L'Iran devrait faire preuve de bonne volonté s'il veut revenir à l'accord sur le nucléaire

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. (Photo, AP)
Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. (Photo, AP)
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Publié le Lundi 22 mars 2021

L'Iran devrait faire preuve de bonne volonté s'il veut revenir à l'accord sur le nucléaire

L'Iran devrait faire preuve de bonne volonté s'il veut revenir à l'accord sur le nucléaire
  • L'Iran persiste à faire preuve de défi, alors que dans les négociations, il faut savoir quand faire preuve de flexibilité
  • Le guide suprême Ali Khamenei n'a accepté l'accord que parce que la crise économique n'était plus supportable, mais il n'en a jamais été fan

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a accordé la semaine dernière une interview à Politico dans laquelle il a déclaré: «Nous n'avons vu aucun changement de politique», se référant à la nouvelle administration Biden aux États-Unis. L’Iran est toujours soumis à la campagne de «pression maximale» de Donald Trump. Zarif a également déclaré qu'une fois qu'il y aurait un retour à l'accord sur le nucléaire dit Plan d'action global commun (connu sous son acronyme anglais « JCPOA »), d'autres questions pourraient être discutées.

Cependant, malgré l’ouverture de Zarif, l’Iran n’a jusqu’à présent fait preuve d’aucune bonne volonté qui pourrait encourager son homologue à s’engager dans des négociations sur le nucléaire. L'Iran persiste à faire preuve de défi, alors que dans les négociations, il faut savoir quand faire preuve de flexibilité. Il commence à créer beaucoup trop d’ennemis ; ce qui rend la tâche de Zarif chaque jour plus difficile. Le comportement de l’Iran n’aide certainement pas ceux parmi l’administration américaine qui sont en faveur de la discussion. Téhéran devrait profiter du fait que la Maison Blanche veut discuter et préférer les négociations à la coercition et le dialogue à la confrontation.

Le comportement actuel de l'Iran fait plus de mal que de bien au JCPOA. Les opposants à l’accord soutiennent qu’il ne traite pas des activités malveillantes de l’Iran dans la région et que le comportement actuel de Téhéran leur donne raison. Son attitude belliqueuse reflète l'aile anti-américaine du régime iranien. Cependant, de telles actions ne sont pas nouvelles. En janvier 2016, suite à la signature du JCPOA et alors que l'Iran aurait dû mieux se conduire, il a choisi de faire une démonstration de force. Il a capturé 10 soldats américains dont les bateaux s'étaient égarés dans les eaux iraniennes. Une vidéo a été diffusée montrant les marins à genoux, les mains derrière la tête, tandis qu’un responsable iranien se vantait de la puissance de l’Iran.

Le JCPOA est également un ticket électoral important. Les réformistes veulent un retour à l’accord car il facilitera leur chemin vers la victoire à l’élection présidentielle de juin. D'un autre côté, les tenants de la ligne dure, celle anti-occidentale, bénéficieront d'un échec de retour au JCPOA. Cela jouera dans leur récit : il ne faut pas faire confiance aux États-Unis, peu importe qui est à la barre. Leur attitude est que les Américains ont utilisé le JCPOA quand il leur était convenable de le faire et l'ont quitté quand il ne servait plus leurs intérêts. Par conséquent, l'Iran ne doit pas baisser sa garde.

Le guide suprême Ali Khamenei n'a accepté l'accord que parce que la crise économique n'était plus supportable, mais il n'en a jamais été fan. Il sait qu'adopter l'accord signifie renoncer au culte de la révolution ; ce qu'il ne veut pas faire car cela signifierait abandonner les postulats sur lesquels tout le régime est construit.

Les opposants à l’accord soutiennent qu’il ne traite pas des activités malveillantes de l’Iran dans la région et que le comportement actuel de Téhéran leur donne raison

Dr. Dania Koleilat Khatib

Cependant, l'Iran dérange trop d’acteurs et crée trop d'ennemis. La Turquie, par exemple, est un acteur important que l'Iran aurait au moins pu garder neutre. Ankara était l'un des rares pays à condamner le meurtre du commandant de la Force Qods Qassem Soleimani au début de 2020. Elle aidait aussi apparemment l'Iran à financer certaines de ses opérations par le biais de la banque publique, Halkbank. Bien qu’opposée à l'Iran en Syrie, la Turquie a réussi à trouver un modus operandi avec les Iraniens via les accords d'Astana. Aujourd'hui, cependant, l’Iran entretient des relations conflictuelles avec la Turquie en raison de sa protection du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Irak. Le PKK, qui a été aidé par des milices pro-iraniennes, a exécuté le mois dernier 13 otages turcs dans le nord de l'Irak. Et le dirigeant d’Asa’ib Ahl Al-Haq, Qais Khazali, qui est pro-Iran, a déclaré ce mois-ci sans ambages qu’il était prêt à combattre les Turcs. La Turquie aurait pu être courtisée par l'Iran pour soutenir sa position sur le JCPOA, mais maintenant Ankara semble aller dans la direction opposée.

Les Européens, qui sont favorables à l’accord, sont de plus en plus rebutés par le comportement de l’Iran. Le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne (l'E3) avaient prévu d'introduire ce mois-ci une résolution à l'Agence internationale de l'énergie atomique critiquant l'Iran pour avoir freiné les inspections de l'agence et lui demandant d'expliquer ses violations de l'accord de 2015. Suite à un avertissement de la Russie et de l'Iran, cependant, le E3 a décidé de ne pas présenter la résolution. Mais cela ne signifie pas qu’ils sont à l’aise avec l’Iran. Ils se sont peut-être abstenus d'affronter l'Iran cette fois, mais si Téhéran continue son comportement, ils atteindraient probablement bientôt un point où ils s'opposeront à l'Iran et seront poussés à utiliser des mesures coercitives contre la République islamique.

Téhéran doit également garder à l'esprit que les États-Unis ne peuvent pas être vus comme s'inclinant devant l'Iran. Et c'est l'Iran, pas les États-Unis, qui subit une pression maximale. Les sanctions font du tort au peuple iranien, pas aux Américains. Par conséquent, Washington n'a aucun sentiment d'urgence en termes de retour à l'accord. L'Iran doit également se rendre compte que l'administration Trump a fait pression sur ses alliés pour qu'elle abandonne l'accord. Plus Téhéran fera preuve de belligérance, plus ces alliés résisteront à tout retour américain à l'accord. Cela n'a certainement pas aidé que l'Iran se vante d'avoir quatre capitales arabes sous son contrôle en 2015. La déclaration récente de Khamenei selon laquelle l’influence iranienne se poursuivra dans la région de toute manière pas très réconfortante. Et cela contredit le ton plus conciliant que Zarif tente d’imprimer. Plus l'Iran fait preuve de belligérance, plus les États arabes du Golfe se mettront sur la défensive.

L'Iran devrait donc être plus pragmatique. La première étape pour faire preuve de bonne volonté serait d'adopter une approche plus harmonieuse avec l'Occident et la région. Le comportement de l’Iran a repoussé les partisans de l’accord, ou du moins a rendu leur position plus difficile à soutenir. La fenêtre pour revenir sur l'accord se ferme car l'Iran augmente son enrichissement. Téhéran devrait rapidement se décider sur la voie à suivre et il devrait se rendre compte que le plus grand perdant d’un échec de retour au JCPOA serait le peuple iranien.

 

• Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise axée sur la voie II. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.

 

L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com