L'effondrement du système de santé au Soudan : une urgence mondiale

Des habitants fuient après des attaques sur le camp de déplacés de Zamzam dans le nord du Darfour, au Soudan, le 15 avril 2025. (Reuters)
Des habitants fuient après des attaques sur le camp de déplacés de Zamzam dans le nord du Darfour, au Soudan, le 15 avril 2025. (Reuters)
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Publié le Samedi 07 juin 2025

L'effondrement du système de santé au Soudan : une urgence mondiale

L'effondrement du système de santé au Soudan : une urgence mondiale
  • Au cours des deux dernières années, les violences ont détruit plus de 250 hôpitaux et établissements de santé, soit par des bombardements directs, soit par des pillages.
  • 60 % des pharmacies et des entrepôts médicaux ont été pillées, incendiés ou rendus inutilisables.

Le Soudan est actuellement confronté à l'une des pires crises humanitaires et de santé publique au monde, son système de santé s'effondrant sous le poids du conflit civil en cours.

La guerre, qui a éclaté en avril 2023 entre les forces armées soudanaises et les forces paramilitaires de soutien rapide, a infligé d'immenses dégâts à l'infrastructure médicale du pays. Au cours des deux dernières années, les violences ont détruit plus de 250 hôpitaux et établissements de santé, soit par des bombardements directs, soit par des pillages. Au moins 60 % des pharmacies et des entrepôts médicaux ont été pillées, incendiés ou rendus inutilisables.

Les professionnels de la santé ont fui ou ont été tués et ceux qui restent sont souvent pris pour cible ou ne peuvent pas se rendre en toute sécurité sur leur lieu de travail. Les fournitures médicales de base, l'électricité, l'eau potable et le carburant sont rares ou inexistants dans de nombreuses régions du pays. L'effondrement des services de santé a non seulement privé des millions de personnes de l'accès aux soins essentiels, mais a également créé des conditions idéales pour que des épidémies mortelles se propagent sans contrôle.

Dans ce contexte de destruction, l'Organisation mondiale de la santé et les Nations unies ont tiré la sonnette d'alarme quant à l'aggravation de la situation d'urgence sanitaire. Le Soudan est désormais confronté à des épidémies simultanées de choléra, de paludisme, de rougeole et de dengue, des maladies exacerbées par l'effondrement des systèmes d'assainissement, l'insalubrité des sources d'eau et la surpopulation des camps de réfugiés.

Plus de 20 millions de personnes, soit près de la moitié de la population du pays, ont un besoin urgent de soins médicaux. Les campagnes de vaccination ont été interrompues et l'absence de médecine préventive a entraîné la réapparition rapide de maladies autrefois maîtrisées. L'OMS a recensé au moins 156 attaques contre le personnel et les installations de santé depuis le début de la guerre, et ces attaques continuent d'entraver les réponses humanitaires les plus élémentaires.

Les Nations unies ont qualifié le Soudan de l'une des situations d'urgence les plus importantes et les plus négligées au monde, notant que plus de 12,4 millions de personnes ont été déplacées et que la famine est présente ou imminente dans plusieurs régions. Les enfants sont particulièrement vulnérables : des millions d'entre eux souffrent de malnutrition sévère, n'ont pas accès aux soins médicaux et sont de plus en plus exposés à l'exploitation, au trafic et à la mort.

Si cette crise se poursuit sans intervention immédiate, le Soudan est confronté à une catastrophe humanitaire imminente qui aura des conséquences dévastatrices pour les générations à venir. L'effondrement complet du système de santé signifie que les maladies se propageront sans résistance, que la mortalité maternelle et infantile augmentera et que les maladies chroniques ne seront pas traitées. Avec des hôpitaux détruits et des médecins cachés ou exilés, même les urgences médicales les plus simples peuvent devenir fatales.

Avec des hôpitaux détruits et des médecins cachés ou exilés, même les urgences médicales les plus simples peuvent devenir fatales. Dr. Majid Rafizadeh

La perte des établissements d'enseignement et de formation signifie également que la reconstruction du secteur de la santé prendra des décennies, même dans des conditions optimales. La famine, la maladie et le traumatisme psychologique de la guerre rongent déjà les fondements de la société, aggravent la pauvreté et sapent toute confiance dans les institutions. Si les combats se poursuivent, le pays pourrait se retrouver avec une génération entière privée non seulement de soins de santé, mais aussi de sécurité, d'éducation et d'espoir.

Les conséquences de l'effondrement du système de santé soudanais ne resteront pas confinées à l'intérieur des frontières. Le conflit a déjà déplacé plus de 3,3 millions de personnes dans les pays voisins tels que le Tchad, le Sud Soudan, l'Égypte, l'Éthiopie et la République centrafricaine. Ces pays, dont les systèmes de santé sont déjà fragiles et les ressources limitées, sont désormais soumis à d'énormes pressions alors qu'ils tentent de prendre en charge un grand nombre de réfugiés souffrant de malnutrition et de maladie.

