Un spectre longtemps relégué aux marges refait surface au cœur de la politique israélienne d’extrême droite: celui du «transfert». Cette illusion persistante, maintes fois dénoncée, déconstruite et remaquillée sous des atours diplomatiques, refuse de disparaître. Derrière ce terme aseptisé se cache un projet brutal et ancien: le déplacement forcé des Palestiniens hors de leur terre.
Ce qui fut jadis une idée extrémiste confinée aux franges du discours est aujourd’hui défendu ouvertement par la coalition radicale, de plus en plus assurée, du Premier ministre Benjamin Netanyahou. Le langage a changé, mais l’intention, elle, demeure intacte: redessiner la carte démographique de la Palestine au nom de la sécurité nationale et de l’intérêt stratégique. Pourtant, il n’y a rien de sûr dans l’éradication d’un peuple. Rien de légitime dans la destruction de maisons, la privation de nourriture, ou l’annihilation d’un droit fondamental: celui d’exister sur sa propre terre.
À Gaza, cette idéologie s’est matérialisée en politique concrète. Chaque missile lancé, chaque quartier anéanti, chaque hôpital submergé de blessés et de mourants révèle un peu plus les contours d’une vision implacable. Tandis que les responsables israéliens évoquent cyniquement une «migration volontaire», la réalité sur le terrain est bien celle d’un territoire rendu invivable. Ce n’est pas une stratégie militaire, c’est un déplacement orchestré. Un nettoyage ethnique qui ne dit pas son nom.
Les preuves de cette tragédie ne résident pas uniquement dans les rapports des Nations unies ou les déclarations officielles. Elles s’imposent à nous à travers les images qui marquent à jamais la conscience collective mondiale.
Hani Hazaimeh
Le bilan humanitaire est accablant. Selon la Ligue arabe, depuis octobre 2023, la campagne militaire israélienne à Gaza a causé la mort de plus de 52 500 personnes et blessé plus de 118 000 autres – majoritairement des femmes et des enfants. Des milliers d’autres restent prisonniers des décombres, sans nom, sans trace. Des hôpitaux ont été réduits en ruines, des écoles rayées de la carte, des familles entières anéanties dans leurs maisons. Les corps d’enfants brûlés au point d’être méconnaissables ne sont pas de simples dommages collatéraux: ils incarnent une idéologie qui considère la vie palestinienne comme négligeable.
Personne ne peut prétendre à l'ignorance. Les preuves ne se trouvent pas seulement dans les rapports des Nations unies ou les communiqués de presse, mais aussi dans les images gravées dans la conscience mondiale. Une mère serrant les corps sans vie de ses jumeaux. Un secouriste s'effondrant après avoir retiré le corps de sa fille des décombres. Des rangées de corps enveloppés de blanc, alignés dans des morgues de fortune ou dans des champs en plein air parce que les cimetières sont pleins.
Il s'agit d'une catastrophe humanitaire d'une ampleur historique. Et pourtant, les nations les plus puissantes du monde continuent de couvrir les actions d'Israël. Les États-Unis, l'Union européenne et d'autres ont échoué non seulement sur le plan moral, mais aussi sur le plan stratégique, enhardissant un régime qui caresse désormais ouvertement l'idée d'un déplacement permanent de population – une idée autrefois considérée comme politiquement radioactive, mais aujourd'hui troublante et acceptable dans certains cercles.
Il s'agit d'une catastrophe humanitaire. Et pourtant, les nations les plus puissantes du monde continuent de couvrir les actions d'Israël.
Hani Hazaimeh
Les ministres israéliens d'extrême droite parlent d'une «solution» qui exige que les Palestiniens partent, qu'ils soient absorbés par l'Égypte, la Jordanie ou n'importe où ailleurs qu'ici. C'est la logique du colonialisme réanimée au XXIe siècle. Il ne s'agit pas seulement d'une attaque contre Gaza, mais aussi contre le droit international, la dignité humaine et l'idée même que les gens aient droit à leur patrie.
La cause palestinienne n'est pas seulement une question de politique, c'est une question d'humanité. Il s'agit d'un peuple qui se voit refuser le droit de vivre en paix, d'élever ses enfants sans crainte, de pleurer ses morts sans entendre le vrombissement des avions au-dessus de sa tête. Le rêve d'une solution à deux États s'éloigne un peu plus à chaque frappe aérienne, remplacé par un cauchemar d'occupation et de souffrance perpétuelles.
La communauté internationale doit se rendre à l'évidence: ce qui se passe à Gaza n'est pas une guerre, c'est une campagne de disparition forcée. Il s'agit d'un génocide sous un autre nom, mené avec une précision numérique et une froideur bureaucratique. Et derrière cela se cache un fantasme politique ressuscité des coins les plus sombres de l'idéologie des colons israéliens.
La question n'est pas de savoir si nous voyons ce qui se passe. Il s'agit de savoir si nous sommes prêts à agir.
Car l'histoire a la mémoire longue. Elle se souviendra de ceux qui ont défendu la justice et de ceux qui ont regardé en silence un peuple entier sombrer dans l'abîme.
Hani Hazaimeh est un rédacteur en chef basé à Amman.
X: @hanihazaimeh
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com