Sport et société: Qu’est-ce que l’ambush marketing ?

Le président du Comité international olympique, le Dr Thomas Bach, reçoit le manuscrit de Pierre de Coubertin, offert par Alicher Ousmanov (Photo, CIO).
Le président du Comité international olympique, le Dr Thomas Bach, reçoit le manuscrit de Pierre de Coubertin, offert par Alicher Ousmanov (Photo, CIO).
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Publié le Mardi 26 janvier 2021

Sport et société: Qu’est-ce que l’ambush marketing ?

Sport et société: Qu’est-ce que l’ambush marketing ?
  • «Étymologiquement, les pratiques d’ambush marketing consistent, pour une marque, à profiter d’un événement (ou de la réputation d’un sportif) sans en être un partenaire ou sponsor officiel»
  • «On constate aujourd’hui que ces techniques de récupération d’images sont maintenant de plus en plus fréquentes dans une communication «politique» engagée, notamment dans les médias sociaux»

À la suite de plusieurs échanges avec des lecteurs, je vous propose de développer ou de reprendre des concepts qui, à mon avis, débordent du cadre purement sportif ou de l’événement sportif. Car ce monde du sport et celui des mégaévénements sont pour moi des clés de compréhension, des outils pour appréhender le monde d’aujourd’hui et son évolution. Alors que nous évoquions dans une récente tribune la nécessité de reconnaître au sport une responsabilité politique, plusieurs événements ont attiré mon attention sur ce qui relève de ce que l’on pourrait appeler l’ambush marketing «politique».

Étymologiquement, les pratiques d’ambush marketing consistent, pour une marque, à profiter d’un événement (ou de la réputation d’un sportif) sans en être un partenaire ou sponsor officiel. La Fédération internationale de football association (Fifa) les définit comme un ensemble d’«activités de marketing interdites qui tentent de tirer parti de l’intérêt et de la visibilité d’un événement en créant une association commerciale et/ou en cherchant une exposition promotionnelle sans l’autorisation de l’organisateur de l’événement». Il s’agit donc de profiter d’une exposition médiatique générée par d’autres. Les premiers cas furent ceux d’inconnus qui traversaient, plus ou moins habillés, des terrains de sport, avec drapeaux, bannières ou même inscriptions sur le torse. Durant la Coupe du monde de rugby 2007, Dim habilla des pom-pom girls en lingerie fine dans le Stade de France, ce qui attira l’objectif des caméras de télévision.

Pour la Coupe du monde de football en Afrique du Sud (2010), 36 femmes assistèrent au premier match des Pays-Bas en minirobes orange pour promouvoir une brasserie néerlandaise. Avec des packages de partenariat qui peuvent se monter à 400 millions d’euros (l’entreprise chinoise Vivo pour la Coupe du monde Russie 2018), il est évident que les organisations faîtières (Fifa, Comité international olympique [CIO], Bureau des expositions ou Conseil olympique asiatique), mais aussi les territoires hôtes, ont tout intérêt à surveiller et à protéger leurs droits et ceux de leurs partenaires commerciaux. Ils ont même défini un distinguo entre «association directe» – quand une marque tente de se relier directement à un événement, par la publicité ou les promotions – et «association indirecte» qui vise à induire une association d’images par le biais de campagnes «créatives».

On constate aujourd’hui que ces techniques de récupération d’images sont maintenant de plus en plus fréquentes dans une communication «politique» engagée, notamment dans les médias sociaux.

On se souvient des actions de lobbying de plusieurs associations contre la tenue des Jeux de Pékin 2008 et on constate une nouvelle vague de mobilisation contre la prochaine édition des Jeux en Chine, pour les Jeux d’hiver en 2022. Plus récemment, alors que René Fasel, le président de la Fédération internationale de hockey sur glace (IIHF) avait confirmé que «la Biélorussie restait la meilleure option pour coorganiser avec la Lettonie la prochaine édition du Mondial masculin de hockey sur glace», l’entretien qu’il a eu avec le chef de l’État, Alexandre Loukachenko, lors de la dernière visite technique à Minsk a déclenché une campagne d’hostilité.

La mobilisation des sponsors et les conditions sanitaires ont finalement poussé la Fédération de hockey à annuler sa collaboration avec la Biélorussie, et elle va maintenant devoir rembourser une partie des frais engagés par les organisateurs biélorusses. Dernièrement, ce fut au tour d’Alexeï Navalny, une figure de l’opposition russe, de publier une liste de huit personnes que «l’Occident doit sanctionner», dont deux grands soutiens du sport international, Abramovich, le propriétaire du club de football de Chelsea, et Ousmanov, le président de la Fédération internationale d’escrime (FIE).

Quels que soient la pertinence et le bien-fondé éthique de ces actions politiques, la situation est cornélienne: comment préserver les valeurs du sport tout en acceptant son rôle social. Force est de reconnaître que l’ambush marketing, sous toutes ses formes, va avoir un impact croissant sur l’économie d’une industrie qui doit se remettre des effets dévastateurs de la pandémie. Dans sa version «classique», l’ambush marketing a déjà entraîné une explosion de la charge financière juridique de négociation et de bonne mise en œuvre des contrats de sponsoring. Dans sa version «politique», il risque de décourager de putatifs riches parrains.

Concernant Alicher Ousmanov, il faut se rappeler que ses engagements dans la promotion du sport ont toujours été essentiels et que c’est grâce à son soutien – près de 80 millions CHF (1 CHF = 0,93 euro, source Insidethegames.biz) – que la FIE a pu se développer sur les trois derniers cycles olympiques. C’est également lui qui avait acheté aux enchères, pour près de 8 millions d’euros, le manuscrit historique dans lequel le baron Pierre de Coubertin présente sa vision des Jeux olympiques modernes. Manuscrit qu’il avait décidé d’offrir au Musée olympique de Lausanne.

Comment concilier alors les perspectives sociales et les intérêts du sport, des sponsors et des organisations sportives ? Si des consignes sont désormais données aux équipes de réalisation TV de ne pas diffuser les éventuelles opérations d’ambush marketing sur le terrain, au niveau «politique», la frontière reste floue entre ce qui relève de l’ambush marketing et la pratique journalistique d’investigation. Il me semblera toutefois abusif d’accepter la notion d’«embuscade» (ambush) quand elle s’exprime par une surprenante confusion des genres et une agressivité qui sont antagonistes aux valeurs du sport et de l’événement.

Refuser l’ambush marketing politique est une nécessité alors que le Moyen Orient s’engage dans une série de grands événements internationaux: Exposition universelle de Dubaï, Coupe du monde au Qatar… Pour tous les citoyens du monde, cela doit être une occasion unique de découvrir des cultures, des histoires et des communautés différentes. Assurons-nous d’être suffisamment ouverts pour écouter, apprendre et nous enrichir de ces différences.

Philippe Blanchard a été directeur au Comité international olympique, puis en charge du dossier technique de Dubaï Expo 2020. Passionné par les mégaévénements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’innovation, des sports et eSports du futur.

Twitter: @Blanchard100

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.