Qui doit être tenu responsable du chaos au Liban?

"Si ce désastre ne débarrasse pas le peuple libanais, assiégé, de sa classe de dirigeants semeurs de chaos, rien ne le fera" (Photo, Patrick BAZ/AFP)
"Si ce désastre ne débarrasse pas le peuple libanais, assiégé, de sa classe de dirigeants semeurs de chaos, rien ne le fera" (Photo, Patrick BAZ/AFP)
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Publié le Vendredi 07 août 2020

Qui doit être tenu responsable du chaos au Liban?

Qui doit être tenu responsable du chaos au Liban?
  • Si un groupe devrait être tenu pour responsable du chaos dans ce qui fut un jour «la Suisse du Moyen-Orient», c’est bien le Hezbollah soutenu par l’Iran
  • La douloureuse réalité est que personne ne s’attend à ce que les responsables de cet acte de négligence criminelle n’aient à rendre des comptes un jour

Les explosions qui ont dévasté Beyrouth ont montré au monde la face, certes laide mais vraie, du Liban. L’illusion d’un Etat fonctionnel a volé en éclats, comme les milliers de fenêtres soufflées par l’onde de choc de l’explosion. Si le pays a donné pendant des années l’impression qu’il fonctionnait bien, ce n’était qu’un simulacre qui ne faisait que masquer un profond échec institutionnel. 
Il ne faut pas se voiler la face. La douloureuse réalité est que personne ne s’attend à ce que les responsables de cet acte de négligence criminelle n’aient à rendre des comptes un jour. Cela fait bien longtemps au Liban qu’aucun responsable politique ne rend plus aucun compte.
Il n’est pas vraiment surprenant que de nombreux Libanais aient exprimé le souhait d’un retour du Mandat français. Quel Libanais sur la planète ne rêve pas de ce lointain rêve de liberté, d’égalité et de fraternité, la devise de la République française? Après tout, qui ne voudrait pas se débarrasser de l’oppression armée du Hezbollah et de sa prise en otage du pays tout entier? Pendant combien de temps le Liban restera-t-il un club d’hommes riches où seuls les nantis peuvent se permettre de s’offrir des services de base comme l’électricité 24 heures par jour, sept jours sur sept? Jusqu’à quand la classe politique corrompue où règne le « chacun pour soi » continuera t-elle à diriger le pays, alors qu’elle ne sert que ses propres intérêts? 
Même avant ce désastre, le Liban était au bord de du gouffre, souffrant à la fois de corruption, d’une seconde vague de coronavirus, d’oppression milicienne, d’importantes protestations ainsi que des sanctions qui visent la Syrie et le Hezbollah. Selon Steve H. Hanke, professeur d’économie appliquée à la John Hopkins University, le Liban a le triste honneur d’être le premier pays de la région à souffrir d’hyperinflation – un taux d’inflation mensuel d’au moins 50% pendant trente jours consécutifs. 
La question qui se pose évidemment est : qui devrait-être tenu responsable ? Le Premier Ministre Hassan Diab et son gouvernement sont injustement conspués par le peuple et les médias. Ce n’est pas pour autant qu’ils font du bon travail, ou qu’ils devraient être mis hors de cause pour avoir assumé cette responsabilité, alors que leurs actions sont entravées par la présence du Hezbollah. Si un groupe devrait être tenu pour responsable du chaos dans ce qui fut un jour « la Suisse du Moyen-Orient », c’est bien le Hezbollah soutenu par l’Iran.
Pendant trop longtemps, ces semeurs de chaos ont détourné les opportunités du Liban, ses rêves et ses ambitions. Ce sont eux les maîtres du jeu. Ils décident unilatéralement de mener le pays à la guerre, ou de s’impliquer dans les affaires d’autres pays arabes. Ils ont eu l’occasion à de nombreuses reprises de rendre leurs armes (qui étaient de toute façon inutiles depuis le retrait d’Israël du Liban en 2000) et de s’en tenir à une politique pacifique. Au lieu de cela, ils sont accusés de l’assassinat en 2005 de l’ancien Premier ministre Rafiq Hariri, d’une guerre non nécessaire en 2006 et d’une mainmise sur Beyrouth en 2008, qui aurait pu directement se terminer, mais qui continue toujours de manière indirecte aujourd’hui. 
Le Hezbollah a soutenu Bachar el-Assad quand il a massacré son propre peuple, il a soutenu les milices houthies au Yémen lorsqu’elles ont attaqué des civils saoudiens et il est aujourd’hui en train de tuer à petit feu tout espoir de survie pour le Liban. De nombreux pays arabes et occidentaux ont proposé leur aide cette semaine, mais la vérité est que cette aide sera limitée tant que le Hezbollah continuera de dicter sa loi. Personne ne veut faire des affaires avec des agents de l’Iran ou contribuer à la fortune d’une élite politique corrompue. De façon judicieuse, quand un manifestant dans les rues de Beyrouth a exhorté jeudi Emmanuel Macron à ne pas donner d’argent aux politiciens, le président français a répondu qu’il était là pour aider uniquement le peuple libanais. 
Qu’est-il alors possible de faire ? D’un point de vue réaliste, très peu de choses peuvent être faites par le peuple libanais lui-même. Les Libanais pourraient manifester pendant des années sans pour autant briser l’emprise malveillante du Hezbollah, ni mettre fin à des décennies de gouvernance incompétente et corrompue. Le Hezbollah, à la racine de ce cancer, doit être isolé, ciblé et retiré. Le verdict imminent du tribunal sur l’assassinat de Hariri pourrait enclencher ce processus, suivi d’un « Plan Marshall » international pour le Liban, à condition que soit éradiqué ce groupe terroriste. 
Terminons cependant sur une note positive. Si ce désastre ne débarrasse pas le peuple libanais, assiégé, de sa classe de dirigeants semeurs de chaos, rien ne le fera. Le flot des aides affluant déjà de pays comme la France, l’Arabie Saoudite et ou des Emirats arabes unis prouve que les amis du Liban ne l’ont pas abandonné. Les Libanais eux non plus ne doivent pas l’abandonner. 
Faisal J. Abbas est rédacteur en chef d'Arab News.
Twitter: @FaisalJAbbas

L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français

Ce texte est la traduction d'un article paru sur ArabNews.com