UE et Chine : un tango nécessaire entre partenaires incompatibles

Les relations entre l'UE et la Chine resteront à jamais un partenariat peu compatible dans un monde difficile. (AFP)
Les relations entre l'UE et la Chine resteront à jamais un partenariat peu compatible dans un monde difficile. (AFP)
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Publié le Vendredi 14 novembre 2025

UE et Chine : un tango nécessaire entre partenaires incompatibles

UE et Chine : un tango nécessaire entre partenaires incompatibles
  • L’UE est trop fragmentée politiquement et institutionnellement pour engager un véritable rapprochement stratégique avec une Chine désormais en position de force
  • Pékin avance technologiquement et géostratégiquement, tandis que l’Europe, divisée et dépendante, ne parvient pas à définir une politique commune capable de contrebalancer l’influence chinoise

La détérioration des relations américano-européennes constatée en 2025 a amené beaucoup à croire que les liens entre l’Europe et la Chine pourraient s’épanouir pour corriger certains déséquilibres géostratégiques et économiques. Mais un examen attentif de l’histoire, ainsi que des postures politiques, sociales et économiques récentes des deux parties, révèle qu’un tel basculement stratégique est presque impossible, en raison de la place qu’a acquise Pékin et des handicaps systémiques qui minent l’UE et fragmentent sa relation avec la Chine en une série d’approches parcellaires.

Un rapport publié cette semaine par l’Atlantic Council, qui cherche à explorer comment l’Europe se réveille face au défi chinois, expose les lacunes qui rendent improbable un rapprochement sino-européen. L’appareil décisionnel de l’UE fait de l’élaboration de politiques concernant la Chine un processus laborieux et complexe qui, même si la bonne volonté et la confiance venaient à dominer de part et d’autre, pourrait frustrer toute tentative d’intégration.

Le rapport explique comment la prise de décision au sein de l’UE implique un processus à plusieurs niveaux dans lequel les institutions et les États membres poursuivent des intérêts qui se chevauchent et parfois s’opposent. Au niveau européen, la Commission européenne, le Parlement européen, le Conseil européen et le Service européen pour l’action extérieure jouent chacun un rôle distinct dans l’élaboration des politiques. Parallèlement, les États membres travaillent à développer leurs propres approches nationales, qui influencent la prise de décision au niveau de l’UE. Le résultat, selon l’Atlantic Council, est un enchevêtrement complexe et souvent opaque d’acteurs, d’enjeux et d’intérêts qui s’alignent rarement et risquent d’interférer les uns avec les autres lorsqu’il s’agit de définir l’approche du bloc vis-à-vis de la Chine.

L’appareil décisionnel de l’UE rend l’élaboration de politiques concernant la Chine laborieuse et complexe, et il pourrait frustrer tout effort d’intégration. 

                                                       Mohamed Chebaro

Le poids et l’action de cette machine se voient clairement dans les résultats décevants qu’a donnés le 25ᵉ sommet UE-Chine cet été. Lors d’un sommet que beaucoup pensaient être l’occasion pour l’Europe de préparer le terrain pour renforcer sa coopération avec la Chine en contrepoids à la posture agressive du président américain Donald Trump envers le bloc, l’UE est restée fidèle à ses inquiétudes vis-à-vis de Pékin. Elle a évoqué l’excédent d’exportations chinoises inondant les marchés européens de produits bon marché, ainsi que le soutien apporté par la Chine à la Russie dans son agression contre l’Ukraine.

Cependant, tout cela a été balayé d’un revers de main par la direction chinoise, qui a nié l’existence d’un quelconque déséquilibre ou que les choses aient atteint un point d’inflexion, comme l’UE le suggérait.

Le président Xi Jinping a affirmé qu’« il n’existe aucun conflit fondamental d’intérêts ou contradiction géopolitique » entre les deux parties et a exhorté l’UE à « gérer correctement les différences et les frictions ». Il est même allé jusqu’à appeler la partie européenne à maintenir ouverts ses marchés du commerce et de l’investissement et à s’abstenir d’utiliser des outils économiques et commerciaux restrictifs, sur un ton qui semblait davantage ordonner qu’espérer.

