Un véritable système mondial exige un type de leadership différent

Le président américain Joe Biden et le Premier ministre britannique Rishi Sunak (Photo, AFP).
Le président américain Joe Biden et le Premier ministre britannique Rishi Sunak (Photo, AFP).
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Publié le Jeudi 25 janvier 2024

Un véritable système mondial exige un type de leadership différent

Un véritable système mondial exige un type de leadership différent
  • Les hommes politiques actuellement au pouvoir ne possèdent pas la crédibilité nécessaire pour construire un système mondial qui mérite d’être suivi et respecté
  • Après la guerre froide, l’Occident, enivré par sa victoire, a ignoré les facteurs animant Moscou, la dynamique de l’essor de la Chine et l’émergence de la politique religieuse comme alternative au nationalisme et à la laïcité

Le monde ne mérite-t-il pas des dirigeants respectables ne cherchant plus à amadouer les masses avec des slogans et des mesures populistes? Beaucoup pensaient qu’une prise de conscience accrue et une culture plus développée au XXIe siècle constitueraient un rempart contre ce type de comportement, et qu’il serait sanctionné par les urnes.

Nous avons vu trop d’exemples au cours des dernières semaines pour les énumérer. Alors, par où commencer?

Par les États-Unis? Il semble que la force la plus puissante au monde soit en train de répéter le scénario des élections de 2020, dans ce qui semble être une course entre les deux mêmes candidats, qui ont entre 70 et 80 ans bien comptés, et qui n'apportent rien de nouveau, à savoir le président démocrate, Joe Biden, et son prédécesseur républicain, Donald Trump.

Ou par la Grande-Bretagne, où un gouvernement conservateur – dont le Premier ministre et de nombreux ministres de premier plan sont issus de l’immigration et appartiennent à des groupes minoritaires – a construit sa stratégie politique populiste autour de l’expulsion des demandeurs d’asile?

«Les politiciens n’ont pas la crédibilité nécessaire pour construire un système mondial qui mérite d’être suivi et respecté»

Eyad Abou Shakra

Ou alors devrions-nous commencer par l’Allemagne, un pays dont la grande civilisation a été entachée par le nazisme, et dont le complexe de culpabilité sur son passé, associé à un réseau d’intérêts politiques, converge pour l’amener à défendre les atrocités commises à Gaza par les enfants des victimes du nazisme?

Ou bien encore de la France, qui entretient l’illusion d’être une puissance mondiale qui comprend les angoisses des peuples du monde et les contradictions de ses civilisations, mais qui a nommé un jeune duo en charge de la politique étrangère. Ce duo n’a pas vécu les expériences ni adopté les systèmes de valeurs nécessaires pour élaborer un processus de dialogue et d’entente avec les autres.

Ou peut-être devrait-on parler de la réunion annuelle du Forum économique mondial à Davos, en Suisse, où nous avons entendu un populiste ébranlé, porté au pouvoir par le désespoir du peuple argentin, prononcer une conférence insensée sur la politique et l'économie, attaquant tous les systèmes de gouvernance connus dans le monde?

Ce ne sont là que des exemples de choses que nous avons vues et continuons de voir. Ils reflètent un état des choses regrettable; les hommes politiques n’ont pas la crédibilité nécessaire pour construire un système mondial qui mérite d’être suivi et respecté. De la bande de Gaza à l’Argentine, et du sous-continent indien à l’Ukraine, tous les slogans apparus à la fin de la guerre froide s’écroulent.

Après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique, beaucoup pensaient que la grande bataille était terminée de manière catégorique. Il ne semblait donc y avoir aucune justification pour retarder la marche de l’humanité vers le bonheur, la paix, la coexistence, la prospérité et la justice. Cependant, il est devenu plus tard évident pour des centaines de millions de personnes naïves et bien intentionnées que la nature humaine n’était pas celle qu’on leur avait fait croire dans les lieux de culte, les forums partisans, ou les «tranchées de la lutte».

