Pourquoi le « gouvernement d’union nationale » de Macron serait une déception pour les Libanais

Conférence de presse du Président de la république française Emmanuel Macron depuis Beyrouth, le 6 août 2020. (Thibault Camus / Pool / afp)
Conférence de presse du Président de la république française Emmanuel Macron depuis Beyrouth, le 6 août 2020. (Thibault Camus / Pool / afp)
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Publié le Samedi 15 août 2020

Pourquoi le « gouvernement d’union nationale » de Macron serait une déception pour les Libanais

Pourquoi le « gouvernement d’union nationale » de Macron serait une déception pour les Libanais
  • Emmanuel Macron parle de remettre dans le jeu des dirigeants qui ne représentent plus les Libanais. Les Libanais veulent se débarrasser de la classe politique dans son ensemble
  • Les Libanais ne devraient pas accepter la médiocrité en échange d'une stabilité fausse et momentanée

Le président français Emmanuel Macron a lancé la semaine dernière une offensive de charme au Liban. Au lendemain de l'explosion dévastatrice de Beyrouth, il s'est rendu dans la capitale pour s'adresser au peuple libanais, lui manifestant son soutien et sermonnant l’élite politique comme de petits écoliers qui n’auraient pas fait leurs devoirs.

Des dizaines de milliers de Libanais désespérés ont même été jusqu’à signer une pétition demandant le retour du mandat français. Macron s'est rendu dans le quartier de Gemmayzé à la rencontre des gens, alors que le président et le Premier ministre n’ont pas osé affronter la colère populaire. Ils ont à la place seulement été capables de s’adresser à leur peuple à travers des discours stéréotypés et préenregistrés.

Le président français a promis au peuple libanais le changement et a déclaré qu’il reviendrait au début du mois de septembre, et que si les réformes n’avaient pas alors été mises en place, il se chargerait du problème. Il a multiplié les expressions dans l’air du temps comme le « nouveau contrat politique », « changement politique » ou « gouvernement d’union nationale ». A son départ du pays, il a tweeté : « Liban, je t’aime » en arabe. Quel changement peut-il en réalité apporter ? Comment envisage-t-il exactement de provoquer un changement politique ?

Quel sens donner à la déclaration d’amour de Macron ?

La déclaration d'amour de Macron a déçu beaucoup de gens, qui ont considéré qu’il conférait ainsi une légitimité au Hezbollah. Emmanuel Macron a contacté le président américain Donald Trump et l'a exhorté à assouplir les sanctions contre le Hezbollah, estimant qu’elles étaient contre-productives. Ce qui se dit au Liban est que l’objectif du président français est d’intégrer Saad Hariri dans un gouvernement d’union nationale, pour obtenir des concessions de la part du Hezbollah. Macron parle de remettre dans le jeu des dirigeants qui ne représentent plus les Libanais. Les Libanais veulent se débarrasser de la classe politique dans son ensemble, ils l’ont exprimé on ne peut plus clairement quand ils se sont rassemblés au centre-ville de Beyrouth et ont suspendu des effigies de ces dirigeants à des potences symboliques.

Le sous-secrétaire d’Etat américain pour les Affaires politiques, David Hale, s’est rendu jeudi au Liban pour discuter de la situation. Hale, qui était auparavant connu pour ses positions conciliantes envers le Liban, transmettra vraisemblablement un message dur aux dirigeants libanais. Il est peu probable que les efforts de Macron influent sur la politique américaine. Les membres du Congrès sont mécontents de ce qui s'est passé. Les sénateurs démocrates Chris Murphy et Jeanne Shaheen, qui sont tous deux membres de la Commission des affaires étrangères au Sénat, ont publié une déclaration appelant à un engagement américain plus poussé au Liban dans le but d’œuvrer aux changements nécessaires dans le pays.

Quand il a rencontré les Libanais à Gemmayé, Macron leur a rappelé que les Français avaient auparavant effectué leur propre révolution. Mais le Liban d’aujourd’hui est très différent de la France de 1789. Alors qu'en France c'était la bourgeoisie et le peuple qui étaient opposés au roi et à une aristocratie affaiblie, le Liban instable est victime de milices opérant à l’intérieur du pays, tout en étant soutenues par l'étranger.

