Pourquoi Biden ne devrait pas remettre à plus tard les décisions sur la Syrie

Des enfants syriens brandissent une banderole de papier où figurent des dessins et des messages à l’occasion de la Journée internationale de la paix dans un camp de réfugiés à Maarrat Misrin, dans la province d’Idlib, en Syrie, le 21 septembre dernier. (Photo Omar Haj Kadour/AFP)
Des enfants syriens brandissent une banderole de papier où figurent des dessins et des messages à l’occasion de la Journée internationale de la paix dans un camp de réfugiés à Maarrat Misrin, dans la province d’Idlib, en Syrie, le 21 septembre dernier. (Photo Omar Haj Kadour/AFP)
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Publié le Mercredi 29 septembre 2021

Pourquoi Biden ne devrait pas remettre à plus tard les décisions sur la Syrie

Pourquoi Biden ne devrait pas remettre à plus tard les décisions sur la Syrie
  • L’administration américaine ne veut plus se concentrer sur la région, mais entend se focaliser sur la concurrence entre les grandes puissances ainsi que sur le réchauffement climatique
  • L’avenir de la présence américaine en Irak est également incertain. Il dépend des élections irakiennes

Dans son premier discours prononcé à l’Assemblée générale de l’ONU, Biden annonce fièrement que les États-Unis ne sont plus en guerre pour la première fois depuis vingt ans. Il semble ainsi justifier le retrait des troupes d’Afghanistan qui a fait couler beaucoup d’encre. Pour la nouvelle administration américaine, cette action est symbolique: elle ne veut plus se concentrer sur la région mais entend se focaliser plutôt sur la concurrence entre les grandes puissances avec la Russie et la Chine ainsi que sur le réchauffement climatique.

Bien que Biden affirme qu’il a mis fin à l’ère de la «guerre implacable» et qu’il a inauguré celle de la «diplomatie implacable», son administration semble plutôt «adopter un comportement attentiste» qui consiste à ne pas prendre de décisions drastiques, à tenter de maintenir le statu quo et à éviter à peu de frais les erreurs stratégiques majeures.

Le but principal est de rester à l’abri de la confrontation, même si cela conduit à héberger ou à accepter des acteurs politiques peu ragoûtants. L’administration veut éviter l’effondrement en Syrie et au Liban. Au pays du Cèdre, face à la défiance du leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, les États-Unis ont accepté un accord qui vise à transporter du gaz de l’Égypte vers le Liban en passant par la Jordanie et la Syrie. Bachar al-Assad aura donc également sa part de gaz, ce qui lui confère une certaine importance.

Les États-Unis seront préoccupés par la stabilité de la zone traversée par le gazoduc, puisqu’ils veulent s’assurer qu’il n’y aura pas d’interruption d’approvisionnement. Cette politique est celle du statu quo: accepter la médiocrité afin d’éviter ce qui pourrait être pire. L’administration Biden ne normalisera pas les relations avec Al-Assad ni ne reconnaîtra publiquement que ce dernier a remporté le conflit syrien mais, dans le même temps, elle ne fera aucun effort pour l’évincer du pouvoir. En attendant, elle essaiera d’aider sur le plan humanitaire, à condition que ce soit à un coût raisonnable. Afin d’éviter l’effondrement du pays, la Maison Blanche pourrait être disposée à donner au régime un peu d’espace pour respirer.

L’avenir de la présence américaine en Syrie fait l’objet d’un débat. Un représentant démocrate de New York a proposé une modification législative qui obligerait les États-Unis à se retirer de la Syrie et à transférer toute la responsabilité de la sécurité du nord-est du pays aux Forces démocratiques syriennes. L’avenir de la présence américaine en Irak est également incertain. Il dépend des élections irakiennes: si un gouvernement antiaméricain est formé, il pourrait demander aux Américains de retirer leurs troupes.

Les États-Unis tentent désormais de conclure différents accords pour s’assurer qu’un départ potentiel de Syrie ne créera pas de vide. L’administration américaine pourrait alors tolérer un accord entre le régime et les Forces démocratiques syriennes comme conséquence de son départ du Nord-Est. La devise de l’administration actuelle est d’«éviter toute complication dans la mesure du possible», c’est-à-dire abandonner ces conflits de longue durée et mettre en place des accords qui garantiront un minimum de stabilité.

 

Alors que l’administration Trump voulait que le régime s’effondre, ou presque, pour instaurer des changements, l’administration actuelle préfère le statu quo dans la mesure où les répercussions de la chute du gouvernement peuvent se révéler difficiles à gérer. Cependant, une telle politique est peut-être impossible, parce qu’elle pourrait générer plus de chaos que de stabilité.

Dr Dania Koleilat Khatib

 

Aujourd’hui, le débat sur la Syrie oppose deux parties: l’une dit que l’empreinte légère de la présence américaine est peu coûteuse et durable, tandis que l’autre veut savoir quand les États-Unis comptent se retirer et insiste sur le fait qu’il vaudrait mieux prendre les dispositions nécessaires et partir. Si cette dernière partie a le dernier mot, quel genre de mesures les États-Unis mettraient-ils en place – et pourraient-elles être maintenues s’il n’y avait personne pour en assurer l’application?

Bien que la politique actuelle ne soit pas claire – contrairement à celle de Donald Trump –, Biden semble relâcher la pression sur le régime syrien. Alors que l’administration Trump voulait que le régime s’effondre, ou presque, pour instaurer des changements, l’administration actuelle préfère le statu quo dans la mesure où les répercussions de la chute du gouvernement peuvent se révéler difficiles à gérer. Cependant, une telle politique est peut-être impossible, parce qu’elle pourrait générer plus de chaos que de stabilité.

Prenons le cas de l’Afghanistan, par exemple. Il ne restait plus que quelque 2 500 soldats américains et aucun n’a trouvé la mort au combat au cours des dix-huit mois qui ont précédé l’attaque de Daech au moment du retrait. Le coût de la présence américaine était donc faible et, quoi que l’on pense du gouvernement imposé par l’Occident, l’objectif américain était d’entraver l’arrivée au pouvoir des talibans ou d’autres organisations terroristes et de maintenir le gouvernement en place. Ces objectifs étaient plus ou moins atteints à un coût raisonnable.

Avec le retrait, le coût potentiel en termes d’attentats terroristes est désormais beaucoup plus élevé. Il est possible qu’un scénario identique s’applique à la Syrie. Le coût actuel est faible, mais un retrait américain pourrait entraîner des affrontements entre les forces turques et kurdes ainsi qu’entre le régime et les Kurdes, voire un éventuel accord.

Cependant, si un accord est conclu avec les Forces démocratiques syriennes, l’Occident souhaiterait-il qu’Al-Assad ait le contrôle du camp d’Al-Hol, qui abrite 70 000 personnes, dont un grand nombre d’extrémistes? Al-Assad pourrait habilement se servir d’eux pour exercer un chantage sur le monde et, bien sûr, acquérir une fausse légitimité. Après tout, n’a-t-il pas, avec l’amnistie de 2013, relâché de nombreux terroristes et extrémistes qui ont massacré des chrétiens dans la ville de Maaloula? La reconquête de cette ville par le régime a aidé Al-Assad à se positionner comme le dictateur qui protège les minorités.

L’administration Biden devrait réfléchir sérieusement au comportement attentiste qui est le sien. Remettre à plus tard des décisions drastiques pourrait aboutir à une catastrophe.

 

La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.

 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com