Par ailleurs, le bloc vainqueur n’était pas une association caritative cherchant à rassembler les peuples, ni un hôpital dont la mission était de soigner les maladies. Il s’agissait plutôt d’un féroce guerrier dans une arène où les faibles n’avaient pas leur place. En effet, dès la fin de la guerre froide, mettant fin au conflit entre l’Est et l’Ouest, nous avons vu émerger diverses luttes et guerres ethniques, religieuses et sectaires visant à «réparer les injustices du passé».

Il n’a pas fallu longtemps pour que la guerre éclate dans les Balkans et que la carte de l’Europe soit redessinée. Cela a été suivi par les guerres dans le Caucase, pour finalement atteindre l’Ukraine.

Le retour de Moscou sur la scène, cette fois sous une forme nationaliste, fut l’une de ces tentatives de corriger ce qui était perçu comme des «injustices historiques». Elle était armée d’une mémoire forte et d’une amère indignation. Les conséquences de cette nouvelle situation, apparue à l’ouest de ce qui était autrefois la sphère soviétique, se sont également répétées plus au sud, au Moyen-Orient.

Entre-temps, l’Occident, enivré par sa victoire, a ignoré les facteurs animant Moscou, la dynamique de l’essor de la Chine, ainsi que l’émergence de la politique religieuse comme alternative au nationalisme et à la laïcité, en Asie du Sud, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

«La reddition de comptes dans un système démocratique est compromise lorsque le groupe de pression pro-israélien infiltre les deux principales alternatives politiques»

Eyad Abou Shakra

Au Moyen-Orient notamment, l’insistance de Washington à être seul habilité à conclure des initiatives de paix régionales a non seulement créé une approche profondément déséquilibrée pour garantir une paix véritable et durable, mais a également précipité la montée en Israël d’une droite extrêmement radicale. En effet, la droite israélienne a été pleinement convaincue qu’elle avait le droit de façonner la politique américaine dans la région, et d’utiliser l’Amérique pour promouvoir ses projets.

Comme nous l’avons vu et continuons de le constater, le déclin de la qualité du leadership américain (qu’il s’agisse de républicains ou de démocrates) au cours des dernières décennies a permis à la droite religieuse israélienne de déclarer clairement ses intentions. Aujourd’hui, avec la crise de Gaza, nous constatons que ceux qui étaient autrefois considérés comme de petits groupes membres marginaux de factions religieuses de droite à la Knesset imposent désormais leur programme politique au gouvernement israélien. Ce gouvernement, à son tour, a imposé son programme politique à Washington. Il a été renforcé par le lancement d’une année électorale aux États-Unis, au cours de laquelle les partis républicain et démocrate rivalisent d’ardeur pour rassurer le lobby pro-israélien.

Même en dehors de Washington, ce lobby a exploité l’attaque du 7 octobre pour remodeler à sa convenance le discours politique sur le conflit israélo-arabe. Il a été aidé dans cette démarche par la nouvelle définition occidentale de «l’antisémitisme». Il a également capitalisé sur les ambitions expansionnistes de l’Iran et sur la plongée inquiétante de l’Europe vers le populisme et l’hostilité envers les immigrés, les réfugiés, et plus largement, les musulmans en général.

Ici, il convient d’indiquer que ces groupes de pression ne se contentent plus d’infiltrer les partis de droite et de gauche – comme c’est le cas aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France et dans d’autres pays. Ils cherchent aussi maintenant à influer sur des forces qui ont longtemps été considérées comme marginales et idéalistes, qui ne valaient même pas la peine d’être infiltrées, comme les partis verts.

L’explication logique de ce phénomène réside dans le déclin de la qualité des dirigeants et des normes d’éthique des institutions politiques, même dans un système prévoyant une responsabilité démocratique. La reddition de comptes est compromise lorsque le groupe de pression pro-israélien infiltre les deux principales alternatives politiques par le biais de services, d’argent et d’influence.

Comme l’a écrit l’historien et homme politique britannique Lord Acton: «Le pouvoir tend à corrompre, et le pouvoir absolu corrompt absolument.»

Eyad Abou Shakra est directeur de la rédaction d'Asharq Al-Awsat. 

X: @eyad1949

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com