BEYROUTH: Toutes les héroïnes ne portent pas de cape. C’est le cas de Carole Nader. Son super-pouvoir inné est de détenir une immense conscience sociale. L'altruisme a dès son plus jeune enfance parisienne été son leitmotiv. Ce pouvoir n'est pas surnaturel, il est le reflet d'une énergie qui l'a toujours poussée à donner plus aux autres et à penser à autrui, alors même que sa vie personnelle était bouleversée par des évènements tragiques.
Une énergie d’autant plus vitale pour un Liban en totale perdition sur le plan politique, économique et social. L'approche de Carole Nader concernant les processus de réhabilitation et de résilience – des notions qui ont été galvaudées – mérite d'être mise en lumière. Arab News en français lui a donné la parole.
Drames familiaux et solidarité sociale
Carole Nader a été frappée par deux drames familiaux en l’espace d’un an. Guidée par sa conscience sociale qu’elle décrit comme « une joie quotidienne », elle a contribué à la mise en place de deux institutions qui sont devenues indispensables pour des milliers de familles au Liban.
En 2009, Carole Nader perd son jeune fils Philippe, un ange au sourire radieux, à l'âge de onze ans. « En hommage à sa mémoire mais aussi à son altruisme, nous avons créé la Happy Childhood Foundation en 2010. Il s'agit d'une fondation destinée aux enfants défavorisés, et ce, sans aucune discrimination liée à la nationalité ou à la religion », explique-t-elle.
Un an après ce premier drame, Laetitia, sa fille âgée de seize ans, est victime d'un accident de cheval. Elle subit un très grave traumatisme de la colonne vertébrale. « On a décidé de se rendre aux États-Unis pour sa réhabilitation. Elle a fait comme voeu avant de partir que notre fondation puisse aider des enfants qui sont dans sa situation, mais qui n'ont pas les moyens de partir à l’étranger pour recevoir des traitements. »
La thérapie de Laetitia se déroule au Rehabilitation Institute of Chicago, renommé depuis peu Shirley Ryan AbilityLab. Lors de ce séjour aux États-Unis, Carole Nader et sa fille travaillent avec cet hôpital à la réputation mondiale pour fonder – en collaboration avec l'Hôtel-Dieu de France à Beyrouth et la Childhood Foundation – un centre d’excellence, le Centre de réhabilitation Laetitia Hatem à l'Hôtel-Dieu de France en 2011.
« On a tout d'abord promis à Laetitia qu'elle remarcherait, et c'est heureusement arrivé. On a rapidement voulu que ce centre puisse aussi bénéficier aux personnes les plus défavorisées. On a donc créé un fonds spécialement dédié aux enfants avec peu de moyens financiers et ne bénéficiant pas de la sécurité sociale. L'idée étant de leur donner accès aux meilleurs soins possibles », raconte Carole Nader.
La Fondation fait un travail remarquable en prenant en charge complètement les frais mensuels de plus de 150 enfants et de leurs familles.
Une approche, une leçon et un monde de vie
L'approche holistique de Carole Nader se divise en cinq programmes: les besoins primaires, l'éducation, la santé physique et mentale, la protection, et la culture. « C'est une approche qui tient compte du bien-être, à tous les niveaux », affirme-t-elle.
« J'ai assisté à des réhabilitations neurologiques et à des séances psychologiques aux États-Unis et au Liban. J'ai développé des compétences en termes de réhabilitation et de soutien psychologique. J'ai pris en charge tous les projets de réhabilitation », raconte Carole Nader.
Le Centre a accueilli tous les blessés, enfants et adultes de l'explosion du port de Beyrouth du 4 août dernier, en leur offrant notamment un soutien psychologique. « Quand les gens n'ont pas de quoi réparer leurs maisons, ils n'ont pas de quoi se réparer eux-mêmes. »
On parle souvent de la grande capacité de résilience des Libanais, et le pays est même comparé au mythique phénix qui renaît de ses cendres. Cette vision a été récemment vivement critiquée, car elle déforme la réalité socio-économique du pays. Pour la thérapeute, le concept de résilience est mal compris. « Au Liban, c'est être passif que de continuer à vivre comme si de rien n'était. La résilience, c'est au contraire la capacité et la rapidité avec laquelle on se redresse et ce qu'on en fait. La résilience doit être active, positive et collective ». Carole Nader estime que la résilience est aussi une leçon et un mode de vie. « Ce n’est pas rejeter un drame quand il arrive, mais c’est pouvoir rebondir, avancer et en faire quelque chose », assure-t-elle.
Elle continue d’étudier tout ce qui à trait aux neurosciences et au bien-être. Elle a ainsi de multiples diplômes des universités de Yale, Chicago ou encore Berkeley. Carole Nader insiste pour ne pas appliquer aveuglement des concepts qui sont bien souvent adaptés à la culture anglo-saxonne. « Dans notre région, tout est différent. Notre relation à différents concepts comme la nourriture, la convivialité, le rapport à l'autre, les relations sociales n’est pas la même. Il faut donc adapter ces concepts à notre culture orientale. »
Carole Nader partage son vécu et ses acquis sur Helpnet, un réseau interdisciplinaire de santé mentale.