Comme si l’UE en tant que bloc, ou les États européens, avaient besoin que la nouvelle Stratégie de sécurité nationale américaine vienne s’ajouter aux adversités et défis qui s’accumulent depuis quelques années. Le document stratégique, publié la semaine dernière, affirme que les nations européennes se trouvent au bord d’une « effacement civilisationnel » et avertit que, dans quelques décennies, les populations de certains États membres de l’OTAN pourraient devenir majoritairement non européennes.
Depuis une décennie, l’extrême droite en Europe exploite cette narration — selon laquelle l’UE fait face à une menace migratoire plus grande que la menace russe — dans une tentative de conquérir le pouvoir sur le continent. Elle s’appuie sur un discours mêlant race, christianisme, nationalisme et suprématie raciale, opposant peuples et pays, au moment même où le vieillissement démographique rend l’arrivée de nouveaux venus indispensable. Sinon, qui occupera les emplois faiblement rémunérés, par exemple dans le secteur du soin — notamment pour s’occuper de cette même population vieillissante ?
La stratégie américaine s’aligne sur un sentiment qui gagne du terrain en Europe, imputant aux migrants la responsabilité de la hausse des coûts et du déclin de l’intégration au sein de l’UE, laquelle est accusée d’échouer à endiguer les flux migratoires en raison du lent processus de consensus inhérent à ses institutions. Ainsi, les enjeux de l’asile et de la migration deviennent un canal pour attirer l’attention et accéder au pouvoir, indépendamment des preuves montrant que leurs affirmations sont exagérées et que leurs solutions proposées sont inadéquates.
Pendant ce temps, les médias de droite et populistes continuent de présenter les nouveaux arrivants dans l’UE comme une menace existentielle pour ses populations, semant la haine et la peur parmi ce qu’ils appellent les populations autochtones, inquiètes d’un changement potentiel dans leur composition culturelle, raciale et religieuse.
Un sentiment gagne du terrain en Europe en imputant aux migrants la responsabilité de la hausse des coûts et du déclin de l’intégration.
Mohamed Chebaro
Poussés par la crainte de voir l’extrême droite progresser dans les urnes, les gouvernements européens s’empressent d’adopter une position plus dure sur la migration. Lundi, les pays de l’UE ont approuvé une proposition visant à créer des « centres de retour » pour les demandeurs d’asile en dehors du bloc, imitant le plan italien — encore non testé — de traitement des demandes en Albanie, ainsi que le programme britannique pour le Rwanda, désormais abandonné.
Ce plan européen de retours pourrait s’avérer une politique ambitieuse vouée à l’échec, car il sera difficile de réglementer strictement des centres situés hors des frontières de l’UE — des pays jugés sûrs vers lesquels les migrants seraient renvoyés, même s’il ne s’agit pas de leur pays d’origine. Le plan prévoit également des sanctions plus sévères contre les candidats déboutés qui refusent de partir. Adopter une telle politique est une chose, mais l’adapter pour respecter les innombrables lois et normes éthiques des différents pays en est une autre.
Il semble que les pays de l’UE aient surmonté, du moins théoriquement, ces obstacles en enclenchant ces nouvelles règles d’asile, en adoptant une liste commune de « pays d’origine sûrs » et en créant une politique européenne de retours, malgré les critiques de plus de 200 organisations de défense des droits humains et de migrants. Les propositions de la Commission européenne deviendront loi si le Parlement européen approuve le texte final.
Les pays de l’UE ont également convenu de leur « réserve de solidarité » pour 2026, qui leur permettra de choisir entre aider les États méditerranéens en relocalisant 21 000 personnes ou en fournissant 420 millions d’euros (488 millions de dollars) de contributions financières.
Selon les règles proposées, un pays de l’UE pourra rejeter une demande d’asile si la personne aurait pu obtenir une protection dans un pays que le bloc considère comme sûr. Cela signifie, en termes généraux, que les États membres s’accorderaient pour désigner comme sûrs les pays candidats à l’adhésion à l’UE, ainsi que le Bangladesh, la Colombie, l’Égypte, l’Inde, le Maroc et la Tunisie, par exemple.
Le Conseil européen a également approuvé sa position sur la création de règles communes en matière de retours, incluant des obligations pour les personnes visées par un premier ordre de retour, ainsi que des sanctions pour celles qui refusent de partir volontairement, avec une possible peine d’emprisonnement pour non-coopération.
Les critiques du plan craignent que ces nouvelles mesures, si elles sont approuvées, ne reflètent l’approche « déshumanisante » adoptée par les États-Unis. Ils estiment que ces centres pourraient constituer un dispositif inefficace et cruel qui cherche, de manière erronée, à intensifier les expulsions, les descentes de police, la surveillance, la détention et, surtout, la discrimination.
Adopter une telle politique est une chose, mais l’adapter pour respecter les innombrables lois des différents pays en est une autre.
Mohamed Chebaro
On peut donc se demander si un modèle américain d’application des lois migratoires et des expulsions pourrait s’imposer en Europe, sachant que les tendances établies par les décideurs américains finissent souvent par gagner l’Europe occidentale. Ce scénario est peut-être exagéré pour l’instant, mais à mesure que l’extrême droite progresse dans les sondages et que les interférences idéologiques et pratiques américaines se poursuivent au nom de la protection de la liberté d’expression, ce qui paraît inconcevable aujourd’hui pourrait devenir politique demain.
Dans l’ensemble, l’UE a constaté une baisse des entrées irrégulières sur son territoire, les chiffres indiquant une diminution de 20 % depuis le début de 2025 par rapport à l’année dernière. Ces données n’ont cependant pas suffi à réduire la pression sur les responsables politiques. De plus, ces nouvelles propositions interviennent quelques mois seulement après l’adoption d'un nouveau paquet de lois migratoires, qui entreront en vigueur en juin prochain.
Les écueils de telles politiques sont nombreux, surtout lorsque des nations tentent d’adopter une liste commune de pays sûrs dans un monde conflictuel, où des pays considérés comme sûrs aujourd’hui pourraient entrer demain dans des catégories hautement subjectives. Ils pourraient même faire l’objet de recours interminables devant les tribunaux des droits humains.
Mais malgré ces zones grises juridiques et ces risques d’inefficacité, le plan européen est porté par les craintes des législateurs de centre droit et d’extrême droite, désireux de montrer à leurs électeurs qu’ils agissent. Pourtant, la solidarité demeure inexistante au sein de l’UE, aucun pays ne voulant accueillir davantage de demandeurs d’asile. Et l’on parle ici du partage de seulement 30 000 personnes pour soulager les pays en première ligne comme la Grèce et l’Italie.
En mettant de côté les coûts élevés de ce plan plutôt inefficace, accueillir davantage de demandeurs d’asile implique des risques politiques considérables. Ainsi, les réformes migratoires communes à l’échelle de l’UE restent un projet ambitieux qui a toutes les chances d’échouer avant même de démarrer.
Mohamed Chebaro est un journaliste libano-britannique qui a plus de 25 ans d'expérience dans les domaines de la guerre, du terrorisme, de la défense, des affaires courantes et de la diplomatie.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com














