La scission au sein du camp politique de la ligne dure met en lumière la fragilité du régime iranien

Le président iranien, Ebrahim Raïssi (à gauche), avec le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei. (AFP)
Le président iranien, Ebrahim Raïssi (à gauche), avec le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei. (AFP)
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Publié le Samedi 30 octobre 2021

La scission au sein du camp politique de la ligne dure met en lumière la fragilité du régime iranien

La scission au sein du camp politique de la ligne dure met en lumière la fragilité du régime iranien
  • Le gouvernement et Khamenei ne sont pas deux entités distinctes; Khamenei est le gouvernement
  • Le fait que des membres du camp se permettent de critiquer leurs propres partisans illustre la fragilité de cette faction

Pendant des décennies, la politique iranienne s’apparentait à une compétition entre les partisans de la ligne dure et les modérés ou les réformistes. Cependant, depuis qu’Ebrahim Raïssi, partisan de la ligne dure, est devenu président, au mois d’août dernier, un nouveau phénomène prend forme au sein du système politique iranien: les partisans de la ligne dure se retournent les uns contre les autres.

Bien que Raïssi soit au pouvoir depuis moins de cent jours, le quotidien Kayhan – porte-parole du bureau du Guide suprême, dont le rédacteur en chef est un proche conseiller d’Ali Khamenei – commence déjà à critiquer le président en raison de la situation économique et de la hausse des prix. Il convient de noter que ce journal ne critiquerait pas le président sans l’approbation du Guide suprême.

Alors que Khamenei et son entourage semblent appliquer le modus operandi du Guide suprême, qui consiste à se dérober à leurs responsabilités en rejetant la faute sur le «gouvernement», c’est-à-dire le président et son équipe, il s’agit d’une démarche inédite – en outre, le président est en poste depuis bien peu de temps.

Prétendre que le Guide suprême de l’Iran serait contre le gouvernement est une idée totalement absurde, car ce dernier et Khamenei ne sont pas deux entités distinctes; Khamenei est le gouvernement. Lorsqu’il est question de la politique intérieure et étrangère de l’Iran, c’est lui qui a le dernier mot. Aucune politique ni aucune loi critique ne peut être appliquée sans la bénédiction, les directives ou l’approbation de Khamenei. C’est lui qui gère l’économie; il détient les richesses et les ressources naturelles du pays. Les membres de sa famille, son entourage privilégié, les hauts responsables du Corps des gardiens de la révolution islamique et lui-même font partie des personnes les plus riches d’Iran.

D’autres membres influents du camp politique partisan de la ligne dure se retournent les uns contre les autres. Par exemple, le président du Parlement, Mohammed Bagher Ghalibaf, qui s’est présenté à l’élection présidentielle, mais a perdu contre Raïssi, s’en est également pris à ce dernier lors du présent mois. Il a déclaré que l’administration était «un gouvernement incompétent, avec des dirigeants inefficaces», ajoutant: «Les croyances erronées et les gestionnaires inefficaces sont les deux problèmes dont souffre la gouvernance. Le problème n’est pas le manque d’argent et de ressources. Nous devons investir du temps et de l’énergie pour régler ces difficultés.»

Cela met clairement en lumière une scission sans précédent au sein du camp politique de la ligne dure de l’Iran. Le fait que des membres du camp se permettent de critiquer leurs propres partisans illustre la fragilité de cette faction. Comme le dit l’Agence de presse des étudiants iraniens: «Ces critiques [venues de Ghalibaf] ne se retournent-elles pas contre lui et contre son camp politique, maintenant qu’une administration proche de sa faction politique est en place et que certains de ses proches collaborateurs occupent des postes de direction?»

Les partisans de la ligne dure avaient un bouc émissaire lorsque les prétendus modérés ou réformistes occupaient certains des postes les plus importants ou dominaient le Parlement iranien; ils pointaient du doigt ces camps politiques et les accusaient d’être à l’origine des problèmes intérieurs et extérieurs du pays.

Cependant, les hauts dirigeants du régime n’ont pas vu l’une des conséquences imprévues du fait d’accorder aux partisans de la ligne dure tous les pouvoirs – exécutif, législatif et judiciaire: la mise en lumière des faiblesses du système.

En 2020 et en 2021, le régime a mis en place une stratégie pour permettre aux partisans de la ligne dure de s’emparer du Parlement et de la présidence. D’abord, la branche politique de Khamenei, le Conseil des gardiens, a disqualifié plus de 7 000 candidats qui appartenaient, pour la plupart d’entre eux, à des mouvements politiques réformistes, indépendants et modérés, avant les élections législatives de l’année dernière.

En conséquence, les partisans de la ligne dure ont pris le contrôle du Majlis. Peu de temps après, 230 députés sur 264 ont voté pour Ghalibaf, ancien général et haut responsable du Corps des gardiens de la révolution islamique, comme président du Parlement.

Puis, en 2021, le régime a tenu d’autres élections truquées. Le Conseil des gardiens a écarté tout candidat réformiste ou modéré susceptible d’être un adversaire de taille pour Raïssi, le candidat préféré de Khamenei. Le nouveau président, à son tour, a choisi des partisans de la ligne dure dans son gouvernement, notamment d’anciens membres du Corps des gardiens de la révolution islamique.

 

Maintenant que les partisans de la ligne dure disposent des pleins pouvoirs, ils ne peuvent attribuer la situation financière désastreuse du peuple qu’à leur propre camp politique.

Dr Majid Rafizadeh

 

Maintenant que les partisans de la ligne dure disposent des pleins pouvoirs, ils ne peuvent attribuer la situation financière désastreuse du peuple qu’à leur propre camp politique. Ces derniers mois, des fonctionnaires à la retraite ont organisé plus d’une douzaine de manifestations dans plusieurs villes. Le régime n’a été que très peu réactif face à leur demande, qui consistait à mettre en place une politique économique qui capable de réduire l’écart entre leurs revenus stagnants et la hausse du coût de la vie. La vie en Iran est devenue insupportable, tant sur le plan économique que politique, et cela pourrait être de nature à déclencher à tout moment un soulèvement dans le pays. L’inflation bat son plein depuis la mise en place du régime.

Cette scission au sein du camp politique de la ligne dure – la première depuis la mise en place du régime – montre la fragilité du régime théocratique d’Iran.

 

Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard.

Twitter: @Dr_Rafizadeh

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.