Il est vrai que Bachar Assad a quitté le palais dans la soirée du samedi 7 décembre et qu'Ahmad Al-Sharaa y est entré le lendemain sans qu'un seul coup de feu ne soit tiré dans la capitale. C'est un fait rare dans l'histoire. Malgré cela, la route qui attend les nouveaux dirigeants n'est ni pavée ni lisse.
La voie du changement, d'Idlib à Damas, était ouverte parce que la plupart des Syriens - ainsi que les acteurs régionaux et mondiaux - voulaient vraiment le changement.
Mais le déracinement du régime Assad a été un processus long et sanglant - peut-être l'une des transitions les plus complexes de la région. De ce point de vue, nous devons interpréter les événements actuels dans ce contexte, plutôt que comme un simple "moment de victoire".
L'optimisme, l'enthousiasme et le soutien généralisé n'ont pas empêché les troubles politiques : affrontements sur la côte avec les alaouites, attentat à la bombe contre une église chrétienne à Damas, conflits avec les druzes de Sweida et avec les Forces démocratiques syriennes à Raqqa. Les crises qui se sont déjà produites - et celles qui pourraient encore survenir - sont attendues. Le consensus national en faveur de la destitution d'Assad signifie que le système alternatif aura besoin de temps pour instaurer la confiance. L'environnement régional est également troublé, avec des acteurs lésés par la transition qui auront besoin de temps pour tâter le terrain, accepter la nouvelle réalité et choisir de coopérer.
Au milieu de ces confrontations locales, deux factions dangereuses menacent le nouvel ordre. La première comprend des acteurs ouvertement hostiles, tels que les vestiges de l'ancien régime, les forces iraniennes et les gangs locaux comme les cartels de la drogue.
Le consensus national en faveur de la destitution d'Assad signifie que le système alternatif aura besoin de temps pour instaurer la confiance
Abdulrahman Al-Rashed
Ces groupes tenteront à plusieurs reprises de créer un climat de confrontation qui s'intensifiera au fil du temps. Leur objectif est de rétrécir la Syrie, d'entraîner Damas dans une bataille prolongée et d'encourager l'émergence de régions indépendantes.
La deuxième faction vient de l'intérieur du système - ou se considère comme en faisant partie - et joue un rôle dans l'alimentation des crises. Elle a ses propres idées sur la manière dont le pays doit être gouverné et sur la manière dont il doit s'engager dans le monde. Bien que loyale, cette faction n'est pas moins dangereuse que la faction hostile, car elle déclenche des conflits et aggrave les divisions. Sa menace consiste à entraîner l'autorité syrienne dans une confrontation avec l'ordre régional et à inviter les puissances étrangères à s'investir dans une guerre civile locale.
Ces pièges doivent être traités avec sagesse afin de ne pas détourner le gouvernement de sa tâche la plus difficile : construire un nouvel État que la plupart des Syriens attendent - un État qui améliore le niveau de vie et qui se transforme en une nation moderne.
Al-Sharaa jouit d'une popularité intérieure qu'il doit renforcer, de peur qu'elle ne s'érode sous le poids des défis qui se profilent, notamment les pénuries de pain, l'inflation, les bas salaires et les retards de l'aide étrangère. Ces défis ne sont pas liés à l'Iran ou aux vestiges du régime. Ils sont aggravés par la nécessité d'éteindre les conflits sociaux croissants, qui risquent de se transformer en guerre civile. Ceux qui sont engagés dans ce conflit - que ce soit au nom des libertés ou de la défense (ou de l'opposition) au régime - attisent les tensions au sein des communautés syriennes, profondément anxieuses et méfiantes.
La communauté internationale veut un État civil qui gère un appareil sécuritaire et militaire discipliné. Le nouveau gouvernement de Damas a besoin de temps pour s'organiser et rallier les différents groupes de la Syrie. Rappelons que Hafez Assad, tout en se présentant comme le protecteur des minorités, a placé Abdul Halim Khaddam et Mustafa Tlass à sa droite et à sa gauche.
Il existe également des forces dans la région qui n'ont pas réussi à mettre en place des régimes extrémistes et qui veulent maintenant que la Syrie devienne un autre Gaza ou un autre Afghanistan.
Le nouveau gouvernement de Damas a besoin de temps pour s'organiser et rallier les différents groupes de la Syrie.
Abdulrahman Al-Rashed
Dès son entrée dans la capitale, M. Al-Sharaa a annoncé son ouverture à tous, soulignant que ses préoccupations étaient syriennes et non internationales. Il a fait preuve d'une modération qui en a surpris plus d'un et il a géré ses relations de manière pragmatique, conformément à ses promesses.
C'est pourquoi la Syrie ne suivra pas le modèle iranien - qui touche à sa fin - et ne se battra pas au nom des autres, que ce soit contre Israël ou contre l'Iran. Elle ne doit pas non plus permettre à d'autres d'apporter leurs guerres sur le sol syrien.
Au milieu de ces tensions ethniques, sectaires et régionales, la route restera difficile. Le gouvernement a hérité d'un pays dévasté, violé par des forces nationales et étrangères. Pour y remédier, il faudra faire preuve d'habileté politique - et non de force brute - et d'un sixième sens capable d'anticiper les crises et de les contenir.
Abdulrahman Al-Rashed est un journaliste et un intellectuel saoudien. Il est l'ancien directeur général de la chaîne d'information Al-Arabiya et l'ancien rédacteur en chef d'Asharq Al-Awsat, où cet article a été initialement publié.
X : @aalrashed
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