pour progresser plus rapidement sur la voie politique, mais ils misent sur l’aide des donateurs, notamment ceux du Conseil de coopération du Golfe (CCG), pour surmonter cette crise. La réduction de l’aide internationale intervient exactement au mauvais moment.

Le mouvement vers la paix au Yémen nécessitera un effort concerté sur au moins quatre fronts. D’abord, l’ONU doit agir rapidement sur le plan politique et ne pas s’enliser dans les exigences croissantes des Houthis. Ensuite, le Yémen et ses partenaires doivent trouver un moyen de reprendre les exportations de pétrole pour contribuer à combler le déficit de financement du gouvernement. En outre, les institutions financières internationales, comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, doivent redoubler d’efforts pour contribuer à la réforme et à l’augmentation des finances publiques. Enfin, il est indispensable que les agences humanitaires accroissent leur aide au Yémen pour répondre aux besoins d’un nombre croissant de personnes dans le besoin.

Cependant, pour atteindre ces objectifs, le Yémen a besoin d’unité au sein des factions gouvernementales et d’une coordination plus étroite entre donateurs et amis. Sans cette unité et cette coordination, la milice houthie continuera de bloquer tout mouvement vers une solution efficace à l’agonie du Yémen.

Le Dr Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe pour les affaires politiques et la négociation et un chroniqueur régulier d’Arab News.

Twitter: @abuhamad1

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com