La relation USA‑Royaume‑Uni est‑elle encore spéciale ?

La visite de M. Trump pourrait être une distraction pour le Premier ministre Keir Starmer et son gouvernement assiégé. (File/AFP)
La visite de M. Trump pourrait être une distraction pour le Premier ministre Keir Starmer et son gouvernement assiégé. (File/AFP)
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Publié le Jeudi 18 septembre 2025

La relation USA‑Royaume‑Uni est‑elle encore spéciale ?

La relation USA‑Royaume‑Uni est‑elle encore spéciale ?
  • La visite d’État de Trump au Royaume‑Uni, soigneusement orchestrée, illustre le passage d’une « relation spéciale » symbolique à une alliance plus pragmatique et transactionnelle
  • Face aux crises mondiales et à la montée du populisme, l’influence du Royaume‑Uni sur la politique américaine semble de plus en plus limitée, alors que les deux pays peinent à maintenir leur rôle de leader sur la scène internationale

Les visites officielles de tout président américain dans une capitale ou un pays quelconque sont un pure cauchemar pour les forces de sécurité, les gouvernements et même les citoyens ordinaires, dont les plans de voyage sont perturbés par des manifestations ou le faste qui accompagne typiquement de telles visites.

En tant que journaliste, j’ai déjà vécu au milieu de tels événements et de tous leurs désagréments plusieurs fois. Mais cette deuxième visite d’État du président américain Donald Trump au Royaume‑Uni — la première fois qu’un chef d’État démocratiquement élu bénéficie deux fois d’un tel honneur — est organisée de façon à célébrer le visiteur, tout en essayant de le garder le plus possible hors de vue, par le choix du protocole autant que par les circonstances.

Lors de la précédente visite d’État de Trump en 2019, quand feue la reine Elizabeth II accueillit le président américain à Buckingham Palace, des manifestants bordaient les rues avoisinantes. Cette fois, Trump recevra un accueil grandiose de la part du roi Charles et de la reine Camilla derrière les hauts murs du château de Windsor — Buckingham Palace étant en travaux — et profitera du traditionnel cortège en carrosse, de la garde d’honneur, des inspections de troupe et d’un déjeuner privé offert par le monarque, suivi plus tard d’un banquet d’État somptueux avec environ 150 invités soigneusement choisis.

Les dirigeants étrangers rendent traditionnellement hommage au Tombeau du Guerrier inconnu à l’abbaye de Westminster à Londres et s’adressent au Parlement, mais comme le Parlement est actuellement en vacances pour la saison des congrès de partis, des questions se posent à juste titre quant au fait de savoir si le Royaume‑Uni a planifié la visite délibérément pour éviter un discours potentiellement délicat de Trump devant les législateurs.

Des questions se posent à juste titre quant au fait de savoir si le Royaume‑Uni a planifié la visite délibérément pour éviter un discours potentiellement délicat de Trump devant les législateurs. 

                                                        Mohamed Chebaro

Personne ne devrait douter que, malgré la façade de normalité, ni le Royaume‑Uni ni les États‑Unis ne se trouvent à un carrefour qui inspire certitude ou confiance quant à leur destinée ou à leur rôle dans le monde actuel comparé aux époques précédentes. Au contraire, les deux pays semblent se tenir à un tournant, tant sur le plan intérieur qu’international, ayant abandonné les rôles complémentaires qu’ils jouaient et grâce auxquels ils soutenaient leur mission spéciale : celle de promouvoir la démocratie, la liberté, la liberté et la stabilité dans un monde volatile.

La visite de Trump pourrait être, au mieux, une diversion pour le Premier ministre Keir Starmer et son gouvernement assiégé. En plus des dissensions internes au sein du Parti travailliste, Starmer et ses ministres doivent faire face à de nombreux défis politiques concernant la croissance économique, le Service national de santé et l’immigration. Le tout sur fond de montée fulgurante de l’extrême droite, qui, encouragée depuis l’Atlantique, a lancé des appels à « Unir le Royaume », comme en témoignent les manifestations violentes survenues à Londres le week‑end dernier, signalant la montée du populisme et des sentiments ultra‑droitiers, susceptibles de diviser davantage la Grande‑Bretagne.