Ces mots témoignent du fait que les Chinois savent ce dont ils ont besoin et que Pékin est en position de dicter la marche à suivre. Pendant ce temps, l’UE parle avec de multiples voix, reflétant les intérêts individuels de ses États-nations. Même différentes régions d’Europe poursuivent des priorités distinctes, des objectifs commerciaux et industriels aux politiques climatiques et/ou au positionnement géopolitique.

Le projet européen est clairement en retard sur son temps, non seulement du fait que l’Amérique de Trump, aux intérêts divergents, le laisse exposé en tant qu’allié depuis longtemps surdépendant pour sa sécurité et son parapluie nucléaire, mais aussi en tant que bloc technologiquement à la traîne.

Prenons le domaine technologique, dans lequel la Chine est clairement passée du statut d’imitateur à celui d’innovateur. Elle devance l’UE dans de nombreux secteurs jugés essentiels pour la croissance économique future, ainsi que dans des domaines chers à l’Europe à l’heure où elle cherche à transformer ses sociétés et ses économies vers la neutralité carbone.

Les propos de Xi témoignent du fait que les Chinois savent ce dont ils ont besoin et que Pékin est en position de dicter la marche à suivre. 

                                                      Mohamed Chebaro

Par-dessus tout, le modèle chinois qui fusionne usages militaires et civils en matière de connaissance et de recherche a pris l’Europe de court. Le secteur militaire chinois a été remanié et modernisé à vive allure, profitant et exploitant les avancées technologiques civiles.

Les partenariats public-privé européens restent un dispositif coûteux et peu éprouvé pour les achats de défense. Regardez simplement le fonds spécial de l’UE pour renforcer les capacités militaires de ses membres, convenu cette année pour faire face aux défis actuels et futurs posés par la guerre en Ukraine et une Russie toujours plus envahissante. Le doute persiste quant à l’efficacité avec laquelle les 800 milliards d’euros (926 milliards de dollars) promis seront dépensés pour des achats au sein des pays de l’UE, ou s’ils seront détournés pour acheter des équipements américains sur étagère.

Pendant des années, l’UE a ouvert ses portes, ses sociétés et ses systèmes pour permettre à la Chine d’acquérir des connaissances liées à la défense. Cela semble avoir servi à construire une Chine de plus en plus affirmée, qui transfère ses connaissances et matériaux à double usage à la Russie dans sa guerre d’agression contre l’Ukraine. Pékin a également utilisé ouvertement l’influence tirée de sa puissance commerciale et d’investissement pour promouvoir son modèle de gouvernance, avec un certain succès dans le Sud global et même dans certaines parties de l’Europe.

Pendant ce temps, les intérêts nationaux divergents et les dépendances économiques de l’UE l’entravent, les orientations politiques individuelles des États membres ajoutant des couches de complexité qui freinent une approche collective sur la Chine capable de tenir Pékin en respect.

Aux yeux de nombreux pays européens, la Chine pourrait montrer qu’elle est engagée à coopérer et à se projeter comme un fournisseur de solutions et un soutien à la paix et à la stabilité dans un monde turbulent. Un langage souvent utilisé par la Chine lorsqu’elle cherche une coopération positive, mais elle use rarement de son poids pour chercher sincèrement la paix. Et oui, les priorités géostratégiques de la Chine pourraient se situer ailleurs. L’UE, malgré sa politique fondée sur le consensus, reste un bloc facile à cueillir, mais Pékin ne parvient toujours pas à conquérir l’Europe et son vaste marché de consommateurs de classe moyenne.

À défaut, la Chine continuera probablement à dicter sa loi et l'UE à s'y plier à contrecœur. Ou bien les relations entre l'UE et la Chine resteront un tango nécessaire, mais elles seront à jamais marquées par un partenariat peu compatible dans un monde en mutation où l'Europe est à la traîne.

Mohamed Chebaro est un journaliste libano-britannique qui a plus de 25 ans d'expérience dans les domaines de la guerre, du terrorisme, de la défense, des affaires courantes et de la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com