Le discours prononcé par le président américain Donald Trump à l’ONU cette semaine a été jugé absurde par beaucoup, notamment lorsqu’il a affirmé avoir mis fin à sept guerres « interminables » en huit mois de mandat. Pourtant, ses propos traduisent un sentiment largement partagé : l’ONU — et en particulier son Conseil de sécurité — n’est plus en mesure de mettre fin aux conflits. Mais ce n’est pas une faiblesse de l’ONU en soi ; c’est un problème lié aux grandes puissances elles-mêmes : les États-Unis, la Chine et la Russie.
Les dirigeants du monde entier se sont réunis cette semaine à New York pour l’Assemblée générale des Nations Unies, comme ils le font depuis 80 ans. Mais cette fois, un sentiment d’urgence et de pression a traversé la majorité des discours — pour diverses raisons. Pourtant, aucun n’a osé appeler à un sommet extraordinaire pour redéfinir les priorités des grandes puissances et établir une feuille de route commune. Une telle initiative pourrait faire émerger un monde moins conflictuel, mettant fin aux « guerres éternelles » et à leur coût humain, matériel et écologique dévastateur.
De la France à la Corée du Sud, de l’Afrique du Sud au Suriname, les discours ont exprimé leur soutien à l’appel du secrétaire général de l’ONU, António Guterres, en faveur d’une action collective pour relever les défis mondiaux : guerres, pauvreté, dérèglement climatique. Tous ont soutenu l’idée de privilégier le droit sur l’arbitraire, la coopération sur l’égoïsme.
La question reste : comment passer des mots aux actes ? Comment convaincre les grandes puissances de renoncer à l’affrontement pour privilégier la paix ? Hormis le discours de Trump — à usage strictement domestique, destiné à ses partisans du "Make America Great Again" — la majorité des chefs d’État ont su désigner les causes profondes de la dérive mondiale vers le chaos, les narratifs conflictuels et la peur généralisée.
La plupart des dirigeants se sont prononcés en faveur de la paix plutôt que de la guerre et d'un avenir où les nations s'unissent plutôt que de se battre pour leurs propres intérêts.
Mohamed Chebaro
De part et d’autre des 58 minutes du discours de Trump devant une salle figée, d’autres dirigeants ont délivré des messages forts et parfois à peine voilés. Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva s’est démarqué avec un discours poignant, évoquant le déclin de l’autorité américaine sans jamais nommer Trump. Il a mis en garde contre la menace des nouveaux autoritarismes, rappelant que les idéaux des fondateurs de l’ONU à San Francisco sont aujourd’hui en péril.
« Il y a un lien évident entre la crise du multilatéralisme et l’affaiblissement de la démocratie », a déclaré Lula.
« L’autoritarisme se renforce quand nous n’agissons pas face à l’arbitraire. Quand la communauté internationale échoue à défendre la paix, la souveraineté et l’État de droit, les conséquences sont tragiques. Partout dans le monde, des forces antidémocratiques veulent subjuguer les institutions et étouffer les libertés. Elles vénèrent la violence, glorifient l’ignorance, agissent comme des milices physiques et numériques, et musellent la presse. »
Le président indonésien Prabowo Subianto a été chaleureusement applaudi pour avoir affirmé que « la force ne fait pas le droit ; seul le droit fait le droit. » Le président turc Recep Tayyip Erdogan, lui, a dit tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas : les dirigeants doivent être stoppés lorsqu’ils dépassent les bornes — comme l’a fait, selon lui, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Erdogan a prévenu que ceux qui se taisent face à la barbarie « deviennent complices des crimes. »
L'un après l'autre, les orateurs ont diagnostiqué les mêmes problèmes et la majorité d'entre eux ont reconnu que les Nations unies et le multilatéralisme restent un outil précieux pour protéger l'humanité dans un monde en transition. La raréfaction des ressources, la cupidité accrue, les interventions militaires, le réchauffement de la planète et le changement climatique modifient la planète sur laquelle nous vivons. À cela s'ajoutent la transformation numérique et les médias sociaux non contrôlés et non réglementés, qui déchirent l'ordre social dans de nombreux pays par ailleurs cohérents et cohésifs.
Orateur après orateur, chacun a reconnu que l’ONU et le multilatéralisme restent des outils essentiels pour protéger l’humanité.
Mohamed Chebaro
Pour rester pertinente et sauver le multilatéralisme, l’ONU devrait faire preuve d’audace et proclamer une urgence mondiale qui exige une action immédiate. Cela passerait par une rencontre entre les véritables acteurs de cette crise. Pas les 192 États membres, mais une vingtaine de dirigeants représentant les puissances mondiales et les pays prêts à agir. Ensemble, ils devraient élaborer une feuille de route commune, conciliant intérêts nationaux et survie de la planète.
Depuis dix ans, les grandes puissances — et certains acteurs émergents — sont à un point de rupture : de la guerre en Ukraine au génocide de Gaza, du Soudan au Congo, les désaccords sont partout. Il est urgent de concevoir un pacte mondial pour un ordre international réformé, garantissant la paix, la justice et la protection de l’environnement.
Les peuples et les entreprises ne pourront prospérer tant que l’incertitude, l’avidité et la course au profit menaceront les fondements mêmes de nos sociétés.
Les dirigeants de toutes les nations et idéologies doivent s’accorder sur un point : se rencontrer pour se confronter. Ce serait le premier pas vers des réponses communes aux défis que nous partageons tous, au-delà des frontières, des religions, des origines ou des classes sociales.
Le monde né de la Seconde Guerre mondiale est devenu profondément interconnecté. C’est en assumant cette interdépendance que l’on trouvera des solutions durables. L’isolement et les solutions individuelles ont déjà prouvé leurs limites.
Mohamed Chebaro est un journaliste libano-britannique qui a plus de 25 ans d'expérience dans les domaines de la guerre, du terrorisme, de la défense, des affaires courantes et de la diplomatie.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com