La Syrie se trouve aujourd'hui à l'aube d'un chapitre transformateur de son histoire moderne. Plus de sept mois après l'éviction de Bachar Assad, le pays a prêté serment à un nouveau gouvernement de transition dirigé par le président Ahmad Al-Sharaa, marquant ainsi une rupture significative avec des décennies de régime autocratique. Le nouveau gouvernement a promis l'inclusion et la réforme, en nommant un cabinet diversifié qui, pour la première fois, comprend des femmes et des représentants de groupes minoritaires. L'une de ces nominations, celle de Hind Kabawat au poste de ministre des affaires sociales, marque une rupture avec les schémas d'exclusion du passé.
La réaction régionale a été rapide et, à bien des égards, optimiste. Les capitales arabes, autrefois divisées sur la manière de traiter avec Damas, se réengagent aujourd'hui avec un objectif renouvelé. L'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont annoncé des mesures d'allègement de la dette et d'assistance économique. La Tunisie, l'Égypte et la Jordanie ont échangé des visites de haut niveau, tandis que le Qatar a fait part d'une ouverture conditionnelle dans l'attente de progrès en matière d'inclusion politique et de retour des réfugiés. Entre-temps, le Royaume-Uni a rétabli des liens diplomatiques complets avec Damas et le secrétaire d'État américain Marco Rubio a rencontré en mai son homologue syrien à Antalya, en Turquie.
Ces mesures reflètent un rééquilibrage plus large de la politique régionale. Plutôt que d'isoler indéfiniment la Syrie, les États arabes parient désormais sur le fait qu'un engagement constructif pourrait constituer une voie plus efficace vers la stabilité. Mais cela soulève une question cruciale : La normalisation catalysera-t-elle de véritables réformes ou ne fera-t-elle qu'entériner le statu quo sous un nouveau nom ?
Il y a des raisons de faire preuve d'un optimisme prudent. Le nouveau gouvernement syrien, soutenu par une coalition de groupes d'opposition et de personnalités de la société civile, a établi une feuille de route transitoire qui prévoit une réforme constitutionnelle, la décentralisation du pouvoir et le retour progressif des réfugiés en coopération avec les agences des Nations unies. Des efforts de réconciliation locale sont en cours dans des zones anciennement assiégées comme Deraa et la Ghouta orientale, tandis que les médias indépendants ont prudemment repris leurs activités en vertu d'une nouvelle loi sur la presse adoptée en mars.
Sur le plan international, la position de la Syrie en matière de politique étrangère évolue également. Damas s'est montré ouvert à l'idée de réintégrer les institutions mondiales et a exprimé son intérêt pour la négociation d'un cadre de paix avec Israël, même si les pourparlers n'en sont qu'à leurs balbutiements. Entre-temps, les Forces démocratiques syriennes ont accepté une intégration partielle avec l'armée syrienne sous un commandement militaire unifié, dans le cadre d'un processus plus large de réforme du secteur de la sécurité qui est considéré comme la clé de la stabilité à long terme.
Malgré ces mesures, un profond scepticisme persiste. Les critiques font valoir que sans une véritable responsabilisation pour les atrocités passées, la normalisation pourrait blanchir les abus systémiques et nuire à la poursuite de la justice. Des familles de détenus et de victimes de crimes de guerre ont exprimé leur inquiétude quant au fait que le ralliement de la Ligue arabe à Damas est peut-être intervenu trop tôt, avant que des progrès significatifs en matière de droits de l'homme ne soient réalisés.
Les États arabes font le pari qu'un engagement constructif peut offrir une voie plus efficace vers la stabilité.
Hani Hazaimeh
En outre, la reprise économique du pays reste fragile. Les infrastructures syriennes ont été détruites, le taux de chômage est élevé et l'inflation a plongé une grande partie de la population dans la pauvreté. Des milliards de dollars d'aide à la reconstruction sont nécessaires, mais de nombreux gouvernements occidentaux conditionnent leur soutien à une libéralisation politique accrue et à la protection des libertés civiles.
On craint également que les puissances régionales ne donnent la priorité à la stabilité plutôt qu'aux réformes, en s'engageant auprès de Damas pour limiter l'influence étrangère ou endiguer les flux de réfugiés, tout en fermant les yeux sur la stagnation intérieure. Le défi consiste donc à faire en sorte que la normalisation ne soit pas une fin en soi, mais un levier pour susciter un véritable changement.
L'avenir de la Syrie n'est pas seulement une question syrienne, c'est un impératif régional. Une Syrie stable, souveraine et inclusive pourrait contribuer à contenir le militantisme transfrontalier, à revitaliser les corridors commerciaux et à restaurer un certain degré de cohérence politique au Levant. Mais si la normalisation se contente de restaurer une autocratie rebaptisée, elle risque de perpétuer les conditions qui ont conduit à l'implosion de la Syrie.
Les États arabes sont désormais confrontés à un délicat exercice d'équilibre : comment s'engager de manière constructive avec Damas tout en insistant sur des progrès mesurables en matière de transition politique, d'État de droit et de réconciliation. La communauté internationale, pour sa part, doit continuer à soutenir la société civile syrienne, à renforcer la gouvernance locale et à défendre les droits des réfugiés et des personnes déplacées.
Le retour de la Syrie dans le giron arabe constitue à la fois une opportunité et un test. Si elle est gérée de manière responsable, la normalisation pourrait offrir une bouée de sauvetage à un pays ravagé par la guerre, en l'aidant à reconstruire ses institutions et à reprendre sa place dans la région. Mais si elle est abordée avec complaisance ou motivée par des intérêts géopolitiques étroits, elle risque de légitimer la stagnation et de faire taire les voix de ceux qui réclament la dignité, la justice et la liberté.
La Syrie est à la croisée des chemins. La suite des événements déterminera si elle s'engage enfin sur la voie de la guérison nationale ou si elle reste prisonnière d'un cycle de promesses non tenues.
Hani Hazaimeh est un rédacteur en chef basé à Amman.
X: @hanihazaimeh
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com