PARIS : Malgré les craintes d'une moindre « sérénité » des débats ou d'une dérive vers de la « téléréalité », l'Assemblée nationale a voté mercredi en faveur de l'enregistrement et de la diffusion des procès, une des mesures phares du projet de « confiance » dans la justice.
Les députés se sont prononcés par 92 voix contre 15, et 16 abstentions, en faveur de cet article 1er du projet de loi d'Eric Dupond-Moretti, qui prévoit « l'enregistrement sonore ou audiovisuel »des audiences en vue de leur diffusion, « pour un motif d'intérêt public » une fois le dossier définitivement jugé. Ce dispositif sera inscrit au sein de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
« Je veux que les Français voient comment on juge », a martelé le ministre et ancien avocat vedette, qui s'est référé aux réalisations passées de Raymond Depardon ou Daniel Karlin. La diffusion sera accompagnée d'explications pédagogiques.
L'interdiction de filmer les audiences prévaut depuis la couverture sensationnaliste du procès aux assises de Gaston Dominici en 1954. Des exceptions existent cependant, notamment au nom du devoir de mémoire, pour la constitution d'archives historiques de la justice. Ce nouveau « motif d'intérêt public » va donc s'ajouter aux exceptions.
L'idée du ministère de la Justice est celle d'un programme télévisé régulier, « thématique par thématique » avec des décryptages de professionnels.
Ce ne seront « pas forcément les grands procès » qui seront filmés, avait insisté mardi soir M. Dupond-Moretti, évoquant des divorces, des affaires civiles ou commerciales « dans les territoires ». Et de préciser : « La Chancellerie proposera, les chefs de juridiction décideront » et un cahier des charges devra être respecté lors du tournage, qui « ne coûtera rien » au ministère.
Il souhaite que le service public ait en charge la diffusion.
Mais de nombreux députés de droite comme de gauche ont dit leurs « plus grandes réserves » sur la mesure, redoutant une perte de « spontanéité » lors des audiences, une course à l'audimat ou une « justice spectacle ».
« Le "trash", c'est ce qui se passe aujourd'hui », a rétorqué M. Dupond-Moretti, évoquant des émissions regardées lors d' « insomnies ». « On va enfin parler sérieusement de la justice », a-t-il fait valoir, rejetant le besoin d'une expérimentation.
Selon le ministre, « nous avons pris toutes les précautions » sur « le droit à l'image, l'anonymisation » et encore le « droit à l'oubli ». Le président de l’audience pourra aussi, à tout moment, suspendre ou arrêter l’enregistrement.
Sébastien Chenu (RN) s'est soucié du « traitement équitable des parties ».
Par amendement, le gouvernement a fait élargir l'enregistrement aux auditions et interrogatoires par le juge d'instruction. Cela « ouvre » encore davantage « le champ des risques de dérives », s'est inquiété Pascal Brindeau (UDI).
Philippe Gosselin (LR) a raillé « l'optimisme presque béat » du ministre. L'insoumis Ugo Bernalicis a imaginé M. Dupond-Moretti en « présentateur »: « c'est peut-être un plan de carrière ».