Le rôle phare d’un amiral britannique dans la renaissance navale mondiale

La rampe de décollage du porte-avions HMS Queen Elizabeth de la Royal Navy. (AFP)
La rampe de décollage du porte-avions HMS Queen Elizabeth de la Royal Navy. (AFP)
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Publié le Dimanche 28 novembre 2021

Le rôle phare d’un amiral britannique dans la renaissance navale mondiale

Le rôle phare d’un amiral britannique dans la renaissance navale mondiale
  • La nomination de sir Tony Radakin au poste de chef d’état-major de la Défense montre la réorientation croissante des grandes puissances vers l’expansion navale
  • Les récentes manœuvres navales britanniques montrent un intérêt renouvelé pour répondre aux insécurités accrues de l’ordre international par leur présence navale

L’amiral sir Tony Radakin n’est pas un officier de marine ordinaire. Après avoir étudié le droit parallèlement à sa carrière dans la Royal Navy, il obtient son diplôme d’avocat avant d’être admis au barreau. Bien qu’il ait atteint le rang élevé de premier lord de la mer – un titre de deux siècles plus vieux que celui de Premier ministre – cet officier de marine exceptionnel est désormais à la tête de la marine, de l’armée de terre et de l’aviation britanniques en tant que chef d’état-major de la Défense. C’est le premier officier de la marine à occuper ce poste depuis vingt ans. Sa nomination montre la réorientation croissante des grandes puissances vers l’expansion navale. De la mer Noire au détroit de Taïwan, la projection de puissance navale redevient un élément phare de la politique étrangère et de défense.

Il y a un siècle, la poursuite d’objectifs de politique étrangère au moyen de démonstrations ostentatoires de puissance navale – connue sous le nom de «diplomatie de la canonnière» – était un élément clé des relations internationales. Les concessions, les accords et les capitulations totales étaient tous obtenus par la menace de la force. Au XIXe siècle, le spectre menaçant de la Royal Navy a conduit au contrôle britannique des États de la Trêve (aujourd’hui les Émirats arabes unis). Pendant la guerre froide, la puissance navale américaine écrasante caractérisait l’hégémonie américaine à l’échelle mondiale. «Un porte-avions, c’est cent mille tonnes de diplomatie», avait à l’époque plaisanté Henry Kissinger.

Cependant, les progrès de la technologie aérospatiale et la prévalence croissante de la guerre asymétrique ont commencé à annoncer l’obsolescence imminente du cuirassé. Des missiles antinavires lancés par voie terrestre ou maritime, des cyberattaques et des sous-marins de plus en plus sophistiqués laissent présager qu’un investissement de plusieurs milliards de dollars peut être réduit à néant en quelques minutes. La portée croissante des batteries de missiles côtières a augmenté alors que celle de l’aviation de chasse a diminué. Dans un engagement théorique, les porte-avions américains devraient rester à plus de mille huit cent cinquante kilomètres des côtes chinoises pour rester opérationnels. Pour beaucoup, les grands navires sophistiqués qui caractérisaient la puissance navale mettent de plus en plus en évidence la vulnérabilité des armées conventionnelles face aux attaques d’ennemis plus petits et irréguliers.

«La projection de puissance navale redevient un élément phare de la politique étrangère et de défense.» – Zaid M. Belbagi

Cependant, les avantages des bases militaires flottantes et des pistes d’atterrissage maniables semblent dépasser les préoccupations croissantes concernant la vulnérabilité des grands navires de guerre. C’est pour cette raison que la présence renforcée de la Royal Navy dans le monde est un aspect essentiel du temps que Tony Radakin a passé à l’amirauté. D’ailleurs, sa nomination à la tête des forces armées témoigne d’une grande volonté de se tourner vers la reconstruction des capacités navales.

Compte tenu des longs délais en matière de construction et de financement des infrastructures navales, les projets actuels montrent que le Royaume-Uni peut s’attendre à ce que sa flotte passe à vingt-quatre frégates et destroyers (contre dix-huit actuellement) d’ici à 2030. Les porte-avions récemment construits, le HMS Queen Elizabeth et le HMS Prince of Wales, sont des atouts centraux dans une flotte qui devrait connaître une expansion à l’échelle mondiale.

Des perspectives mitigées pour l’Otan, des États-Unis de plus en plus désengagés et des engagements de défense européens toujours ternes ont contraint les pays à reconsidérer leur engagement unilatéral plutôt que de concert. Les récentes manœuvres navales britanniques dans la mer Noire, au large des côtes chinoises et dans la mer de Barents montrent un intérêt renouvelé pour répondre aux insécurités accrues de l’ordre international par leur présence navale.

Le Royaume-Uni n’est pas seul face à ce défi. La loi contraint les États-Unis à maintenir onze super-porte-avions dans leur flotte. L’USS Gerald R. Ford est le plus grand navire de guerre jamais construit. Le mastodonte de cent mille tonnes a coûté quinze milliards de dollars (1 dollar = 0,89 euro). Il témoigne de l’engagement durable des États-Unis en faveur de la puissance navale.

La Chine, qui a acheté il y a seulement trois décennies un porte-avions australien pour sa première incursion dans cet espace, construit maintenant le Type 003. Ce n’est que le deuxième porte-avions construit au pays et il sera le plus grand navire qui ait jamais servi dans sa flotte. Bien qu’il corresponde intentionnellement à la taille du Gerald R. Ford, son volume n’est pas représentatif de la tendance croissante aux navires plus agiles et plus maniables qui sont commandés par des pays comme l’Inde et le Japon.

Le porte-avions indien INS Vikrant, qui devrait être pleinement opérationnel d’ici à 2022, a été conçu pour servir de base pour les véhicules sans pilote. C’est le reflet des changements en temps de guerre qui ont nécessité la mise au point de nouvelles technologies. Cette tendance est un pilier central du Plan prospectif pour les capacités maritimes sur quinze ans de l’Inde, qui vise à atténuer les risques croissants auxquels sont confrontées les marines conventionnelles.

Tony Radakin prend donc les rênes à une période extrêmement intéressante. Le Royaume-Uni, comme d’autres, réagit à la vulnérabilité accrue de l’ordre international dans le cadre de l'effondrement progressif du statu quo de l'après-guerre froide. L’Histoire n’a que trop bien montré à la Chine et à la Russie les dangers de l’insuffisance des ressources navales. Les deux pays ont trouvé la Royal Navy à leur porte, conférant à une puissance lointaine une influence sur leurs affaires.

Il est impossible d’imaginer que les projets du Royaume-Uni pour sa marine ne trouveront pas écho ailleurs. Mais il est probable que la petite nation insulaire projetée aux quatre coins de la planète en régnant sur les mers soit désormais à la tête d’une renaissance navale qui aura des répercussions importantes.

 

* Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Twitter: @Moulay_Zaid

NDRL: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com