Pendant un bref instant, il y a quelques semaines, il a semblé que les efforts conjoints des Israéliens et des Américains pour étouffer le nationalisme palestinien étaient couronnés de succès. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou avait rejeté avec arrogance l'idée d'un État palestinien, tandis que le président américain Donald Trump et sa secrétaire d'État semblaient faire écho à cette position.
Les Palestiniens détenteurs de passeports délivrés dans le cadre des accords d'Oslo parrainés par les États-Unis se sont soudainement vu refuser l'entrée en Amérique. Plus absurde encore, Washington a cherché à réduire au silence la voix officielle des Palestiniens à l'ONU. Le président Mahmoud Abbas et les membres de sa délégation, officiellement invités à assister à l'Assemblée générale de l'ONU, se sont vu refuser des visas d'entrée, en violation flagrante de l'accord de siège entre l'ONU et les États-Unis.
Cette démarche de l'administration Trump, inspirée par Israël, visait clairement à faire dérailler à la fois la reconnaissance internationale de la Palestine et les efforts déployés par les dirigeants palestiniens pour dialoguer avec les dirigeants mondiaux.
Pourtant, moins d'un mois plus tard, lundi, les rôles étaient inversés. M. Abbas et ses collaborateurs se trouvaient à Charm el-Cheikh, à l'invitation du président égyptien Abdel Fattah El-Sisi, qui accueillait nul autre que M. Trump lui-même. Ce dernier a même posé pour une photo avec M. Abbas et lui a souhaité publiquement la bienvenue, ainsi qu'à d'autres participants.
Que Netanyahou n'ait pas été invité ou qu'il ait choisi d'éviter le rassemblement, son absence était frappante et symbolique
Daoud Kuttab
Selon l'agence de presse palestinienne officielle WAFA, le président Abbas a tenu une série de réunions bilatérales avec des dirigeants du monde entier. Il a notamment rencontré le roi du Bahreïn Hamad bin Isa Al-Khalifa, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, le chancelier allemand Friedrich Merz, le premier ministre espagnol Pedro Sanchez, le premier ministre norvégien Jonas Gahr Store, le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis, le premier ministre irakien Mohammed Shia Al-Sudani, le premier ministre canadien Mark Carney, le premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif et le ministre omanais des affaires étrangères Badr bin Hamad Al-Busaidi.
En revanche, aucun responsable israélien n'était présent. Que M. Netanyahu n'ait pas été invité ou qu'il ait choisi d'éviter le rassemblement en raison des accusations de crimes de guerre dont il fait l'objet, son absence était frappante et symbolique.
Pour les puissances mondiales qui ont déjà reconnu l'État de Palestine, le sommet de Charm el-Cheikh était plus qu'un événement diplomatique. Il a rappelé que la reconnaissance doit se traduire par un véritable partenariat politique, qui fasse progresser l'objectif d'une paix durable entre Israël et la Palestine.
Le moment choisi pour la réunion était également important. Elle s'est tenue alors que la guerre à Gaza touchait officiellement à sa fin et que les acteurs régionaux et internationaux entamaient le difficile processus de mise en place d'une force multinationale (y compris arabe et islamique) chargée de stabiliser la bande de Gaza.
L'une des questions les plus délicates concerne l'avenir des groupes armés à Gaza. Les dirigeants du Hamas et du Jihad islamique auraient exprimé leur volonté de remettre leurs armes offensives à un comité mixte palestino-égyptien, mais insistent pour conserver leurs armes défensives. Leur raisonnement est ancré dans une histoire douloureuse : après le massacre de Sabra et Chatila à Beyrouth il y a 43 ans, peu de Palestiniens sont prêts à croire qu'ils peuvent rester sans défense, du moins pour l'instant.
La présence d'Abbas et de ses collaborateurs, aux côtés des grandes puissances mondiales, a donné un coup de fouet au nationalisme palestinien séculaire
Daoud Kuttab
La présence d'Abbas et de ses principaux collaborateurs à Charm el-Cheikh, aux côtés des grandes puissances mondiales, a donné un coup de fouet au nationalisme palestinien laïc, un mouvement dont beaucoup craignaient qu'il ne s'essouffle après des années de divisions et de bouleversements régionaux.
M. Abbas s'est engagé à organiser des élections législatives et présidentielles dans l'année qui suivra le cessez-le-feu, ce qui laisse présager une réinitialisation politique potentielle. Dans un geste symbolique, il a récemment accueilli Nasser Al-Qidwa, l'ancien ministre palestinien des affaires étrangères, qui a réintégré le mouvement du Fatah après des années d'éloignement.
Natif de Gaza et parent de feu le président Yasser Arafat, M. Al-Qidwa, qui est également le co-auteur (avec l'ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert) d'une proposition de paix commune, devrait jouer un rôle clé dans l'administration d'après-guerre de Gaza. Que ce soit à titre officiel ou en tant que conseiller aidant à sélectionner les candidats à une nouvelle direction technocratique, son retour ajoute de la crédibilité aux efforts d'Abbas pour restaurer l'unité et la gouvernance. Toutefois, les Palestiniens ont besoin de beaucoup plus d'unité s'ils veulent retrouver leur confiance et leur soutien aux dirigeants actuels.
Il est peut-être prématuré de parler d'une résurgence totale du nationalisme palestinien. Néanmoins, Charm el-Cheikh a offert une image forte : le président de la Palestine et de l'Organisation de libération de la Palestine se tenant parmi les dirigeants mondiaux en tant qu'invité de Trump et d'El-Sisi - alors qu'Israël était absent et isolé.
Il est peu probable que ce moment passe inaperçu à Tel-Aviv ou à Washington. Après Charm el-Cheikh, il semble beaucoup moins probable qu'un dirigeant palestinien soit à nouveau empêché de se rendre à l'ONU ou de dialoguer avec la communauté internationale.
Le sommet a plutôt mis en évidence une vérité que des décennies d'occupation et de diplomatie n'ont pas réussi à effacer : Le nationalisme palestinien n'est pas seulement vivant, il reprend sa place sur la scène mondiale.
Daoud Kuttab est un journaliste palestinien primé et ancien professeur de journalisme à l'université de Princeton. Il est l'auteur de "State of Palestine Now : Practical and Logical Arguments for the Best Way to Bring Peace to the Middle East (L'État de Palestine maintenant : arguments pratiques et logiques pour le meilleur moyen d'apporter la paix au Moyen-Orient).
X : @daoudkuttab
NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.