Les aventures d’Erdogan à l’étranger pourraient s’avérer coûteuses pour la Turquie

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Publié le Mardi 14 juillet 2020

Les aventures d’Erdogan à l’étranger pourraient s’avérer coûteuses pour la Turquie

  • Erdogan a tenu à médiatiser les victoires de ses troupes en Libye afin de redorer son image auprès de sa population
  • Les dommages créés par les aventures militaires turques dans la région - souvent financés par le petit émirat du Qatar qui cherche à accroître son emprise régionale - ne doivent pas être sous-estimés

Rares sont ceux qui savent que la Turquie possède une base militaire à Mogadiscio, loin de ses frontières, et que la plus grande ambassade de la Turquie dans le monde se trouve dans la capitale somalienne. Le seul point commun entre la Libye et la Somalie est qu’elles ont toutes les deux été plongées dans la tourmente de la guerre.
La Turquie s’est également implantée dans l’île de Suakin au Soudan, mais son projet d’y construire une base militaire est tombé à l’eau, suite à la destitution du président Omar Al-Bashir, les nouveaux dirigeants de Khartoum ayant annulé tous les accords militaires passés avec Ankara.
Ces pions turcs disséminés sur la carte de la région sont-ils le fruit d’une politique bien planifiée, d’un projet expansionniste ou bien juste d’ambitions narcissiques ?
Pendant les premières années de guerre en Syrie, le président turc Recep Tayyip Erdogan était réticent à l’idée de franchir la frontière militairement. Aujourd’hui, ses troupes se trouvent bien présentes en Syrie, mais ont perdu la plupart de leurs positions suite à une série de défaites contre les Russes et les forces du régime Assad, ainsi que contre les Américains. Les zones tampon sous le contrôle de l‘armée turque à l’intérieur de la Syrie ont rétréci au fur et à mesure des mois. 
Dans ce contexte, Erdogan a tenu à médiatiser les victoires de ses troupes en Libye afin de redorer son image auprès d’une population, qui souffre de la détérioration des conditions de vie. Il a annoncé de bonnes nouvelles au peuple turc: la signature d’accords pétroliers avec la Libye, son intention de débuter des explorations pétrolières dans des zones disputées en mer Méditerranée en dépit des objections grecques, ainsi que la découverte de nouvelles ressources pétrolifères. 
Mais toutes ces bonnes nouvelles ne pourraient être rien de plus qu’un stratagème destiné à remonter le moral du peuple turc, afin de masquer en réalité les échecs successifs de sa politique économique. 
Les dommages créés par les aventures militaires turques dans la région - souvent financés par le petit émirat du Qatar qui cherche à accroître son emprise régionale - ne doivent pas être sous-estimés. 
En effet, le Président turc suit les traces de l’expansion iranien dans la région, renforcé par la signature de l’accord nucléaire et le déploiement de ses troupes en Syrie, en Irak et au Yémen.
En suivant le modèle iranien, la Turquie utilise dans sa guerre en Libye des milices étrangères. Des rapports font également état d’interventions au Yémen. La Turquie s’est aussi servie de milices syriennes pour attaquer les bases des Kurdes de Syrie affiliés aux Forces démocratiques syriennes.
En fait, ces aventures militaires n’expliquent pas la politique d’Erdogan, s’il y en a une. Quel est le résultat escompté ?
En décembre dernier, la Malaisie a accueilli un sommet islamique réunissant Erdogan, les présidents iranien et indonésien ainsi que l’émir du Qatar, dans l’objectif d’aborder des questions liées la nation islamique. Erdogan a tenté de se positionner comme leur leader et de faire du sommet une alternative à l’Organisation de la coopération islamique à La Mecque. 
Toutefois, le sommet a échoué et la Malaisie a clairement montré que les déclarations turques ne reflétaient pas son point de vue. Par la suite, le Premier ministre malaisien Mahathir Mohammed, évincé au mois de mai de son parti politique, a été démis de ses fonctions.
Par ailleurs, le projet d’Erdogan appelle à bâtir une puissance régionale majeure pour faire contrepoids à l’Iran, dans l‘idée potentiellement de supplanter la République islamique, qui est considérablement affaiblie par les sanctions américaines. La Turquie, forte d’une population de 80 millions, possède un poids régional en Asie Centrale mais n’a cependant pas vraiment réussi à peser contre la Russie et l’Iran.
Contrairement à l’Arabie saoudite et à l’Iran, qui possèdent d’énormes réserves de pétrole, la Turquie est un pays sans ressources naturelles substantielles, et dont l’économie dépend largement du tourisme russe, des marchés européens ainsi que des remises de la diaspora turque en Occident. C’est la raison pour laquelle Erdogan compte sur le soutien qatari pour le sauver de chaque crise, par que ce soit pendant la pandémie du coronavirus qui a freiné l’économie, ou suite à l’effondrement de la livre qui constituait un problème majeur jusqu’à ce que Doha lui octroie 15 milliards de dollars.
Actuellement, la Turquie dispose d’une présence dans trois espaces maritimes stratégique : la mer Noire, la mer Méditerranée et la mer Rouge. Le résultat escompté de sa politique expansionniste et de son engagement militaire n’aura pas pour conséquence l’élargissement de l’influence du dirigeant d’Ankara, mais plutôt son affaiblissement. Il ne pourra pas agir librement dans une vaste région perpétuellement en ébullition sans de puissants alliés.   
Erdogan est toujours confronté à des épreuves imprévues, comme la guerre en Syrie, la question des missiles Russes et son différend militaire avec les Américains.
Abdulrahman Al-Rashed est un chroniqueur vétéran. Il est l'ancien directeur général de la chaîne d'information Al-Arabiya et ancien rédacteur en chef d'Asharq Al-Awsat. Twitter: @aalrashed
L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français
Ce texte est la traduction d’un article paru sur english.aawsat.com