Le réchauffement des relations entre l'Iran et les talibans aura des conséquences pour la région

Mohammad Javad Zarif, alors ministre iranien des Affaires étrangères, à droite, avec le mollah Abdelghani Baradar des talibans, Téhéran, 31 janvier 2021. (Photo, AFP)
Mohammad Javad Zarif, alors ministre iranien des Affaires étrangères, à droite, avec le mollah Abdelghani Baradar des talibans, Téhéran, 31 janvier 2021. (Photo, AFP)
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Publié le Mardi 21 septembre 2021

Le réchauffement des relations entre l'Iran et les talibans aura des conséquences pour la région

Le réchauffement des relations entre l'Iran et les talibans aura des conséquences pour la région
  • L'Iran a passé une décennie à se préparer à une éventuelle prise de pouvoir par les talibans et les ennemis d'autrefois ont étroitement collaboré
  • Le développement d'un front CGRI-talibans est l'une des nombreuses évolutions inattendues découlant de l'échec de l'Amérique en Afghanistan

Par une chaude journée d'août 1998, les talibans ont conquis Mazar-e-Sharif, la Ville sainte considérée par certains comme la dernière demeure du calife Ali ben Abi Taleb. La conquête a été décrite comme «frénétique», alors que les combattants talibans tiraient sur «tout ce qui bougeait», tuant des centaines de chiites hazaras, ainsi que huit responsables iraniens du consulat de Téhéran dans la ville et un journaliste iranien.

«Le massacre», comme on l’appelle désormais, contrastait fortement avec la conquête de Kaboul par les talibans le mois dernier, lorsqu'ils tenaient à proclamer un gouvernement «ouvert et inclusif» qui représenterait les Afghans de tous les groupes ethniques. En nommant un commandant hazara dans leurs rangs, les talibans se sont montrés prêts à apaiser l'Iran, suggérant le potentiel de développement d'un nouvel axe dans une région déjà troublée.

L’opinion populaire veut que les services de renseignement américains et pakistanais aient joué un rôle disproportionné dans la création des talibans. Cela conforte la thèse selon laquelle les deux parties ont encouragé et soutenu des éléments radicaux des moudjahidines antisoviétiques, d'où ont émergé les talibans. Cependant, cette théorie a été démontée lorsque les talibans se sont préparés pour former un gouvernement et ont ensuite pris le contrôle de l'Afghanistan en un clin d'œil.

La défaite du dernier bastion de l'opposition au Panjshir la semaine dernière a conduit de nombreuses personnes à dénigrer le rôle du Pakistan dans le soutien aux talibans. Une rencontre récente entre le chef de l'Inter-Services Intelligence (ISI) et le chef des talibans, le mollah Abdelghani Baradar, est considérée comme un moment clé dans le réengagement d'Islamabad dans les affaires de son voisin. Cependant, cette simplification excessive explique peu la complexité des talibans et de ses nouvelles structures d'alliance, alors que d'autres puissances comme l'Iran et la Chine sont également au cœur de l'agenda du groupe.

L'un des développements les plus intéressants presque entièrement ignoré concernant la situation en Afghanistan est l'axe taliban-Iran qui s'installe. Sans aucun doute, le retrait précipité des États-Unis a créé un vide, qui s’accompagne d’une campagne médiatique axée sur l’ouverture des talibans aux ennemis d'autrefois. Parmi ceux-ci, l'Iran, qui avait un statut hérétique parmi les militants, se révèle être un partenaire clé. Les relations sont bien loin de ce qu’elles étaient alors que le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) soutenait les forces américaines lors de leur invasion de 2001.

En réalité, l'Iran a passé une décennie à se préparer à une éventuelle prise de pouvoir par les talibans et les ennemis d'autrefois ont étroitement collaboré. Le CGRI travaille depuis plusieurs années avec les talibans dans leur lutte contre Daech-Khorasan. Le commandant de la Force Al-Qods, le brigadier général Esmaïl Ghaani, lui-même un ancien combattant afghan, a montré sa volonté de s'impliquer dans les affaires des militants dans les mois qui ont précédé leur conquête. Et le ministre iranien des Affaires étrangères de l'époque, Mohammad Javad Zarif, a accueilli les talibans à Téhéran pour une réunion avec les envoyés du gouvernement de Kaboul, soutenu par les États-Unis, quelques semaines avant leur prise de pouvoir.

Selon Kamal Alam, un expert en sécurité afghano-pakistanais, les liens des talibans avec l'Iran sont profondément enracinés. Il déclare: «Alors que Qassem Soleimani traitait avec le monde arabe, Esmaïl Ghaani a forgé des liens plus étroits avec les talibans. En apportant un soutien militaire et financier aux talibans, il a changé la position de l'Iran à leur égard. Cela a été détaillé dans les évaluations du renseignement américain sur le terrain avant leur départ.»

 

Le développement d'un front CGRI-talibans est l'une des nombreuses évolutions inattendues découlant de l'échec de l'Amérique en Afghanistan.

Zaid M. Belbagi

 

Cette évolution – qui survient alors que la communauté internationale est préoccupée par l'enrichissement de l'uranium par l'Iran en vue de développer une arme nucléaire et dans des circonstances où les États-Unis se désintéressent de la sécurité régionale – est incroyablement troublante. D'une manière qui n'est pas sans rappeler la façon dont l'implosion de l'Irak a enhardi l'Iran, la situation en Afghanistan offre une autre opportunité à Téhéran d'étendre son influence géopolitique.

L'implication de puissances étrangères est particulièrement inquiétante, d'autant plus que les défaillances de gouvernance des talibans provoquent un éclatement du pays. Le développement d'un front CGRI-talibans est l'une des nombreuses évolutions inattendues découlant de l'échec de l'Amérique en Afghanistan – le «cimetière des empires». Le seul point positif de cette nouvelle amitié est que les talibans ont également commencé à faire preuve de tolérance envers la population chiite du pays, longtemps persécutée. En prenant Kaboul, ils ont annoncé publiquement que tous les chiites seraient en sécurité et n'auraient rien à craindre. Néanmoins, l’ingérence de Téhéran à Kaboul risque d'être problématique, notamment pour le Pakistan, qui craindrait que les talibans n'agissent plus comme un intermédiaire pour ses intérêts.

 

Zaid M. Belbagi est commentateur politique, et conseiller de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Twitter : @Moulay_Zaid

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com