La décentralisation pourrait être la meilleure solution pour le Liban

(Reuters)
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Publié le Lundi 28 septembre 2020

La décentralisation pourrait être la meilleure solution pour le Liban

La décentralisation pourrait être la meilleure solution pour le Liban
  • Un système hautement décentralisé pourrait être la seule solution pour le Liban
  • Les voix qui prétendent que le seul problème est le confessionnalisme et que son abolition résoudra tout sont dans l’erreur

La nostalgie est un remède et un poison. C'est sur quoi on se tourne lorsque l’on n'a plus rien à espérer de l’avenir, ni plus aucune inspiration pour créer. Le passé est un refuge artificiel, mais il est redevenu le refuge des Libanais. Je dis redevenu car, après le début de la guerre civile, nous entendions à maintes reprises la même histoire d'émigrants et de Libanais brisés: «Le Liban était la Suisse du Moyen-Orient, un centre financier et un centre culturel.» Et ce panégyrique se terminait toujours par la même description que je n’ai jamais pu supporter: «Vous pouvez skier le matin et profiter de la plage l'après-midi.» Aujourd'hui, encore une fois, j'entends des gens répéter ces phrases – même des gens qui n’auraient pas connu l’âge d’or du Liban, mais qui vivent juste dans la nostalgie des jours qui leur ont été décrits.

Cette «nouvelle nostalgie» à laquelle nous assistons est assez inquiétante, car c'est une renonciation à tout. Nous pouvons toutefois tirer profit de l’expérience de l'histoire de certaines nations. Si nous revenons à la comparaison avec la Suisse, peut-être l’avons-nous prise trop superficiellement et pourrions-nous nous inspirer du système politique de ce pays, qui est une entente fédérale.

La Suisse n'a pas toujours été un État-nation. Auparavant, c'était une alliance libre de cantons autonomes qui se sont retrouvés autour d'une Constitution fédérale en 1848. Comme au Liban, aucun parti n’est dominant et, plus important encore, chaque canton a sa propre Constitution, son Parlement, son gouvernement et ses tribunaux. Le modèle suisse est un mécanisme bien équilibré qui prend en compte les divers aspects du pays. Il a quatre langues officielles et de grandes différences géographiques, mais qui coexistent.

Le fédéralisme a été la clé de la transformation de la Suisse, ainsi que sa neutralité, au milieu des grands pays européens, comme la France et l’Allemagne. Sur le plan de la sécurité, chaque canton dispose de sa propre police, tandis que la police fédérale se concentre sur les compétences fédérales.

L'État-nation libanais n'a jamais été une solution viable dans sa structure actuelle. Je crois donc que nous devons permettre aux gens de construire leurs propres barrières, mais dans le cadre de la même souveraineté : un système hautement décentralisé pourrait être la seule solution pour le Liban. Que chaque communauté ait ses propres objectifs au niveau de la sécurité, de la protection, ainsi que des élections. La Suisse, comme le Liban, est un petit pays, mais il a une structure politique et juridique qui permet à ses différentes composantes de vivre ensemble.

Pourrions-nous bâtir cela au Liban ? Pourrions-nous admettre le fait que nous sommes en crise et que nous devrions passer à quelque chose de nouveau ? Les voix qui prétendent que le seul problème est le confessionnalisme et que son abolition résoudra tout sont dans l’erreur. Abolir le confessionnalisme condamnerait également les minorités, créerait les racines d'un autre problème, ou bâtirait une dictature brutale.

J'ai tendance à refuser le commentaire qui dit que nous sommes tous pareils et qu'il n'y a aucune différence entre nous. Il faudrait dire tout le contraire. Il existe des différences et nous pouvons reconnaître ces différences tout en continuant à vivre ensemble dans le respect de la loi. Toutes les minorités chrétiennes ont besoin de se sentir représentées. Les druzes ont besoin de se sentir représentés. Les chiites ont besoin de se sentir représentés. Les sunnites ont besoin de se sentir représentés. Chaque communauté doit se sentir représentée et protégée par la nation. Aujourd'hui, le Liban est gouverné par des gens féroces et des bandits. Cela ne peut plus durer.

