Dans les paysages urbains denses de Gaza, où les maisons, les écoles, les hôpitaux et les bureaux humanitaires se fondent dans les mêmes blocs dévastés par la guerre, un récit effrayant a pris racine : la justification des morts civiles par l'expression "boucliers humains". C'est une expression qui, avec une fréquence calculée, apparaît dans les briefings militaires et la couverture médiatique internationale, présentée comme une explication, une défense ou même une absolution pour les frappes aériennes qui laissent des familles ensevelies sous les décombres.
Mais qu'est-ce que cela signifie d'accuser une population entière de servir de bouclier humain, et qui bénéficie de ce cadrage ?
Cette terminologie est devenue un outil rhétorique central dans la guerre en cours à Gaza. Israël, soutenu par plusieurs alliés occidentaux, affirme à plusieurs reprises que le Hamas s'est implanté dans les infrastructures civiles, utilisant les hôpitaux, les écoles et les zones densément peuplées comme couverture. Ces affirmations sont utilisées pour justifier des frappes qui font de nombreuses victimes civiles et détruisent des infrastructures essentielles, y compris la mort de travailleurs humanitaires et de membres du personnel des Nations unies.
Cependant, pour évaluer de manière critique ce récit, nous devons examiner non seulement ses implications, mais aussi ses fondements mêmes.
Le droit international humanitaire interdit l'utilisation de civils comme boucliers humains. Il impose également à toutes les parties belligérantes de faire la distinction entre les combattants et les non-combattants et de prendre toutes les précautions possibles pour éviter de blesser des civils. Mais l'invocation des "boucliers humains" crée une zone grise juridique dangereuse, qui permet de reclasser des zones à forte densité de population civile en cibles militaires légitimes, même en l'absence de preuves transparentes.
En effet, l'accusation de "boucliers humains" devient un bouclier post hoc pour l'action militaire, et non une vérité vérifiée. Hani Hazaimeh
Cette ambiguïté est souvent exploitée. Lorsqu'un missile frappe un camp de réfugiés ou qu'un convoi humanitaire est pris pour cible, l'explication de secours est souvent une vague affirmation de la présence de militants dans les environs. Ces affirmations sont rarement vérifiées de manière indépendante et sont souvent fournies rétroactivement. En fait, l'accusation devient un bouclier post hoc pour l'action militaire, et non une vérité vérifiée.
Ce langage érode l'obligation de rendre des comptes. Il transforme les crimes de guerre en nécessité tactique et ne laisse aucun refuge aux civils de Gaza, pas même entre les murs d'une école des Nations unies ou sous les tentes d'une organisation d'aide.
En qualifiant les civils de boucliers humains, on ne fait pas que justifier leur mort, on les déshumanise. Elle déplace subtilement la responsabilité de l'agresseur vers la victime, laissant entendre que la souffrance des civils n'est pas seulement inévitable, mais stratégique. Ce cadrage crée un détachement moral, désensibilisant le monde aux scènes d'enfants ensanglantés et de maisons détruites.
Elle renforce également une fausse dichotomie : les habitants de Gaza sont soit des combattants, soit des collaborateurs, soit des boucliers, soit des menaces. Cette dichotomie ignore la vérité fondamentale selon laquelle la majorité de la population de Gaza est composée d'enfants, de mères, de personnes âgées et de travailleurs humanitaires - des personnes qui n'ont nulle part où fuir et qui n'ont rien d'autre à protéger que leur famille.
Le coût de ce langage n'est nulle part plus tragiquement évident que dans le nombre croissant de morts parmi les travailleurs humanitaires. L'Office de secours et de travaux des Nations unies, Médecins sans frontières et d'autres organisations humanitaires ont vu leur personnel tué alors qu'il livrait de la nourriture, administrait des soins médicaux ou hébergeait des réfugiés. Il ne s'agit pas d'opérations militaires. Il s'agit de lignes de vie.
Pourtant, lorsque ces convois ou ces enceintes sont touchés, la même justification refait souvent surface : la proximité présumée de militants. Cela détourne l'indignation et empêche la réalisation d'enquêtes sérieuses. Plus important encore, cela contribue à la rupture des corridors humanitaires et à la paralysie des opérations de secours, laissant une population déjà assiégée encore plus vulnérable.
Le coût de ce langage n'est nulle part plus tragiquement évident que dans le nombre croissant de morts parmi les travailleurs humanitaires. Hani Hazaimeh
Les mots sont importants. Ils façonnent l'opinion publique, influencent la politique internationale et déterminent si les tragédies font l'objet d'une enquête ou si elles sont ignorées. Le langage utilisé pour décrire la guerre à Gaza doit refléter la réalité sur le terrain - et non les agendas politiques ou les points de discussion militaires.
Les médias internationaux doivent interroger rigoureusement les allégations d'utilisation de boucliers humains et résister à la tentation de répéter sans preuve les récits officiels. Les organisations de défense des droits de l'homme doivent faire pression pour que des enquêtes indépendantes soient menées sur toutes les frappes ayant entraîné la mort de civils, en particulier celles qui visent ou affectent les organismes d'aide.
Les gouvernements et les organismes internationaux doivent tenir toutes les parties responsables du respect des normes du droit international - non pas de manière sélective ou symbolique, mais de manière cohérente et transparente.
Et surtout, nous devons nous rappeler que sous les euphémismes et les calculs géopolitiques se cachent de vraies personnes - des familles qui pleurent, des enfants qui ont peur et des communautés qui subissent des traumatismes qu'aucune terminologie ne peut justifier.
Les habitants de Gaza ne sont pas des boucliers. Ce sont des êtres humains. Et leur souffrance ne doit pas être rationalisée - elle doit cesser.
- Hani Hazaimeh est un rédacteur en chef basé à Amman. X : @hanihazaimeh
Avertissement : Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com