Le cessez-le-feu n'est pas synonyme de cessation des combats

Des colonnes de fumée et de flammes à Gaza lors d'attaques aériennes israéliennes, le 12 mai 2021. (Reuters)
Des colonnes de fumée et de flammes à Gaza lors d'attaques aériennes israéliennes, le 12 mai 2021. (Reuters)
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Publié le Samedi 22 mai 2021

Le cessez-le-feu n'est pas synonyme de cessation des combats

Le cessez-le-feu n'est pas synonyme de cessation des combats
  • Un cessez-le-feu ou une paix durable ne sont pas envisageables tant que Palestiniens et Israéliens ne concluront pas un accord définitif
  • Les Israéliens ressentent aujourd'hui une insécurité plus prononcée que jamais, depuis que le Hamas a réussi à percer le Dôme de fer avec ses roquettes

Un cessez-le-feu a été conclu entre le Hamas et Israël sous l'égide de l'Égypte. Le président américain Joe Biden félicite son administration pour ses efforts de « diplomatie discrète et implacable » qui ont permis de parvenir à cet accord. Le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, exhorte les deux parties à relancer les négociations de paix et appelle à envoyer de l'aide humanitaire à Gaza.

Sur cette toile de fond, la trêve n'est pas synonyme de rupture des atrocités. Elle ne fait que fermer un chapitre dans ce conflit de longue haleine. En effet, un cessez-le-feu ou une paix durable ne sont pas envisageables tant que Palestiniens et Israéliens ne concluront pas un accord définitif ; et, seul Israël est en mesure de concrétiser un tel accord.

Si les médias occidentaux ont présenté les 11 jours de bombardements sous la forme d'affrontements entre Israël et le Hamas, la réalité est bien plus complexe que cela. Elle concerne un peuple lassé d'être occupé, humilié et privé de ses droits les plus fondamentaux. Cette situation est désormais intenable et les politiques d'Israël ont consolidé le statu quo, si bien que la solution des deux États s'est évaporée du discours politique.

Les Israéliens ressentent aujourd'hui une insécurité plus prononcée que jamais, depuis que le Hamas a réussi à percer le Dôme de fer avec ses roquettes et qu'il s’est équipé d’un arsenal de drones.

Cependant, pour éliminer le Hamas, il ne faut pas bombarder Gaza. Bien au contraire, cela ralliera les Gazaouis au Hamas. Pour vaincre le Hamas, il convient de tarir son incubateur social, ce qui ne peut être réalisé qu’à travers une solution définitive et juste, susceptible de garantir aux Palestiniens sécurité et dignité.

Israël a encouragé les Palestiniens à se ranger du côté du Hamas lorsqu'il a démantelé l'OLP et montré que celle-ci était incapable de livrer la promesse d'un État pour les Palestiniens. Les cycles de négociations qui se sont succédé pendant plus de 30 ans ne se sont traduits que par de nouveaux vols de terres et de nouvelles implantations. Les expulsions à Sheikh Jarrah ont été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.

En effet, la politique d'Israël consiste à amadouer les Palestiniens au moyen d'arrangements provisoires, dans l'espoir qu’ils renonceront un jour à la demande jugée excessive par Israël, en l'occurrence, la création d'un État palestinien. Cependant, ceci ne peut arriver. Les Palestiniens n'accepteront pas l'occupation et  ne quitteront pas leurs terres. Leur identité en tant que Palestiniens est profondément enracinée dans leur conscience nationale.

La politique actuelle d'Israël ne renforcera pas la sécurité dans le pays ; elle la rendra plutôt encore plus vulnérable. En entretenant le motif de mécontentement des Palestiniens, Tel Aviv ne fait que contenir les affrontements pour un court moment. Entre-temps, la colère du peuple couve.

Par ailleurs, Israël favorise, de facto, la solution d'un seul État. Ainsi, il perdra certes ce que souhaitent les Israéliens, à savoir faire d'Israël un État juif. Voilà le nœud du problème. Toutefois, aucun dirigeant israélien ne peut affronter la réalité et parler sans détour à son électorat. Chaque politicien se soucie de sa survie sur le plan politique. Chaque politicien craint que la solution à deux États et la levée de l'occupation ne représentent un suicide politique. À l'heure actuelle, les politiciens israéliens se plient aux exigences des colons et préfèrent surfer sur une vague populiste plutôt que de prendre des décisions raisonnables.

Si les bombardements se taisent aujourd'hui, les manifestations cesseront-elles ? Les tensions entre les Israéliens juifs et les Palestiniens vivant en Israël se dissiperont-elles ? Cette hypothèse est peu probable. Les combats de ces derniers jours ont marqué de leurs blessures les corps des habitants de Gaza et d'Israël, mais aussi le cœur des personnes qui ont survécu aux affrontements des deux côtés. La méfiance est devenue plus marquée et l'amertume et l'insécurité sont plus tenaces qu'elles ne l'ont jamais été.

Dans un contexte où les dirigeants du monde exhortent les deux parties à relancer les pourparlers de paix, les négociations risquent de ne donner aucun résultat, comme cela a été le cas au cours des 30 dernières années.

Il incombe donc à Israël de présenter une solution définitive. Seul Israël peut proposer cette solution. Les États-Unis ont fait des tentatives à plusieurs reprises sans succès. Barack Obama a tenté d'apporter une solution mais n'a pas tardé à reculer devant l'agressivité du leader israélien Benjamin Nétanyahou. Vice-président d'Obama à l'époque, Biden était conscient des difficultés que pose une implication dans le conflit israélo-palestinien. De ce fait, il n'a pas cherché à résoudre le conflit mais, au mieux, à le contenir. Les Arabes ont mis en avant l'initiative de paix arabe voici 19 ans, une initiative qui s'est heurtée au refus d'Ariel Sharon, en dépit du soutien international dont elle bénéficiait. Les Israéliens sont tenus de comprendre qu'ils doivent consentir à une solution juste, basée sur les résolutions des Nations unies. Ce sont eux les occupants.

De toute évidence, les longues décennies d'oppression n'ont en rien affaibli les Palestiniens (et leurs partisans) ni ne les ont épuisés

Dr. Dania Koleilat Khatib

Israël doit envisager la situation dans une perspective à long terme, bien au-delà des affrontements en cours. Il doit voir comment mettre un terme au conflit pour que ses enfants grandissent eux aussi dans la paix. De toute évidence, les longues décennies d'oppression n'ont en rien affaibli les Palestiniens (et leurs partisans) ni ne les ont épuisés. Bien au contraire, elles ont renforcé leur détermination. Même si cette proposition (mettre un terme au conflit) semble être un suicide politique, le politicien israélien qui s'engage dans cette voie obtiendra un soutien mondial. Fort de cette approbation internationale, il pourra construire une base populaire dans son pays.

Les derniers affrontements ont également montré que la Palestine continue d’être une cause qui touche le cœur de tous les Arabes et de tous les Musulmans, et que chaque cycle d'affrontements ne touchera pas que la Palestine et Israël, mais entraînera des tensions accrues et inutiles pour notre région instable. Ces affrontements devraient tirer la sonnette d'alarme auprès des Israéliens et inciter leurs politiciens à affronter la réalité avant qu'il ne soit trop tard.

 

Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Farès pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’Université Américaine de Beyrouth (AUB).

 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.