Où sont passés les partisans arabes de l’Iran ?

Iran managed to raise generations of Arabs on its ideas (File/AFP)
Iran managed to raise generations of Arabs on its ideas (File/AFP)
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Publié le Mercredi 20 août 2025

Où sont passés les partisans arabes de l’Iran ?

Où sont passés les partisans arabes de l’Iran ?
  • L’influence populaire de l’Iran dans les pays arabes s’effondre, marquée par l’absence de mobilisations pro-iraniennes malgré les crises régionales majeures
  • Téhéran, longtemps moteur d’un projet idéologique transnational, semble désormais abandonné par la rue arabe, qui rejette les perdants et cherche de nouveaux repères

Un silence de mort plane sur la rue arabe, impassible face à la vague d’événements dramatiques dans la région. Aucune manifestation, aucun rassemblement, aucun sit-in n’ont été observés dans les pays arabes. À mon sens, c’est la première fois en plus de sept décennies qu’un tel effacement se produit.

Ce qui est arrivé à l’Iran n’est pas anodin : ses pertes militaires et nucléaires sont immenses — des installations qui ont coûté des milliards de dollars, du sang et de la sueur à ériger. À ces pertes balistiques et nucléaires s’ajoute la disparition de l’élan populaire qu’il avait cultivé dans toute la région, de l’Irak au Maroc.

Les peuples n’admirent pas les vaincus. 

                                                  Abdulrahman Al-Rashed

Lorsque le gouvernement libanais a pris la décision audacieuse de confisquer les armes du Hezbollah, la réaction s’est limitée à quelques dizaines de motos défilant dans les rues de Beyrouth. Où sont passées les marées humaines ? Les millions qui descendaient jadis dans les rues au moindre signe du chef du parti ou de Téhéran ?

L’effondrement de l’influence iranienne est manifeste dans les régions arabes, semblable à la chute du nassérisme après la défaite de 1967. Il a perdu la capacité de mobiliser les foules, se repliant sur ses membres de partis socialistes et ses syndicats pour remplir les salles, là où autrefois, les masses accouraient spontanément, galvanisées par des appels radiophoniques qui dominaient la conscience collective pendant près de deux décennies. Après cette défaite, un sentiment de trahison et de choc a envahi la région, qui attendait la libération de la Palestine.

L’Iran aussi a joui d’un temps d’influence et d’un soutien populaire dans la région, défiant les tentatives de faire taire son discours ou de freiner ses activités. Il a élevé des générations d’Arabes à ses idées. Téhéran a ouvert ses portes aux extrémistes sunnites, y compris des dirigeants d’Al-Qaïda, ignorant leur hostilité au chiisme, et a soutenu la plupart des groupes sunnites d’opposition contre leurs gouvernements. Il a établi une relation organique et coordonnée avec les Frères musulmans. Des conférences et séminaires quasi annuels rassemblaient nationalistes et communistes arabes.

Téhéran a lourdement investi pour séduire hommes politiques et intellectuels arabes : des livres ont été publiés, des éloges poétiques écrits pour défendre le régime de l’imam. Il a réuni chiites, sunnites et chrétiens arabes — penseurs venus du Golfe, d’Égypte, du Levant, du Maghreb, du Soudan, du Yémen et de la diaspora. Il a investi nombre de médias arabes pour promouvoir la ligne du guide suprême Ali Khamenei. Par moments, on se demandait comment il parvenait à concilier tant de contradictions.

À Tripoli — une ville marquée par des tensions avec les chiites de Beyrouth —, des groupes sunnites ont juré fidélité à Téhéran depuis les années 1980. En Jordanie, au sein des Frères musulmans, certains déclaraient ouvertement leur sympathie envers les dirigeants iraniens. De nombreux travaux sont apparus pour défendre la République islamique : en Égypte, « L’Iran et l’islam politique » ; au Koweït, « L’Iran et l’Occident : conflit d’intérêts » ; dans le Golfe, des conférences sur le « rapprochement » entre écoles de pensée, saluant l’héritage du calife abbasside Al-Nasir Li-Din Allah.

Toutes ces actions auraient pu être louables, si leur but n’avait pas été dicté par un projet politique de domination, plutôt qu’un réel désir d’apaiser les tensions confessionnelles.

Téhéran dirigeait des mouvements de masse et d’élites dans des dizaines de villes arabes — orchestrant des protestations contre des romans, des films, des négociations, des régimes.

Mais lors des guerres récentes, après l’attaque d’octobre 2023, cette mobilisation habituelle a disparu. La première raison : « Les peuples n’admirent pas les vaincus ».

La deuxième : les appareils qui organisaient autrefois ces manifestations ont perdu leurs relais et leurs ressources. La rue arabe célèbre les héros victorieux — jusqu’à leur chute — avant de leur en substituer de nouveaux.

Les croyants du projet iranien ont été ébranlés par une série de défaites, tout comme les nassériens des années 1960. Le défi qui reste est de maintenir la loyauté de sa base chiite, la plus affectée et encore sous le choc.

Avec le temps, les chiites du Liban finiront par comprendre : ils sont les victimes du Hezbollah et de l’Iran. Un fardeau plus qu’un appui.

Depuis quarante ans, ils supportent seuls l’affrontement avec Israël et en paient le prix : sanctions économiques et personnelles, destruction de leurs quartiers, limitation des transferts d’argent depuis l’Afrique ou les Amériques, etc.

Abdulrahman Al-Rashed est un journaliste et un intellectuel saoudien. Il est l'ancien directeur général de la chaîne d'information Al-Arabiya et l'ancien rédacteur en chef d'Asharq Al-Awsat, où cet article a été initialement publié.

X : @aalrashed

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com