Pourquoi faut-il toujours une catastrophe pour initier le changement ?

Des manifestants au centre-ville de Beyrouth, le 21 octobre 2019.  (Joseph Eid/ AFP)
Des manifestants au centre-ville de Beyrouth, le 21 octobre 2019. (Joseph Eid/ AFP)
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Publié le Dimanche 16 août 2020

Pourquoi faut-il toujours une catastrophe pour initier le changement ?

Pourquoi faut-il toujours une catastrophe pour initier le changement ?
  • Nous ne pouvons être sûrs que d’une seule chose : ceux qui ont le pouvoir de donner des ordres pour mettre fin au danger aujourd’hui sont ceux qui seront les moins touchés par un déluge de pétrole
  • La bonne gouvernance va de pair avec la meilleure politique méritée au Liban et ailleurs, ce qui aurait pu aider Beyrouth hier

Lors de certaines conférences internationales auxquelles j’ai assisté avant le début de la pandémie de coronavirus (COVID-19), je présentais un thème basé sur la question de « Pourquoi ne pas tenir cette conférence sans la guerre ? » Je cherchais à prouver qu’à l'issue des conflagrations les plus violentes, une conférence ou une série de conférences sont organisées pour s'entendre sur les solutions qui auraient dû être conclues pacifiquement et qui auraient pu éviter la guerre. Si nous tirons quelques leçons du passé, notamment du XXe siècle, ne serait-il pas plus logique de tenir une telle conférence alors que nous pouvons tous voir une crise se développer, avant des pertes catastrophiques de vies humaines et toutes leurs conséquences ? Les questions relatives au Golfe, voire au Moyen-Orient élargi, pourraient constituer un bon exemple.

Je reviens à ce concept à la suite de la catastrophe à Beyrouth. Ceci n’est pas un article sur l’incident. De nombreux écrivains libanais exceptionnels ont déjà rendu justice à ces évènements, et ils ont plus de droit que moi d’exprimer la colère et la rage qu’un peuple au cœur brisé exprime face aux évènements qui l’ont englouti. Les observateurs internationaux auront d’autres occasions de commenter.

Cependant, les évènements au Liban soulèvent une question similaire : Pourquoi tolérons-nous une pure mauvaise gouvernance pour tellement longtemps, avant qu’un incident prévisible et évitable ne nous accable et que ne commence un processus de récrimination ou de restructuration lorsqu’une nouvelle série de victimes est créée ?

La bonne gouvernance, de l’exécution de la routine à la gestion d’affaires extrêmes, possède quelques facteurs communs, dont les administrations méritocratiques — les services civils à la fois vraiment prestigieux et industrieux et non les sinécures pour les privilégiés ; sont empiriquement fondés sur des faits relatifs à la prise de décision ; ne sont pas corrompus ; et fournissent une analyse non-politisée et des informations honnêtes aux populations. L’absence de l’un de ces facteurs, associée à un leadership politique inefficace, met les populations en danger.

Les petites choses, tolérées pour longtemps, comptent. Les règles de santé publique qui passent inaperçues sans aucune sanction officielle, la corruption à petite échelle qui devient progressivement un scandale national ; tôt ou tard, ces choses-là limitent la capacité d’un État à protéger son peuple et à les aider à prospérer. L’incapacité à exécuter des services peut passer de mécontentement à Venezuela en seulement quelques années. Tout cela est suffisamment grave pour avoir été ciblé par l'ONU comme objectif de développement durable 16 : sa définition de la bonne gouvernance allant de systèmes représentatifs véritablement participatifs à l'état de droit et à la fin de la corruption.

Des petits échecs aux grands : le FSO Safer, navire pétrolier en détresse au large du Yémen, contient plus d’un million de barils de pétrole et est effectivement naufragé depuis cinq ans. Étant donné que les responsables ne parviennent pas à s'entendre sur une solution en raison de réclamations concurrentes, l'état du navire se détériore, tandis que les dommages potentiels à la mer Rouge en cas de déversement ultérieur sont jugés incalculables. Bien que le problème soit connu, l’échec de la gouvernance locale, régionale et internationale à concevoir une solution rend un résultat similaire à Beyrouth très probable. Nous ne pouvons être sûrs que d’une seule chose : ceux qui ont le pouvoir de donner des ordres pour mettre fin au danger aujourd’hui sont ceux qui seront les moins touchés par un déluge de pétrole. Une fois de plus, ce seront les vies des plus pauvres et des sans-voix qui en souffriront.

En Europe, nous pouvons donner l’exemple de l’effondrement dramatique du pont Morandi à Gênes en 2018, quelques années après que les experts de sécurité ont exprimé leurs craintes aux autorités quant à sa condition. Une enquête doit encore conclure pourquoi personne ne les a écoutés.

Ensuite, il y a la pandémie. Quelle que soit la cause ultime de la propagation de la COVID-19, la question du danger de transmission zoonotique était connue par les gouvernements du monde entier depuis plus d’une décennie. La croissance démographique et l’urbanisation accrue augmentent les risques de contamination de l’animal à l’homme et la libération d’agents pathogènes dont la COVID-19 est probablement le moins grave. Nous savons cela. Mais la sécurité sanitaire mondiale est-elle jamais prise au sérieux au niveau local ou international jusqu’à ce que la maladie frappe ? Et les attaques officielles qui ne sapent pas l’intégrité des médias et la confiance nécessaire dans les informations officielles, comme au Brésil ou aux États-Unis, ne contribuent-elles pas également à la mauvaise gouvernance ?

Puisque nous discutons de ce qui a mal tourné, pourquoi ne nous sentons pas de plus en plus inquiets de la question dont nous avons été avertis et à laquelle nous ne nous attaquons pas, comme le changement climatique ? Si nous échouons, nos petits-enfants et arrière-petits-enfants devront vivre avec des changements incessants similaires au choc que nous avons reçu de la pandémie, et leur colère contre de nombreux gouvernements à une échelle au-delà de Beyrouth sera justifiée. Nous ne pourrons pas leur dire que nous n’avons pas été avertis.

La bonne gouvernance va de pair avec la meilleure politique méritée au Liban et ailleurs, ce qui aurait pu aider Beyrouth hier, ainsi que de nombreux autres pays aujourd’hui et demain. Nous devons nous joindre à eux et le crier sur les toits.

Alistair Burt est un ancien député britannique qui a occupé à deux reprises des postes ministériels au ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth - en tant que sous-secrétaire d'État parlementaire de 2010 à 2013 et en tant que ministre d'État pour le Moyen-Orient de 2017 à 2019. Twitter : @AlistairBurtUK

NDLR: Les opinions exprimées dans la présente publication sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.