La guerre Iran-Israël détourne l'attention de la catastrophe de Gaza

La guerre d'Israël contre Gaza est en train de devenir une note de bas de page dans le cycle mondial de l'information (AFP)
La guerre d'Israël contre Gaza est en train de devenir une note de bas de page dans le cycle mondial de l'information (AFP)
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Publié le Jeudi 19 juin 2025

La guerre Iran-Israël détourne l'attention de la catastrophe de Gaza

La guerre Iran-Israël détourne l'attention de la catastrophe de Gaza
  • Le conflit entre l'Iran et Israël, qui a attiré des acteurs régionaux et fait craindre une guerre plus large, est sans aucun doute important
  • Il a de sérieuses implications pour les marchés mondiaux du pétrole, la sécurité internationale et l'équilibre délicat des pouvoirs au Moyen-Orient

Alors que le monde a les yeux rivés sur la confrontation explosive entre l'Iran et Israël, une autre tragédie continue de se dérouler, en grande partie dans le silence international. La guerre d'Israël contre Gaza, qui est déjà l'une des campagnes militaires les plus destructrices de l'histoire récente, est en train de devenir une note de bas de page dans le cycle mondial de l'information. Les frappes aériennes, la famine et les déplacements massifs de population n'ont pas cessé, ils ont simplement été relégués au second plan. Ce changement d'attention n'est pas une simple coïncidence, il est politiquement commode. La question que nous devons nous poser est la suivante : à quel prix ?

Le conflit entre l'Iran et Israël, qui a attiré des acteurs régionaux et fait craindre une guerre plus large, est sans aucun doute important. Il a de sérieuses implications pour les marchés mondiaux du pétrole, la sécurité internationale et l'équilibre délicat des pouvoirs au Moyen-Orient. Mais tandis que les diplomates s'efforcent de contenir cet incendie géopolitique, un incendie plus lent et plus meurtrier se poursuit à Gaza - un incendie qui menace la vie de millions de personnes, en particulier des enfants, piégés dans une zone de guerre, sans échappatoire, sans nourriture et avec peu d'espoir.

Depuis le début de la guerre de Gaza en octobre 2023, plus de 55 000 Palestiniens ont été tués, selon les autorités sanitaires locales. Des quartiers entiers ont été réduits en ruines, des hôpitaux ont été bombardés et l'infrastructure déjà fragile de la bande de Gaza s'est effondrée sous le poids d'un siège prolongé. Le Programme alimentaire mondial et d'autres agences ont à plusieurs reprises mis en garde contre une famine imminente, exacerbée par les restrictions imposées par Israël à l'aide humanitaire et la destruction ciblée des ressources civiles.

Pourtant, alors que des missiles volent désormais entre l'Iran et Israël, la catastrophe humaine de Gaza est reléguée aux marges de la diplomatie mondiale. Le changement est palpable : la condamnation internationale, autrefois véhémente, s'est transformée en murmures diplomatiques. Les débats de l'ONU sur les crimes de guerre et l'aide humanitaire ont ralenti, tandis que la couverture des principaux organes d'information occidentaux s'est considérablement raréfiée. Nous sommes témoins, en temps réel, de la manière dont un conflit peut servir d'écran de fumée à un autre.

Le changement est palpable : la condamnation internationale, autrefois véhémente, s'est muée en murmures diplomatiques

Hani Hazaimeh

Cette diversion n'est pas seulement une question de bande passante journalistique, c'est une manœuvre politique calculée. En se présentant à nouveau comme une victime soumise à une menace existentielle de la part d'un rival régional, Israël retrouve une position morale de premier plan dans les récits occidentaux. La confrontation avec l'Iran permet à Israël de présenter son agression militaire à Gaza comme faisant partie d'une stratégie défensive plus large contre un axe hostile, reliant le Hamas, le Hezbollah et Téhéran sous un même parapluie de "terreur". Ce faisant, il détourne les critiques internationales et freine la dynamique de responsabilisation, y compris les allégations de plus en plus nombreuses de crimes de guerre.