Malgré la pompe de la visite de Trump, les accords signés — tels que des ententes dans le domaine de la technologie et du nucléaire civil — et peut‑être la possibilité de lever les tarifs sur l’acier américain dans le cadre d’un traité commercial tant vanté, le soft power britannique seul ne suffira probablement pas à faire changer d’avis le président américain ni son pays sur leur positionnement intérieur et global choisi.

Les partisans de Trump aiment le présenter comme une sorte de monarque non couronné et il se délectera des couleurs royales que lui accorde le roi Charles et de tout l’appareil de l’État. Mais son bilan depuis son arrivée au pouvoir a laissé beaucoup de gens mal à l'aise au Royaume-Uni et dans le reste de l'Europe.

Dans l’esprit de beaucoup ici, une question pressante demeure : Trump sera‑t‑il, après sa visite, capable de faire cesser les guerres en Ukraine et à Gaza qu’il promet à plusieurs reprises de mettre fin ? Après huit mois au pouvoir, le président américain semble de plus en plus réticent à exercer son influence, alors que ces deux guerres s’intensifient. Trump paraît de moins en moins concerné, apaisant les agresseurs des deux conflits, sans égard à ce que disent la Grande‑Bretagne ou l’UE. Les récentes incursions de drones russes dans l’espace aérien des membres de l’OTAN risquent de transformer la guerre en Ukraine de la même manière que la frappe israélienne la semaine dernière au Qatar a encore érodé l’influence américaine et, plus généralement, occidentale auprès d’alliés importants du Golfe.

Le soft power britannique seul ne suffira probablement pas à faire changer d’avis le président américain ni son pays sur leur positionnement intérieur et global choisi.

                                                       Mohamed Chebaro

Personne ne conteste les efforts du Royaume‑Uni pour adopter Trump, mais il faut se méfier des limites et de la futilité de cet exercice, car ses actions et celles de son administration au cours des huit derniers mois ne peuvent être dissimulées.

Le monde change vite et, quelle que soit la façon dont le Royaume‑Uni présente ses liens avec les États‑Unis pendant la visite de Trump, le mantra d’une « relation spéciale » est mort. À la place, Londres et Washington devraient chercher à conclure un nouveau pacte transactionnel qui garantisse les intérêts des deux parties. Cela signifie que Londres doit abandonner sa foi aveugle dans une relation transatlantique spéciale, que les optimistes espèrent ressusciter. Pendant ce temps, les pessimistes croient que le trumpisme survivra probablement au mandat de Trump, aussi se hâtent‑ils de rechercher d’autres alliances qui protégeront la nation et son économie malgré les vents glaciaux de l’Atlantique qui frappent le Royaume‑Uni et d’autres nations occidentales.

Starmer et Trump ne pourront pas annuler les échecs historiques de leadership international qui deviennent beaucoup trop communs dans ce monde fracturé du XXIᵉ siècle. Parmi ces échecs figurent la guerre contre le terrorisme après le 11 septembre et la décision américano‑britannique de 2003 d’envahir l’Irak. Il y a aussi les échecs pour traiter efficacement les retombées de la crise financière de 2008 et l’urgence climatique. Les guerres Russie‑Ukraine et Gaza sont d’une ampleur épique en comparaison et beaucoup craignent que l’échec à y mettre fin amène l’ordre mondial vers une forme d’anarchie, mais une anarchie imposée par les États.

Le roi Charles et le gouvernement dirigé par Starmer ont la tâche impossible de tirer la sonnette d’alarme sur de telles calamités depuis les coulisses tout en accueillant le dirigeant de la plus grande superpuissance du monde. Ils doivent aussi se demander si le levier classique fonctionne encore et si leur flatterie diplomatique et personnelle et les égards faits à leur hôte sont susceptibles de rapporter quoi que ce soit.

Mohamed Chebaro est un journaliste libano-britannique qui a plus de 25 ans d'expérience dans les domaines de la guerre, du terrorisme, de la défense, des affaires courantes et de la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com