Les vols mystérieux de drones dans l’espace aérien des pays de l’UE et de l’OTAN ces dernières semaines ont alarmé tant l’opinion publique que les responsables politiques. Ces intrusions, attribuées pour certaines à la Russie, atteignent une ampleur sans précédent. De nombreux responsables européens y voient une tentative de Moscou de tester la capacité de réaction de l’UE et de l’OTAN, soulevant la question : ces alliances sont-elles prêtes à défendre leurs États membres après trois ans de guerre aux portes orientales de l’Europe ?
La réponse courte : elles sont mal préparées et restent divisées, malgré les menaces existentielles qu’elles affrontent.
Les incursions de drones militaires russes en Pologne et en Roumanie, ainsi que la présence de drones bon marché et non militaires près d’infrastructures civiles et militaires clés au Danemark, en Norvège et en Allemagne, illustrent parfaitement que la guerre hybride moderne frappe déjà à la porte de l’Europe. Pendant ce temps, les pays européens se disputent sur les politiques à adopter et sur qui paiera la facture.
La guerre en Ukraine a démontré que rien ne peut être négligé dans un conflit.
Elle a révélé le besoin de troupes et de chars au sol, mais aussi de capacités aériennes, de mesures de contre-offensive, de renseignement et de supériorité technologique pour protéger le flanc Est de l’UE. Le bloc doit également combler les failles qui pourraient provoquer des sabotages ou perturbations plus à l’ouest — au sol, dans les airs, via le cyberespace, ou les trois combinés.
L’idée de la « mur de drones » de la Commission européenne, présentée lors du sommet informel de l’UE au Danemark la semaine dernière, présente déjà des fissures avant même d’avoir intercepté un seul intrus russe. Cela montre le manque persistant d’unité au sein du bloc, même lorsqu’il s’agit de dépenser d’urgence pour un projet qui bénéficierait à certains États membres, tout en pouvant préfigurer un dôme de défense plus ambitieux à l’avenir.
L’idée de la Commission européenne présente déjà des fissures avant même d’avoir intercepté un seul intrus.
Mohamed Chebaro
Bien que le projet ne constitue pas une dissuasion immédiate, une fois opérationnel, il permettrait de détecter et de neutraliser les drones suspects entrant dans l’espace aérien européen, grâce à un réseau complexe de radars, capteurs acoustiques et autres outils technologiques avancés. Il devra pouvoir identifier tous types de drones, y compris ceux volant à basse altitude, et s’interfacer avec les systèmes de suivi avant de les neutraliser.
Mais cette initiative, qui viserait à protéger dix États membres (Bulgarie, Danemark, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et Finlande), est critiquée par des pays comme l’Italie et la Grèce, réticents à financer un projet dont ils ne tireraient pas un bénéfice direct.
Les réticences exprimées par certains pays ne doivent pas être ignorées, car malgré l’urgence de sécuriser le flanc Est, cette ou toute autre mesure pourrait être contournée et ne saurait être permanente, tant les menaces et les technologies évoluent rapidement. Les dispositifs de protection devraient aussi se concentrer sur les menaces internes à l’UE, et non seulement à ses frontières.
Le Kremlin, ou tout autre acteur derrière ces intrusions, mène une forme de guerre hybride non revendiquée contre des États membres de l’UE et de l’OTAN, à laquelle les dirigeants peinent à réagir. Et ils refusent toujours de renforcer leur unité face à cette menace. Ce n’est pas difficile à constater. Moscou utilise des moyens militaires classiques, comme les incursions de jets dans l’espace aérien estonien ou de drones d’attaque non armés au-dessus de la Pologne et de la Roumanie.
Des drones commerciaux bon marché sont aussi employés, peut-être par les services russes ou des opérateurs spéciaux, ou encore par des passionnés de drones, rémunérés ou non. Ces survols perturbateurs ont récemment causé la fermeture d’aéroports clés à Copenhague, Oslo, Bruxelles, Berlin et Munich.
Il est évident que ces menaces répondent à la détermination occidentale de soutenir l’Ukraine.
Mohamed Chebaro
Il est évident que ces menaces sont une réponse à la détermination inébranlable de l'Occident dans son soutien à l'Ukraine et à sa volonté de continuer à fournir de l'argent, des armes conventionnelles mortelles et, récemment, même des missiles stratégiques à plus longue portée. Tout cela pourrait priver la Russie de la victoire qu'elle attend, une fois que l'Occident sera fatigué et que son soutien s'affaiblira.
Ces opérations visent clairement à défier et affaiblir la résilience sociale et politique de certains pays européens, tout en testant la cohésion, la réactivité et les capacités militaires de l’OTAN. Même si l’on pense encore que ces incidents visent à harceler plutôt qu’à déclencher un conflit plus large que celui d’Ukraine, le risque d’erreur demeure.
La Russie est embourbée en Ukraine, mais conserve les moyens de mener une guerre hybride ailleurs pour exposer les vulnérabilités occidentales, comme on l’a vu ces dernières semaines. Elle cherche à alourdir le coût économique du soutien à Kiev, affaiblir la détermination européenne et semer l’anxiété dans les sociétés.
Le projet de « mur de drones » ne suffira pas à lui seul. Il assurera un minimum de préparation et évitera peut-être des catastrophes, mais il ne constitue pas une réponse stratégique à la guerre hybride russe. Son financement pourrait même être prélevé sur les aides à l’Ukraine — ce que souhaite Moscou.
Ce dont l’UE a besoin, plus que tout, c’est d’unité. Les divisions, alors que l’ennemi est à la porte, nuisent à la paix, à la sécurité et à la prospérité du bloc, et seront exploitées par la Russie — et d’autres.
Si l’UE veut éviter que son espace aérien, ses aéroports et ses infrastructures critiques ne soient perturbés, elle doit se rassembler derrière le projet de « mur de drones » comme première étape. Mais ses membres doivent aussi oser des actions capables de modifier les calculs stratégiques du Kremlin. Sinon, l’UE et l’OTAN doivent se préparer à voir leur résilience aérienne testée aujourd’hui, leur dépendance aux infrastructures demain, et peut-être leurs sociétés démocratiques le jour d’après.
Mohamed Chebaro est un journaliste libano-britannique qui a plus de 25 ans d'expérience dans les domaines de la guerre, du terrorisme, de la défense, des affaires courantes et de la diplomatie.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com