L’est de la Méditerranée, un autre irritant dans les relations turco-américaines

Le président américain Donald Trump et le président turc Recep Tayyip Erdogan au sommet de l’Otan à Bruxelles, Belgique, le 11 juillet 2018 (Photo, Reuters).
Le président américain Donald Trump et le président turc Recep Tayyip Erdogan au sommet de l’Otan à Bruxelles, Belgique, le 11 juillet 2018 (Photo, Reuters).
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Publié le Vendredi 12 février 2021

L’est de la Méditerranée, un autre irritant dans les relations turco-américaines

L’est de la Méditerranée, un autre irritant dans les relations turco-américaines
  • Les récentes activités des États-Unis en Grèce ont contrarié Ankara (…) et les Américains sont restés neutres concernant les litiges sur l’est de la Méditerranée
  • En décidant d’activer ses bases militaires à Alexandroupoli, à trente kilomètres des frontières avec la Turquie, Washington envisagerait de déplacer ses bases de la Turquie vers la Grèce, étant donnée sa proximité de la Russie

Les divergences d’opinion sur le conflit syrien, y compris le soutien du groupe terroriste PKK/YPG par les Américains et l’achat par la Turquie des missiles russes antiaériens S-400 ne sont pas les uniques raisons de la détérioration des relations entre Washington et Ankara. La situation volatile au l’est de la Méditerranée arrive petit à petit sur le devant de la scène. 
S’ajoutent au malaise mutuel deux développements récents : la décision du Pentagone d’activer des bases militaires au port d’Alexandroupoli au nord de la Grèce, en pleines tensions maritimes, ainsi que l’échange de représailles entre Washington et Ankara au sujet de la visite des dirigeants du Hamas récemment dans la capitale turque. 
Ces dernières années, les États-Unis et la Grèce ont forgé des liens étroits aux niveaux politique, économique et militaire. En décidant d’activer ses bases militaires à Alexandroupoli, à trente kilomètres des frontières avec la Turquie, Washington envisagerait de déplacer ses bases de la Turquie vers la Grèce, étant donnée sa proximité de la Russie. Telle est l’interprétation des observateurs qui suivent de près les relations entre Ankara et Washington. 
En outre, il est peu probable que les deux pays règlent bientôt les questions épineuses qui les divisent actuellement. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’est entretenu mercredi avec son homologue américain, Donald Trump. Ils ont surtout discuté de la situation à l’est de la Méditerranée, qui témoigne des désaccords entre la Turquie et la Grèce sur l’exploitation du gaz et du pétrole. Selon la direction turque des communications, Erdogan a rappelé à Trump qu’Ankara n’était pas responsable de l’instabilité dans la région. 
Les récentes activités des États-Unis en Grèce ont certainement contrarié Ankara. Historiquement, Washington a pris les devants, en encourageant ses deux alliés à résoudre leurs désaccords par des moyens pacifiques, évitant ainsi de voir l’Otan tiraillé par des disputes locales. Les Américains sont restés neutres concernant les litiges sur l’est de la Méditerranée qui a des frontières communes avec plus d’une zone de conflit.   
Cependant, l’attitude des États-Unis semble avoir changé avec la tension grandissante entre la Turquie et la Grèce. Estimant que leurs intérêts vitaux sont en jeu, les liens entre les deux pays sont de plus en plus conflictuels. 
C’est surtout l’acquisition par la Turquie du système antiaérien S-40 de la Russie, ainsi que ses relations plus étroites avec cette dernière en général, qui ont mis à l’épreuve les relations entre Ankara et Washington. Laquelle n’a pas cessé de soutenir des groupes syriens considérés comme terroristes par la Turquie. 
La question est de savoir quel sera l’effet de l’activité américaine en Grèce sur la situation dans cette région ravagée par les conflits, alors que les forces militaires de la Turquie et de la Grèce sont en état d’alerte maximale, et que les deux pays ont déployé leurs vaisseaux de guerre pour s’assurer le contrôle de la Méditerranée. 
Sur cette toile de fond, on assiste à une guerre des mots entre Ankara et Washington, à la suite d’une visite en Turquie de la délégation palestinienne, le 22 août. La délégation a rencontré Erdogan, dont Ismaël Haniyeh, le dirigeant du Hamas. Ce n’est pas la première fois qu’Erdogan reçoit des dirigeants du Hamas. Une rencontre avait déjà eu lieu en février. 
Les États-Unis ont fait part leur objection à cette rencontre. Ils ont reçu une déclaration acerbe de la part du ministre turc des Affaires étrangère, le 25 août, soulignant qu’ « un pays qui ne cache pas son soutien au PKK, parti figurant sur la liste des organisations terroristes, et qui reçoit le meneur du Feto [le nom que le gouvernement turc donne au mouvement Gulen, considéré comme organisation terroriste], n’a aucun droit de critiquer d’autres pays à ce sujet. » De plus, il a exhorté les États-Unis à utiliser leur influence pour établir une « politique équilibrée » qui aiderait à résoudre le conflit israélo-palestinien, plutôt que de servir les intérêts d'Israël. 
En contrepartie, les relations entre la Turquie et Israël ne sont pas moins tendues. L’entretien entre Erdogan et les dirigeants du Hamas n’a pas aidé. D’après Roey Gilad, chargé d’affaires israélien à Ankara, son pays possède des preuves qu’Ankara a fourni des passeports à plusieurs membres du Hamas. Ces propos ont conduit les députés de l’opposition à exiger de soulever cette question au parlement turc. 
Historiquement, une attitude prudente à l’égard de la dispute sur l’est de la Méditerranée entre les Turcs et les Grecs/Grecs chypriotes, a été adoptée par Tel Aviv qui a évité de confronter ouvertement Ankara. Cependant, l’ambassade d’Israël à Athènes a publié une déclaration pour exprimer sa solidarité avec la Grèce et sa juridiction maritime. Cette initiative n’a fait que tendre encore les relations turco-israéliennes et exacerber les tensions dans la région. 

Alors que les relations de la Turquie avec les États-Unis et Israël passent par une période de tension, ses relations avec la Russie, quant à elles, ne cessent de s’améliorer. Elles représentent un cauchemar pour Washington.

Sinem Cengiz

Un accord a été signé entre Ankara et Moscou pour une deuxième livraison de S-400, comme l’a annoncé le 23 août l’exportateur d’armes russes Rosoboronexport. L’engagement croissant de la Turquie envers la Russie a porté Washington à exclure Ankara de son programme de chasseur de nouvelle génération F-35, et à la menacer de sanctions.  
Pourtant, les États-Unis ne sont pas prêts à couper leurs relations avec la Turquie, notamment sur le dossier syrien. L’envoyé spécial de Washington pour la Syrie, James Jeffrey, s’est rendu mercredi en Turquie, à la tête d’une délégation américaine, pour discuter des efforts récemment déployés afin de résoudre la crise dans le pays ravagé par la guerre. 
« Nous avons des développements passionnants sur le compte syrien », a déclaré Jeffrey aux journalistes à l’aéroport. Étant donné le peu de développements prometteurs en Libye et aux pays de l’Est de la Méditerranée, les initiatives positives en Syrie sont certainement utiles. La Turquie et les États-Unis y trouvent encore un terrain commun pour s’entendre et coopérer. 

Sinem Cengiz est analyste politique turque, spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient 
Twitter: @SinemCngz
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com