Dans un monde idéal, nous dirions: «Annulons le sectarisme et nous trouverons une solution à tout.» Mais nous sommes toujours attachés au «sang et à la terre.» Imaginez l’abolition de tout confessionnalisme dans la politique libanaise et la concentration sur le recrutement et la nomination de personnes de pouvoir. Une fois que la tension monte parce qu'il y a davantage de nominations issues d’un groupe plutôt que d'un autre. Et après? Jusqu'ici, les alliances religieuses au Liban ne duraient que lorsqu'il y avait un oppresseur. L'alliance entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre (CPL) fonctionne parce que le Hezbollah détient le vrai pouvoir et que le CPL obéit. De l'autre côté, le Mouvement du Futur, les Forces libanaises et le Parti socialiste progressiste ont été incapables de faire de même avec leurs alliés et ont fini dans des tiraillements. 

Dans le secteur privé, je n'ai personnellement jamais examiné la religion, la race ou le sexe, mais seulement si quelqu'un a les valeurs communes du travail, et s’y consacre. Il devrait en être de même pour les gouvernements, qui devraient être basés sur la compétence et la méritocratie, et non sur la lignée. Actuellement, au Liban, il ne s'agit même pas d'être de la même minorité, mais de la même famille. Le cercle s’est encore rétréci; de là les cris des manifestants de toutes les minorités: «Tous signifie tous.» Je me demande même si la communauté chiite se considère vraiment protégée et respectée grâce au Hezbollah. Une vraie nation ne leur donnerait-elle pas la même chose, mais sans avoir à faire allégeance à qui que ce soit? Ce leur donnerait le droit de vivre la tête haute, et non grâce à un chef de guerre ou à un chef de clan. N'avons-nous pas tous ce même souhait?

Les risques de séparation existent, mais pas seulement au Liban. L'Europe a été construite par des tribus, et même aujourd'hui, nous observons des demandes de sécession: la Corse de la France, la Catalogne de l'Espagne et l'Écosse du Royaume-Uni. Alors pourquoi sommes-nous surpris si c'est le cas au Liban ou même en Syrie?

Ceux qui s'opposent aujourd’hui à un changement constitutionnel radical au Liban sont les mêmes qui condamnent Sykes-Picot et mettent en garde contre une théorie du complot d'un nouvel accord similaire régulièrement. Ils sont pourtant d’accord sur la division ainsi créée. C'est le même discours que la Syrie et l'Iran ont adopté.

Cela leur permet de s'opposer à l'ingérence internationale, et ce uniquement dans des déclarations, et d'insister sur le fait qu’ils protègent les minorités face à un grand nombre d’Arabes. En réalité, ils écrasent les minorités sous leur autoritarisme. Ces pays ont causé beaucoup de tort à notre région. Leur vision communiste-religieuse a encouragé le sectarisme pour dissimuler leur népotisme et leur corruption dans chaque pays qu'ils dirigent. Il est inquiétant de voir que les pays européens acceptent ces points de vue.

Le Liban peut apprendre des choses de la Suisse et de l'Europe, mais une différence principale sur laquelle nous nous heurterons toujours est qu'il n'y a qu'une seule armée suisse. Par conséquent, indépendamment de notre souhait de nous inspirer de la Suisse, cela équivaudrait à transformer le pays et à rédiger une nouvelle Constitution. Vu la position du Hezbollah et le contrôle qu’il exerce sur le pays, cela semble être une discussion stérile.

Les derniers événements autour des tentatives de la formation du gouvernement semblent indiquer que la France agira avec pragmatisme et prônera une solution qui englobe et répond même aux demandes du Hezbollah et de l’Iran. Avec les concessions continues de Saad Hariri, il semble que le Hezbollah dispose de suffisamment d’acteurs assujettis à sa volonté dans la sphère politique, pour assurer un contrôle total. En ce sens, le Liban pourrait ressembler davantage à la Syrie ou à l'Iran avant de devenir un modèle de coexistence.

Khaled Abou Zahr est PDG d'Eurabia, une société de médias et de technologie. Il est également le rédacteur en chef d’Al-Watan Al-Arabi.

Clause de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com