En outre, l'escalade Iran-Israël s'est avérée une excuse commode pour Washington et ses alliés européens pour retarder ou minimiser les décisions difficiles sur Gaza. Les appels au cessez-le-feu, aux embargos sur les armes ou aux enquêtes sur les violations du droit international sont noyés dans les appels à la "désescalade régionale" et à la nécessité d'empêcher "une guerre plus large". Mais pour les habitants de Gaza, la guerre est déjà suffisamment étendue. Leurs souffrances ne s'arrêtent pas simplement parce que l'Occident s'inquiète des prix du pétrole ou du détroit d'Ormuz.

L'intensification des opérations militaires israéliennes à Gaza semble souvent coïncider avec des moments de grande distraction internationale. Ces derniers mois, plusieurs offensives de grande envergure, notamment à Rafah et dans le nord de la bande de Gaza, ont été lancées au moment même où l'attention mondiale se tournait vers les points chauds de la diplomatie iranienne. Que cela soit voulu ou non, le résultat est le même : un examen moins minutieux, une indignation minimale et un retard dans toute forme de pression internationale.

Ce détournement a également des conséquences dévastatrices sur le terrain. Les organisations humanitaires ont fait état de retards importants dans l'acheminement de l'aide en raison de l'évolution des priorités politiques des États donateurs. Les médias qui avaient envoyé des correspondants spéciaux à Gaza les ont maintenant redéployés à Tel-Aviv ou à Beyrouth. Même les algorithmes des médias sociaux, guidés par les sujets en vogue, ont contribué à une forte diminution de la visibilité des contenus liés à la bande de Gaza.

L'intensification des opérations militaires israéliennes à Gaza semble souvent coïncider avec des moments de grande distraction internationale

Hani Hazaimeh

Mais il ne s'agit pas seulement d'un échec des médias ou de la politique, c'est un échec moral. Le monde ne peut pas se permettre de normaliser un génocide simplement parce que quelque chose de plus "géopolitiquement urgent" est survenu. L'ampleur des souffrances à Gaza exige une attention internationale soutenue et ciblée. Il ne s'agit pas d'une question secondaire. Il ne s'agit pas d'une question collatérale. Il s'agit d'une crise fondamentale qui reflète l'incapacité du système international à faire respecter les principes mêmes qu'il prétend défendre : la protection des civils, l'État de droit et la valeur universelle de la vie humaine.

Ignorer Gaza aujourd'hui, c'est envoyer un message dangereux, celui que certaines vies sont plus dispensables que d'autres. Que la justice peut être suspendue. Que l'impunité est acceptable si l'auteur est suffisamment puissant ou si le moment est opportun. Nous devons résister à cette logique. La société civile, les journalistes et les défenseurs de l'aide humanitaire doivent redoubler d'efforts pour que Gaza reste dans l'esprit du public. Les institutions et les voix qui ont eu le courage de s'exprimer il y a plusieurs mois ne doivent pas se taire aujourd'hui.

En outre, les gouvernements doivent cesser d'utiliser la guerre Iran-Israël comme excuse diplomatique. Ils doivent continuer à soutenir les enquêtes sur les violations du droit international à Gaza, faire pression pour un accès humanitaire sans entrave et conditionner le soutien militaire au respect des droits de l'homme. Le conflit avec l'Iran ne peut pas devenir une feuille de vigne morale pour l'anéantissement de Gaza.

La commodité politique ou l'attention des médias ne doivent pas limiter la capacité humaine d'empathie et de justice. Si nous nous soucions vraiment de la paix, de la stabilité et de la dignité humaine au Moyen-Orient, nous devons nous préoccuper de Gaza - peu importe ce qui brûle ailleurs.

Le chemin vers la paix dans la région ne peut pas être pavé de charniers à Gaza. Et tant que le monde ne retrouvera pas sa clarté morale et ne refusera pas de se laisser distraire par le théâtre commode de la géopolitique, les souffrances continueront - en silence, mais non moins tragiquement.

Hani Hazaimeh est un rédacteur en chef basé à Amman.

X : @hanihazaimeh

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.