De nouvelles élections qui seraient tronquées

Le président français a aussi expliqué qu’une nouvelle élection serait un moyen de susciter le changement, mais la loi électorale est ainsi faite au Liban qu’elle est élaborée et taillée pour permettre à l’élite politique de se maintenir au pouvoir. Faisant écho à la proposition de Macron, Samir Geagea, chef du parti des Forces libanaises, suggère des élections anticipées se basant sur l’actuelle loi électorale. Si le Liban empruntait cette voie, nous nous retrouverions dans une situation similaire à celle qui prévalait en 2005. Après la mort de Rafik Hariri, les manifestants étaient massivement descendus dans les rues. Choqués par son assassinat, la majorité des Libanais ont voté pour l’Alliance du 14 mars, menée par le fils de l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, mais peu de choses ont changé : les corrompus sont restés au pouvoir, et le 7 mai 2008, le Hezbollah a utilisé ses armes pour intimider ses opposants. Par la suite, il a également été en mesure de participer à un gouvernement d’unité nationale, puis d’être majoritaire au gouvernement avec ses alliés.  Il a ainsi pu contrôler le pays.

Au lendemain de sa visite à Beyrouth, Macron a réuni quinze dirigeants internationaux, dont Donald Trump, pour offrir une aide immédiate au Liban. Cependant, les 253 millions d’euros de promesses de dons ne permettront probablement pas au pays de résoudre ses problèmes financiers et économiques. Macron a également exigé une enquête internationale indépendante sur l'explosion, un appel repris par le chef de l'ONU Antonio Guterres. Mais le président libanais Michel Aoun a rejeté l’idée d’une enquête internationale, affirmant que cela constituerait une violation de la « souveraineté » du pays.

Dans une tentative de dissiper la colère populaire, le gouvernement fantoche de Hassan Diab a démissionné. Cependant, rien n'a changé et rien ne changera, même avec un gouvernement nouvellement élu, car le système a été créé pour faire prospérer l'élite politique, et ne pas exprimer la vraie volonté du peuple. Contrairement à 2005, le peuple libanais ne devrait être dupe d’aucune manœuvre politique. Il ne devrait pas accepter la médiocrité en échange d’une stabilité fausse et momentanée, à laquelle Emmanuel Macron a fait allusion en appelant à un « gouvernement d’union nationale ».

Les Libanais doivent prendre leur destin en main

La communauté internationale - et en particulier les États-Unis - si elle veut aider le Liban doit tout faire pour qu’une enquête internationale ait lieu. Elle peut agir, car dans l’explosion, des citoyens français, américains et néerlandais ont été blessés ou ont perdu la vie. Une telle enquête incriminerait toute l'élite politique. Elle incriminerait également le Hezbollah, car il se dit de plus en plus que le groupe entrepose illégalement des munitions dans le port, une installation civile se trouvant à proximité d’écoles, d’hôpitaux, d’églises et de mosquées.

Pour les Etats-Unis, la priorité paraît être le Hezbollah, et la principale opportunité pour eux pourrait être le sentiment anti-Hezbollah qui augmente actuellement dans le pays et sur lequel ils peuvent capitaliser, mais pour les Libanais, la situation actuelle dépasse le problème du Hezbollah : elle est le résultat d’une corruption institutionnelle généralisée. La corruption est à ce point endémique que les gens parlent déjà d’un détournement de l'aide offerte au Liban par le Koweït.

Par conséquent, le principal moteur du changement devrait être les Libanais eux-mêmes. Ce pourrait être là le seul moyen de provoquer des réformes structurelles. Ils devraient cesser d’attendre ou de compter sur une aide extérieure pour changer la réalité dans laquelle ils vivent. Ils doivent prendre leur propre destin en main : ils doivent jouer le tout pour le tout. Ils devraient tenir bon et continuer à descendre dans les rues jusqu'à ce que tout le régime corrompu disparaisse : « Killun yaani killun » (Tous, cela veut dire tous).

• Dr. Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes, spécialisée dans le lobbying. Elle est titulaire d'un doctorat en politique de l'Université d'Exeter. Elle est chercheuse affiliée à l'Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l'Université américaine de Beyrouth.