BERLIN: Réputée stable et prévisible, l'Allemagne s'avance vers une avenir totalement incertain à un mois d'élections à suspense qui tourneront la page de l'ère Merkel et pourraient sacrer les sociaux-démocrates.
Quelle que soit l'issue du scrutin, la première économie européenne se prépare à plusieurs mois turbulents de négociations compliquées pour former un nouveau gouvernement de coalition, avec une multitude d'options possibles faute pour un seul parti de clairement se démarquer.
Aucun des candidats à la succession de l'inoxydable chancelière, au pouvoir depuis 16 ans, ne semble convaincre les 62 millions d'Allemands appelés aux urnes le 26 septembre.
Si elle briguait à 67 ans un cinquième mandat, Mme Merkel, dont la popularité reste au zénith, aurait ainsi toutes les chances d'être réélue.
Mais voilà, elle a décidé de passer la main, sans pour autant préparer sa succession et en se contentant de soutenir du bout des lèvres son propre camp conservateur.
Armin Laschet, l'héritier mal aimé et maladroit
Souvent loué pour ses talents de rassembleur, le conservateur Armin Laschet se pose en successeur naturel d'Angela Merkel dont il partage la ligne centriste et pro-européenne. Mais il souffre d'une impopularité tenace amplifiée par ses multiples faux-pas.
A un mois du scrutin législatif qui marquera la fin des 16 ans de règne d'Angela Merkel, le courant ne passe décidément toujours pas entre cet homme d'apparence affable de 60 ans, le sourire timide et tout en rondeur, et la population.
Seul 12% des Allemands le choisirait comme chancelier, selon la dernière étude démoscopique Insa, du jamais vu avant un scrutin législatif pour un candidat de l'Union conservatrice, plus grande formation politique du pays.
Pire, ce désaveu se répercute sur l'ensemble de la droite.
Elle est descendue dans les intentions de vote au même niveau (un peu plus de 20%) que son partenaire au gouvernement, le parti social-démocrate et se trouve même dépassée dans un sondage.
«Armin le Turc»
Armin Laschet, qui dirige la Rhénanie du Nord-Westphalie, région la plus peuplée d'Allemagne, se présente comme un tenant de la politique de Merkel. Il entend maintenir le cap centriste et pro-européen, même si ses relations avec la chancelière se sont refroidies après des divergences sur la gestion de la pandémie.
Il fut l'un des rares à la soutenir après sa décision d'accueillir des centaines de milliers de migrants de Syrie ou d'Afghanistan en 2015.
Sa politique d'intégration quand il était ministre régional en 2005 lui avait déjà valu le surnom d'"Armin le Turc" au sein de la CDU.
Il naît le 18 février 1961 dans une famille modeste d'Aix-la-Chapelle. Mineur à l'origine, son père a réussi à se reconvertir dans l'enseignement.
Fervent catholique, il fut enfant de coeur. Après des études de droit, il travaille comme journaliste avant de se lancer dans la politique.
Souvent donné battu, ce père de trois enfants a souvent surpris par sa résistance.
Après avoir arraché la présidence de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) en janvier, il s'impose en avril comme le candidat de la droite à la chancellerie face à Markus Söder, le très populaire chef du petit parti frère bavarois CSU, au terme d'un bras de fer féroce.
«Excusez-moi jeune femme»
Il profite par la suite de bévues de la candidate écologiste Annalena Baerbock, un temps en tête des sondages, pour reprendre l'avantage. Armin Laschet présente un programme électoral vague mais rassurant, fidèle là aussi au crédo merkelien consistant à s'abstenir de toute expérimentation dans une campagne électorale.
Mais les inondations dans l'ouest de l'Allemagne à la mi-juillet, qui ont fait au moins 190 morts, dont une cinquantaine dans son Land, mettent à l'épreuve ses qualités de gestionnaire de crise.
Et un peu comme lors de la pandémie, celui qui aime à souligner son admiration pour l'empereur Charlemagne s'illustre par un manque de détermination conjuguée à une maladresse saisissante.
Interrogé par une journaliste à propos de mesures plus énergiques en matière de lutte contre le réchauffement du climat, considéré comme en partie responsable des crues, il réplique : "Excusez-moi jeune femme. Ce n'est pas parce que nous connaissons un tel jour qu'on doit changer de politique", récoltant une volée de bois verts sur les réseaux sociaux aussi bien pour son adresse condescendante que pour le contenu de la réponse.
