Le sport et ses responsabilités symboliques

Match de basketball entre l’équipe des Washington Wizards et le Miami Heat, joué à huit-clos à Washington le 9 janvier (Photo, AFP).
Match de basketball entre l’équipe des Washington Wizards et le Miami Heat, joué à huit-clos à Washington le 9 janvier (Photo, AFP).
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Publié le Mardi 12 janvier 2021

Le sport et ses responsabilités symboliques

Le sport et ses responsabilités symboliques
  • Homo Digitalis est perdu dans un désert symbolique alors que le monde se débat à rechercher, scientifiquement, une solution médicale et technique à la pandémie de Covid-19 et ses variantes
  • Et si nous pouvions aussi compter sur le sport pour nous réconcilier avec ces valeurs et ces symboles d’espoir, qui nous manquent aujourd’hui ?

Initialement conçus comme un passe-temps pour une élite anglaise, le sport et ses espaces de compétition sont devenus, au cours du XXe siècle, l’une des activités sociales les plus universelles de l’homme moderne. En faisant abstraction du langage, le sport nous rassemble. Il nous donne un espace dans lequel nous pouvons retrouver les plus grands dénominateurs communs de notre humanité tout en découvrant des cultures, des idées et des sensibilités différentes.

En 1957, Roland Barthes décrivait dans ses Mythologies qu’une des servitudes majeures du monde occidental était le «divorce accablant de la mythologie et de la connaissance». Alors que «la science va vite et droit en son chemin, les représentations collectives ne suivent pas, elles sont des siècles en arrière, maintenues stagnantes dans l’erreur par le pouvoir, la grande presse et les valeurs d’ordre». Situation toujours d’actualité en ce début de 2021, Homo Digitalis est perdu dans un désert symbolique alors que le monde se débat à rechercher, scientifiquement, une solution médicale et technique à la pandémie de Covid-19 et de ses variantes.

 

Un mal qui répand la terreur,

Mal que le Ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre,

Covid-19 (puisqu’il faut l’appeler par son nom),

Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,

Faisait aux humains la guerre.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés:

On n’en voyait point d’occupés

À chercher le soutien d’une mourante vie…[1]

 

Mais est-ce vraiment un vaccin qui va nous faire rêver ? Et si nous pouvions aussi compter sur le sport pour nous réconcilier avec ces valeurs et ces symboles d’espoir, qui nous manquent aujourd’hui ?

Je sais les critiques de la valorisation idéologique du sport : «une manière d’encadrement idéologique des populations et d’une partie de la jeunesse» (Jean-Marie Brohm). Ce constat du sport en tant qu’instrument de contrôle social ne date pas d’hier: Juvénal adorait le sport dans sa dimension physique (on lui doit «Esprit sain dans un corps sain»), mais il abhorrait les jeux du cirque, panem et circenses. Jugement partagé par Cicéron : «Le mal n’était pas dans le «pain et les cirques» en soi, mais dans la volonté du peuple de vendre ses droits en tant qu’hommes libres pour un ventre plein et une excitation qui servent à les distraire des autres faims humaines que ni pain et ni cirques ne pourront jamais apaiser».

C’est la perspective du sport comme spectacle et aliénation, la «société du spectacle», décrite par des penseurs comme Guy Debord ou par Neil Postman et attaquée par Jean-Marie Brohm dans un article dans Mediapart en avril 2013 : «La saturation de l’espace public par le spectacle sportif atteint aujourd’hui des proportions démesurées. Contenu idéologique dominant, souvent exclusif même, des grands médias, des commentaires politiques, des ragots journalistiques, des conversations quotidiennes, le spectacle sportif apparaît comme une propagande ininterrompue pour la brutalité, l’abrutissement, la vulgarité, la régression intellectuelle et pour finir l’infantilisation».

Les Mouvements olympique et paralympique se sont dotés de symboles forts représentatifs de leurs valeurs, histoires, identités et aspirations.

Cette vision critique doit être aujourd’hui contrebalancée par une analyse plus nuancée, le sport ne peut être tenu responsable de tous les maux du monde occidental moderne. D’autres perspectives existent et les mégaévénements sportifs sont aussi pour moi des terrains d’expression et d’expérimentation. Avec la parade des athlètes, le serment, l’hymne, le drapeau et la devise olympique, le cérémonial de la flamme… les Mouvements olympique et paralympique se sont dotés de symboles forts représentatifs de leurs valeurs, histoires, identités et aspirations. Tout comme la Fédération internationale de football association (Fifa).

Les pays hôtes en sont parfaitement conscients, et leur collaboration avec «les structures faîtières» (Comité international olympique [CIO], Fifa, Conseil olympique asiatique…) a permis aux citoyens et aux spectateurs de vivre réellement des expériences uniques et inoubliables: les magnifiques cérémonies d’ouverture de Doha en 2006, Pékin 2008 ou Sotchi 2014 ont permis au monde entier de découvrir un peu plus des identités nationales et des cultures qataries, chinoises et russes. Tous les spectateurs étrangers de la coupe du monde Fifa 2018 ont été touchés par la liesse populaire, les particularités et l’hospitalité des habitants de Moscou, Kazan ou Saint-Pétersbourg.

Il reste à faire, notamment sur la place de la femme et des personnes handicapées, la durabilité de l’événement; ce sont des sujets abordés par les mégaévénements sportifs. Et les organisateurs des Jeux olympiques et paralympiques (ou de leurs déclinaisons régionales) continueront leurs efforts dans ces domaines.

Malgré leur valeur symbolique de lumière et d’espoir, les autorités de la capitale japonaise ont dû suspendre pour plusieurs semaines l’exposition des torches olympiques et paralympiques. Rationnellement, je le comprends, mais je le regrette symboliquement. Nous avons besoin de ces mythes et de ces symboles. Même s’ils ne sont pas toujours de notre culture et de notre histoire nationale. Le symbole nous inspire et nous éclaire quelle que soit son origine. Faut-il occidentaliser pour moderniser? Je ne le pense pas et je suis confiant que les prochains territoires hôtes, Qatar 2022 (Fifa), Pékin 2022 (CIO), Ekaterinbourg 2023 (Universiade) ou encore Doha 2030 et Riyad 2034 (Jeux asiatiques) apporteront des perspectives originales et symboliques à notre monde en pleine mutation.

 

Philippe Blanchard a été directeur au Comité international olympique, puis en charge du dossier technique de Dubai Expo 2020. Passionné par les mégaévénements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant les Jeux de l’innovation et des sports du futur (Futurous).

Twitter: @Blanchard100

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

[1] D’après Jean de la Fontaine, Les Animaux malades de la peste