Les dirigeants du Liban sont responsables de l’exacerbation de la crise

(Fathi Al-Masri/AFP)
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Publié le Lundi 23 novembre 2020

Les dirigeants du Liban sont responsables de l’exacerbation de la crise

Les dirigeants du Liban sont responsables de l’exacerbation de la crise
  • Les importateurs de matériel médical font faillite et il est difficile de trouver des médicaments vitaux à un moment où s’installe une crise sanitaire
  • Durant plus d’une décennie, ce mirage a été étayé par des visites rituelles d'hommes politiques libanais à des pays voisins plus riches, dont l'aide financière est venue sans conditions

Il fut un temps où les « Zouama », ou leaders politiques et confessionnels du Liban, dominaient leurs communautés respectives.

Leur rôle dans l'accès aux opportunités, aux équipements et aux provisions de base était essentiel au soutien qu’ils recevaient. Ils étaient libres de faire de la politique à Beyrouth, devenant ainsi milliardaires, tandis que leurs partisans s’impliquaient dans les défis de développement qui font partie de toute économie émergente.

En 2019, les choses ont changé. Le peuple libanais est descendu dans la rue pour exprimer son opposition à la détérioration de sa situation. Le gouvernement n’ayant réalisé que des changements superficiels, la livre libanaise s’est effondrée, et juste au moment où de nombreuses personnes croyaient que l’ancienne « Suisse du Moyen-Orient » était au bord du gouffre, la pandémie mondiale est venue à bout du pays. Pendant ce temps, les élites décadentes assistaient au spectacle à partir leurs résidences secondaires à la montagne.

La classe moyenne habitait auparavant dans des appartements de luxe et était entourée de travailleurs domestiques étrangers, bénéficiant d’un niveau de vie presque européen. Aujourd’hui, les voilà qui troquent nourriture et appareils électroménagers.

Le développement artificiel de l’économie libanaise après la guerre civile est désormais dans l’impasse. La livre libanaise est tombée à un sixième de sa valeur initiale, ce qui a aggravé les problèmes auxquels fait face la classe laborieuse dont les économies modestes ne valent plus qu’une somme dérisoire.

Les cliniques étant fermées car les médecins ne perçoivent plus d’honoraires, les importateurs de matériel médical font faillite et il est difficile de trouver des médicaments vitaux à un moment où s’installe une crise sanitaire. Pour ceux qui ont encore un emploi et qui sont rémunérés, la moindre opération représente plus d’un mois de salaire. Le coût des produits alimentaires de base est presque aussi écrasant. Avec une inflation hors de contrôle et une famine probable à l'horizon, le citoyen libanais moyen s’attend à des temps encore plus difficiles.

La situation actuelle a complètement détruit les perspectives de progrès annoncées par l’Accord de Taëf qui a mis fin à la guerre civile acharnée en 1990. Au silence des armes a succédé un essor de construction qui a donné une impression de confiance et de renaissance de l’État. Alors que des hôtels fastueux s’apprêtaient à accueillir les touristes en provenance du Golfe – qui arrivent maintenant au compte-gouttes et qui ne représentent qu'une fraction de leur ancien nombre –, la situation du logement dans le pays s'est aggravée. Le gouvernement boursoufflé n'a pas réussi à loger sa petite population, les prix de l'immobilier ont grimpé tandis que les salaires réels n'ont augmenté que modestement.

Alors que les jeunes libanais luttaient pour trouver un logement et un métier stables dans le nouveau Liban, les dirigeants politiques profitaient des opportunités les plus lucratives du pays tout en menant leur peuple vers une situation économique de plus en plus précaire. La corruption est devenue le seul moyen de graisser cet État dysfonctionnel et complexe et le Liban se place désormais au 137ème rang de l’indice de perception de la corruption de Transparency International.

La solution à cette bulle éphémère de prospérité était typiquement intéressée. Les banques, propriété de l’élite libanaise, ont accumulé des dettes uniquement pour vendre efficacement cette dette à l’État. Un niveau fantaisiste d'ancrage du dollar sur la devise a exacerbé une situation dans laquelle les banques versaient jusqu'à 10% d'intérêts sur les dépôts, pour ensuite prêter leur propre capital à la Banque centrale à des taux encore plus élevés. Le petit Liban fait désormais partie des pays qui se caractérisent par une surcapacité bancaire et, sans surprise, l'une des dettes souveraines les plus élevées au monde. Durant plus d’une décennie, ce mirage a été étayé par des visites rituelles d'hommes politiques libanais à des pays voisins plus riches, dont l'aide financière est venue sans conditions telles que la réforme du système bancaire ou le démantèlement de la coterie en charge du pays.

Cependant, ce système a déraillé en octobre 2019. Les dollars ont disparu et, face à un énorme déséquilibre commercial, les vêtements importés, les denrées alimentaires de base et le carburant sont devenus chers au point d'être hors de portée pour la plupart des habitants. Bien que le mouvement « Vous puez » - réponse du peuple au népotisme qui a conduit à la non-collecte des déchets – n’ait pas incité les dirigeants libanais à agir, l’ampleur de la crise actuellement devrait certainement le faire.

Pas un jour ne s'est écoulé, depuis la fin de la guerre civile, sans que le Liban ne subisse de coupures d'électricité. L’Électricité du Liban reçoit au moins 1,5 milliard de dollars de soutien financier de la part du gouvernement, mais les pannes d'électricité sont la norme plutôt que l'exception. Les Libanais innovants ont contourné l'incapacité de leur gouvernement à fournir une alimentation fiable en payant des sommes exorbitantes pour l'électricité d'un réseau de générateurs de quartier privés - aujourd'hui, même des poignées de billets ne suffisent pas pour maintenir les lumières allumées.

Évidemment, ces graves problèmes de survie ne correspondent pas à un peuple dont l'ingéniosité et l’assiduité sont légendaires. Le système confessionnel prédispose les citoyens au libre-service, et le statu quo post-Taëf s'est révélé vain. Tout au long de la pandémie, les dirigeants libanais ont une fois de plus prouvé leur déficience en n’ayant pas réussi à fournir des services publics de manière adéquate.

Le peuple libanais, bien que résilient, est fatigué. Près de 30 ans après la fin de la guerre civile, il mérite mieux. Il y a beaucoup trop de millionnaires dans le gouvernement libanais qui règnent sur des familles pour lesquelles la viande et les couches sont devenues des produits de luxe.

 

Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et un conseiller privé entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe. Twitter : @Moulay_Zaid

L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.