Puis l'image d'un Armin Laschet hilare pendant qu'au premier plan, le chef de l'Etat Frank-Walter Steinmeier rend hommage aux victimes des crues dévastatrices provoque la stupéfaction. En visite par la suite sur les lieux des inondations, il est pris à parti par des sinistrés.
Viennent s'ajouter les soupçons de plagiat sur un livre écrit en 2009, où il reconnaît des erreurs.
A chaque fois il s'excuse, mais sa crédibilité est réduite à la portion congrue. Beaucoup doutent qu'il puisse inverser la tendance, mais lui ne s'avoue pas vaincu.
Lors d'une interview télévisée en juillet, il assure ne pas se préoccuper d'être régulièrement sous-estimé, avec cette mise cen garde au regard de son parcours en politique: "beaucoup se sont en tous les cas trompés".
«Méga-nul»
Le candidat de son parti chrétien-démocrate, la CDU, a toutes les peines à s'imposer.
Armin Laschet et les conservateurs sont même devancés par les sociaux-démocrates dans un sondage Forsa publié mardi, une première depuis 2006.
Avec 22% des intentions de vote, ils sont crédités de leur plus mauvais score depuis 1984. Aux élections de 2017, ils avaient récolté 33% des suffrages.
Impopulaire, M. Laschet l'est aussi en interne chez les conservateurs. Il ne s'est imposé qu'au forceps au printemps pour être candidat, face au dirigeant bavarois Markus Söder, que les Allemands continuent de lui préférer largement.
Dirigeant de la région allemande la plus peuplée, la Rhénanie du nord-Westphalie, M. Laschet, 60 ans, aurait pu pendant l'été peaufiner sa stature en se portant au chevet des victimes des terribles inondations qui ont frappé l'ouest de l'Allemagne et sa région en particulier.
Mais contrairement au social-démocrate Gerhard Schröder, parvenu à arracher un nouveau mandat en 2002 en faisant preuve d'empathie avec les victimes de crues estivales, M. Laschet a perdu des points.
Des images l'ont montré hilare durant un discours empreint de gravité du président allemand, Frank-Walter Steinmeier.
M. Laschet a aussi été pris à partie lors de visites de terrain par des sinistrés qui se plaignaient de la lenteur des aides publiques. L'un d'entre eux l'a traité de "méga-nul" qui paierait "l'addition aux élections".
«Plan simple»
Les conservateurs, au pouvoir depuis 16 ans, sont confrontés, selon M. Söder, à leur scrutin "le plus difficile depuis 1998", quand Helmut Kohl avait été battu par M. Schröder.
Les Verts allemands, un temps favoris au printemps après la désignation de leur cheffe de file, Annalena Baerbock, ne sont pas plus fringants.
Eux aussi voient leur cote s'effriter et pâtissent de la campagne difficile de leur candidate de 40 ans, cible favorite de "fake news".
La co-présidente des "Grünen" a commis des "erreurs" pour lesquelles elle a présenté des excuses, concernant des primes de son parti non déclarées à des soupçons de plagiat.
Les difficultés de MM. Laschet et Mme Baerbock font mathématiquement le jeu des sociaux-démocrates, auxquels les observateurs prêtaient il y a peu un destin similaire au Parti socialiste français, marginalisé.
Ministre des Finances et vice-chancelier du gouvernement Merkel, leur chef de file, Olaf Scholz, est peu charismatique. Mais cet élu expérimenté de 60 ans fait pour le moment un sans-faute.
M. Scholz a tiré profit de la pandémie en rompant avec la "doxa" budgétaire allemande et débloquant des centaines de milliards d'euros pour soutenir l'économie. Il est en passe de réussir un "plan simple", selon l'hebdomadaire Der Spiegel: être élu en étant celui qui "ressemble le plus à la chancelière".
Si les électeurs votaient directement pour le chancelier, M. Scholz, héraut de la tendance centriste du parti, arriverait largement en tête avec 41%, loin devant M. Laschet (16%) et Mme Baerbock (12%), selon une enquête pour la chaîne publique ARD.
Mais ce sont les membres du Bundestag qui éliront le chef du gouvernement après le scrutin, à l'issue des négociations de coalition qui s'annoncent complexes. Celles qui avaient suivi le scrutin de 2017 avaient déjà duré des mois avant de parvenir à un accord.