Les maladies infectieuses comme le choléra, qui se développent dans des conditions de surpeuplement et d'insalubrité, constituent une menace sérieuse pour la santé publique régionale. L'effondrement de la couverture vaccinale pourrait entraîner la propagation transfrontalière de la rougeole et de la poliomyélite, mettant à mal des années de progrès sanitaires dans la région. En outre, l'instabilité prolongée au Soudan risque de déstabiliser l'ensemble de la Corne de l'Afrique, une région déjà vulnérable à la fragmentation politique, à l'insurrection et au stress environnemental.

Les implications mondiales de l'urgence sanitaire au Soudan sont tout aussi urgentes. L'effondrement actuel du système de santé soudanais et le vide humanitaire qu'il crée constituent un avertissement terrible sur la fragilité de la sécurité sanitaire mondiale. Comme nous l'avons vu avec les pandémies et les crises régionales passées, les maladies qui apparaissent ou se développent dans une partie du monde peuvent rapidement se propager au-delà des frontières, en particulier lorsque les efforts de réponse sont retardés ou manquent de ressources.

En outre, la normalisation des attaques contre le personnel et les installations de santé pendant les conflits armés menace le caractère sacré du droit humanitaire international. Si ces violations se poursuivent en toute impunité au Soudan, elles pourraient créer un précédent pour de futurs conflits, érodant les principes qui protègent les civils et les travailleurs humanitaires dans le monde entier. L'absence de réponse internationale coordonnée ne reflète pas seulement un manque de volonté politique, elle sape également les engagements collectifs en faveur de la santé mondiale et des droits de l'homme.

Ce qu'il faut d'urgence, c'est une réponse internationale décisive, coordonnée et soutenue. La première mesure à prendre, et la plus urgente, est la mise en œuvre d'un cessez-le-feu immédiat. Cela permettrait d'établir en toute sécurité des couloirs humanitaires et sanitaires, c'est-à-dire des zones où les organisations humanitaires peuvent acheminer des fournitures médicales, procéder à des vaccinations et soigner les blessés sans être menacées par la violence. Ces couloirs sont essentiels pour sauver des vies à court terme, en particulier dans les régions qui ont été coupées de l'aide pendant des mois.

Les Nations unies, l'OMS, Médecins sans frontières et d'autres agences ont besoin non seulement de fonds, mais aussi d'une sécurité garantie pour fonctionner efficacement. L'acheminement immédiat de médicaments, de matériel chirurgical, de vaccins et de nourriture par voie aérienne doit être une priorité. Il est tout aussi important d'exercer une pression politique sur les deux factions belligérantes pour qu'elles cessent leurs attaques contre les infrastructures de santé, conformément au droit humanitaire international.

Au-delà de ces interventions urgentes, la communauté internationale doit travailler en collaboration avec l'Union africaine, l'Autorité intergouvernementale pour le développement et les principaux acteurs régionaux pour ouvrir la voie à un cessez-le-feu permanent et à une résolution politique.

Il s'agit notamment de s'appuyer sur la déclaration de Djeddah, signée en mai 2023 sous les auspices des États-Unis et de l'Arabie saoudite. Cette déclaration souligne l'engagement des deux parties belligérantes à protéger les civils, à permettre l'accès de l'aide humanitaire et à s'abstenir de prendre pour cible les infrastructures civiles. Bien que la déclaration ait été largement violée, elle reste l'un des rares cadres de négociation à avoir obtenu une reconnaissance internationale. La revitalisation du processus de Djeddah, l'augmentation du nombre de parties médiatrices et la représentation des communautés locales sont des étapes essentielles vers une paix durable. Sans une solution politique stable, l'aide humanitaire ne sera jamais suffisante.

En conclusion, la crise sanitaire du Soudan a atteint un stade catastrophique et la situation exige une attention immédiate et soutenue de la part du monde entier. Le système de santé du pays n'est pas seulement sous pression, il est en train de se désintégrer. Des millions de personnes risquent de mourir non seulement sous les balles et les bombes, mais aussi de maladies évitables et de la famine.

Les conséquences de l'inaction se répercuteront bien au-delà des frontières du Soudan, menaçant la santé, la stabilité et la sécurité de la région. La communauté internationale doit agir maintenant, de manière décisive et urgente, pour mettre en œuvre un cessez-le-feu, ouvrir des couloirs de santé et renouer avec une diplomatie sérieuse. Si elle ne le fait pas, non seulement elle condamnera des millions de personnes au Soudan, mais elle marquera un nouvel exemple tragique de négligence mondiale face à une catastrophe qui aurait pu être évitée.

- Majid Rafizadeh est un politologue irano-américains formé à Harvard. X : @Dr Rafizadeh

Clause de non-responsabilité : les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News. 

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com