Au lendemain des récentes frappes israéliennes sur Damas et des actions de déstabilisation à Sweida, l'ancien chef des services d'espionnage britanniques, Sir John Sawers, a dressé un bilan qui donne à réfléchir : "Ce qu'Israël recherche, je pense, c'est une Syrie fragmentée, faible et divisée. C'est un mauvais calcul... Je ne pense pas que les actions israéliennes aient été d'une grande utilité. Ses propos, transmis à CNN, ont percé le brouillard de la guerre et mis en lumière un dangereux pari régional.
M. Sawers a raison. L'idée que les tensions internes de la Syrie - en particulier celles qui impliquent diverses sectes et factions tribales - sont marginales ou maîtrisables est un leurre. L'éclatement de la Syrie serait bien plus catastrophique que la désintégration de la Yougoslavie. Mais la solution réside certainement dans le fait que les acteurs régionaux et internationaux doivent promouvoir et favoriser l'unité et la cohésion nationales, et non bombarder ou attaquer le gouvernement nouvellement formé qui tente de contenir la situation.
La Syrie n'est pas seulement un pays, c'est une clé de voûte géopolitique. Son effondrement ferait trembler le Liban, l'Irak, la Jordanie et même le Golfe. La région ne peut pas se permettre un autre État en faillite, surtout s'il est limitrophe d'Israël, de la Turquie et de l'Irak.
C'est précisément la raison pour laquelle les acteurs modérés et raisonnables de la région - menés par l'Arabie saoudite - sont intervenus rapidement et de manière décisive. L'appel téléphonique du prince héritier Mohammed bin Salman au président syrien Ahmad Al-Sharaa était plus qu'un geste diplomatique, c'était un signal d'alignement stratégique. Riyad a suivi en envoyant une délégation d'hommes d'affaires saoudiens de haut rang à Damas, soulignant son engagement en faveur de la reconstruction de la Syrie et de sa réintégration dans le giron arabe. Les mesures prises par l'Arabie saoudite s'inscrivent dans sa longue tradition de soutien au gouvernement en place, quelle que soit sa direction religieuse, qu'il soit sunnite en Syrie, maronite au Liban ou même chiite en Iran lorsqu'Israël a violé illégalement sa souveraineté territoriale.
La Turquie et les États-Unis ont également agi rapidement - et à juste titre - pour soutenir le nouveau gouvernement syrien, reconnaissant que la stabilité à Damas est une condition préalable à la paix régionale. Washington, en particulier, a joué un rôle clé dans l'instauration d'un cessez-le-feu entre les milices et les factions tribales à Sweida, contribuant à contenir ce qui aurait pu dégénérer en une véritable guerre civile.
Le meilleur antidote aux provocations déstabilisatrices d'Israël n'est pas la riposte, mais la poursuite des réformes. Les nouveaux dirigeants syriens l'ont bien compris. Depuis son entrée en fonction en décembre, le président Al-Sharaa a pris toutes les bonnes mesures : il a dissous les factions extrémistes, lancé une conférence de dialogue national et entamé des réformes constitutionnelles. Mais personne n'a dit que la reconstruction d'un pays après 50 ans de dictature brutale serait facile.
Jouer avec l'unité de la Syrie n'est pas du blackjack. C'est de la roulette russe. Et la balle ne menace pas seulement la Syrie, elle menace toute la région. Faisal J. Abbas | Rédacteur en chef
Les fauteurs de troubles - ceux qui ont prospéré sous l'ancien régime - commencent à se rebiffer. Les responsables de l'application des lois commettront naturellement des erreurs, qui coûteront cher. Mais la légitimité ne se construit pas sur la perfection, elle se construit sur la responsabilité. Le gouvernement syrien doit continuer à reconnaître ses erreurs, en particulier à Sweida, où le conflit n'était pas sectaire mais constituait une faille localisée qu'il fallait contenir avec précaution.
L'affirmation d'Israël selon laquelle ses frappes sur Damas et Sweida visaient à "protéger les Druzes" est prise avec des pincettes par la plupart des observateurs. Si le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu était réellement préoccupé par les droits des minorités, il aurait pu reconsidérer ses actions à Gaza, où plus de 50 000 Palestiniens ont été tués depuis octobre 2023. Le même gouvernement qui a qualifié les Palestiniens d'"animaux humains" et qui a lancé l'idée de bombarder Gaza veut maintenant nous faire croire qu'il agit par souci humanitaire.
Soyons clairs : Israël y voit une opportunité, pas de l'altruisme. Les balbutiements du nouveau gouvernement syrien présentent un vide stratégique. Tel-Aviv joue un jeu à somme nulle : s'emparer d'un territoire, accumuler des moyens de pression et aborder les futures négociations avec des atouts en main.
Bien sûr, compte tenu des récents succès militaires d'Israël - de Gaza à l'Iran - on peut comprendre l'audace de Netanyahou. Mais jouer avec l'unité de la Syrie n'est pas du blackjack. C'est de la roulette russe. Et la balle ne menace pas seulement la Syrie, elle menace toute la région.
La communauté internationale, et en particulier les États-Unis, doivent freiner l'appétit d'Israël pour le chaos. Washington dispose d'un levier et doit l'utiliser, non seulement pour protéger la Syrie, mais aussi pour préserver la fragile architecture de la stabilité au Moyen-Orient.
Le nouveau gouvernement syrien n'est pas parfait, mais il est légitime. Il tente de faire ce que peu de régimes dans la région ont osé : se réformer de l'intérieur. Cet effort doit être protégé, non seulement par les Syriens, mais aussi par leurs voisins et alliés. Car si la Syrie tombe, la région ne perd pas seulement un pays, elle perd sa boussole.
Et dans une région déjà en proie aux tempêtes, perdre sa boussole n'est pas un risque à prendre.
Faisal J. Abbas est le rédacteur en chef d'Arab News. X : @FaisalJAbbas
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com